Thème :
Société et institutions
Chrétien Le Clercq
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 11 juillet 2002
Chrétien Le Clercq est un missionnaire Récollet qui a œuvré en Gaspésie au XVIIe siècle. Comme tous les Français de son époque, le père Le Clercq est né en France, au Pas-de-Calais, en 1641. Il entre au couvent des Franciscains déchaussés à Saint-Antoine de Padoue, en Artois, y fait ses études et complète sa formation avant de traverser en Amérique en 1675. C’est au moment de prendre ses habits qu’il adopte le prénom « Chrétien », mais son nom de baptême demeure dans l’oublie. Une fois en Nouvelle-France, il consacre son ministère aux Micmacs de la Gaspésie puis s’en retourne définitivement dans la métropole en 1687, quelques années à peine avant la destruction de la mission de Percé par des corsaires anglais.
Les Récollets à Percé
En 1672, Pierre Denys de La Ronde pose les premiers jalons d'un établissement de pêche sédentaire à Percé. Pour ce faire, il obtient la concession d’une seigneurie, construit des installations et tente d’intéresser quelques pêcheurs à son entreprise. Un des moyens de les attirer est de leur apporter sur place les secours de la foi en installant un ou des missionnaires. Or les pères Récollets, qui sont de retour en Nouvelle–France depuis 1670, se cherchent justement un champ apostolique. Denys saisit l’opportunité qui se présente et invite le père Hilarion Guénin à se joindre à son établissement. L’ayant amené avec lui au printemps 1672, un autre religieux, le père Exupère Dethune, l’y rejoint l’année suivante. Les deux missionnaires demeurent dans la maison seigneuriale à la Malbaie pendant qu’ils défrichent une pièce de terre à la pointe Saint-Pierre et construisent une maison avec jardins au cœur des installations de pêche à Percé. De son côté, le gouverneur Frontenac, en quelque sorte parrain des efforts de Denys de La Ronde, veut lui apporter un appui tangible. Profitant d’une confirmation des titres de Denys de La Ronde sur Percé et d’un élargissement de ses assises entrepreneuriales en 1676, il offre aux pères Récollets une parcelle de terre à Percé à la condition qu'ils y poursuivent leur ministère. C'est dans ce contexte que le père Chrétien Le Clercq rejoint à l’automne 1675 ses confrères déjà au travail sur le terrain. Il débarque au Barachois de la Malbaie le 27 octobre, un lieu qui a l’heur de lui plaire : « L’Habitation de Monsieur Denys, …, était très bien logée, sur le bord d’un bassin appelé la Petite Rivière, séparé de la mer par une belle langue de terre, qui par l’agrément merveilleux qu’elle donne à ce lieu, le rend un séjour agréable. »
Apostolat auprès des Micmacs
Les supérieurs du jeune Chrétien Le Clercq, âgé seulement de vingt-quatre ans, le chargent spécifiquement d'évangéliser les Indiens de la Gaspésie, les Micmacs. C’est lui qui les définit le premier comme étant des Gaspésiens. Le mot désigne dans son esprit les indigènes qui fréquentent la baie de Gaspé et ses environs immédiats.
Bien sûr, le père Le Clercq avait reçu une formation en langue amérindienne avant de traverser en Amérique, mais, à sa grande consternation, il découvre, une fois arrivé sur le territoire, qu'il n'y a pas moyen de se faire comprendre, les Micmacs étant de la famille algonquienne alors que ses maîtres lui avaient enseigné des rudiments de langue iroquoienne. C'est donc en recommençant seul sa formation à zéro qu'il débute son apostolat, passant son premier hiver dans les bois autour de Gaspé, avec quelques familles indigènes.
Chrétien Le Clercq côtoie les Micmacs pendant douze ans. Des séjours à Québec et dans sa famille, en France, entrecoupent ses missions, mais, dans l'ensemble, il tient compagnie aux familles indigènes. Il parcourt tous les recoins de la Gaspésie et de la partie nord de l'Acadie tout en restant attaché à la mission de Percé. Grâce à une pratique quotidienne, la maîtrise de la langue vient rapidement et, pour consigner les prières qu'il montre à ses ouailles, il crée au cours de l’hiver 1677 un dictionnaire français-micmac qu’il dépose au couvent des Récollets à Québec, mais dont on n’a depuis jamais retrouvé la trace. Le Clercq dit cependant utiliser cet ouvrage en 1683 pour enseigner la langue autochtone à son confrère Emmanuel Jumeau. Il crée en outre de toute pièce un système d'écriture figuré qu'il montre aux Amérindiens. Il s’inspire, en fait, de signes qu’il les a vus tracer sur des écorces de bouleau pour mettre ses hiéroglyphes au point. Selon le père Pacifique de Valigny, cette écriture picturale est encore en usage chez les vieux Micmacs du Cap-Breton vers 1920.
La suite de sa mission est souvent pour Chrétien Le Clercq l’occasion de rencontres ou de découvertes stimulantes. Après avoir rejoint les Micmacs installés à Ristigouche au printemps 1677 et passé l’été en leur compagnie, le Récollet se rend à Nipissiguit (Bathurst) à l’automne. Il fait la connaissance de Philippe Esnault, sieur de Barbocan, un Canadien installé là depuis des années et qui a épousé une amérindienne. En janvier 1678, Chrétien Le Clercq gagne la mission de Miramichi en sa compagnie et trouve à cet endroit des indigènes micmacs qui portent une croix au cou et qui ont une grande vénération pour elle. Il est tellement impressionné par leur ferveur qu’il les baptise finalement les Porte-Croix.
La Nouvelle relation de la Gaspésie
Au cours de toutes ces années passées en compagnie des Mimacs, Le Clercq prend connaissance des mœurs indigènes et de leur histoire. Riche de cette information, le missionnaire récollet rédige, après son retour définitif en France en 1686, la toute première histoire régionale et la publie sous le titre de La Nouvelle Relation de la Gaspésie. Le titre « Nouvelle » laisse croire que des textes antérieurs auraient relaté en tout ou en partie l’histoire de ces indigènes, mais aucun n’a été trouvé. Le premier chapitre du livre est le prétexte pour insérer une lettre du père Emmanuel Jumeau, lequel revient tout juste de Percé, chassé par une escadre de corsaires anglais qui ont tout détruit au cours du mois d’août 1690. Après avoir de la sorte présenté un récit circonstancié des ravages ennemis, l’auteur campe son sujet en apportant ensuite une description géographique de la Gaspésie. Les autres chapitres parlent de l’origine des Micmacs, de leurs manières de vivre, de leurs lois, bref de tous les aspects de leur culture. Mal accueilli par les Jésuites, ses concurrents, particulièrement le père François-Xavier Charlevoix, l’ouvrage présente pourtant un tableau inégalité de la vie indigène en forêt et de l’adaptation des Micmacs à leur milieu naturel.
Le travail apostolique de Chrétien Le Clercq auprès des Micmacs lui incombait au premier chef. Il a, sur ce point, exercé une influence qui a perduré jusqu'aux générations les plus proches. Au plan scientifique, ses écrits constituent une œuvre anthropologique de première main et compte parmi les plus riches de son siècle. Elle est de plus considérée comme une source importante pour l'histoire des premières implantations européennes en Gaspésie.
Bibliographie :
Bacon, René. « Père Joseph Denis (de la Ronde) (1757-1736) », Chroniques et documents, vol. 45, 1993, p. 39-64.
Dumas G.-M. « Chrétien Le Clercq », Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, p. 449-452.
Hugolin, R. P. L'établissement des Récollets à l'Isle Percée 1673-1690. Québec, s. éd., 1912. 47 p.
Hugolin, R.P. Le père Joseph Denis, Premier Récollet canadien (1657-1736). Québec, Imprimerie Laflamme, 1926. 2 vol., ill.
Ouellet, Gérard. Chestien Leclercq - Nouvelle relation de la Gaspésie - Édition critique. Montréal, Éditions de l’Université de Montréal, 1999. 791 p., cartes, ill.