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Les Micmacs aux XVIIIe et XIXe siècles
Thème : Société et institutions

Les Micmacs aux XVIIIe et XIXe siècles. Traditions versus modernité

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 6 juillet 2002


Aux XVIIIe et XIXe siècles, les Micmacs occupent intensément le territoire gaspésien. Leur population est en hausse constante et la nécessité d’en partager les espaces s’impose. Leurs structures sociales et politiques, établies depuis des millénaires, répondent toujours adéquatement à leurs besoins. L’homme guide les destinées de la tribu et la femme y trouve sa place. Leurs us et coutumes, proscrits par les Blancs, présentent toutefois des caractères avant-gardistes qui montrent une société davantage développée que nos stéréotypes nous l’ont toujours laissé croire. 
 
Une population en expansion
 
En conformité avec leurs habitudes de vie, les Micmacs de la Gaspésie s’éparpillent à l’année longue en forêt ou le long de la mer de sorte qu’il a toujours été difficile de les dénombrer. Un recensement de Ristigouche indique qu’en 1760 ils sont environ 350 individus. Ce chiffre laisse croire, au premier abord, à une importante diminution de la population indigène depuis l’arrivée des Blancs. Il faut savoir cependant que les fonctionnaires du gouvernement n’ont pas parcouru les forêts à la recherche des autres groupes micmacs partis à la chasse. Il s’agit donc là que d’une donnée partielle. 
 
En 1811, le groupe micmac de Ristigouche se scinde en plusieurs petites communautés. Certaines prennent le chemin du Nouveau-Brunswick et d’autres s’installent au Québec. Quelques familles se dirigent vers l’embouchure de la Cascapédia où le gouvernement leur accorde des terres en 1833 et forme une réserve quelques années plus tard. D’autres gagnent la baie de Gaspé. Ils y sont moins nombreux et occupent plusieurs sites successifs : le fond de la rivière York, le banc de sable de Douglastown, la Pointe-aux-Morts (possiblement Cap-aux-Os), sur la rivière Dartmouth puis Pointe-Navarre, près de Saint-Majorique. Séparés des Micmacs de la baie des Chaleurs, rapporte Richard Bonnycastle, un visiteur de marque, ils sont treize familles et, bien que celles-ci vivent toujours dans des wigwams à la manière de leurs ancêtres, elles sont déjà, en 1841, sur une bonne voie d’assimilation. Il y a aussi d’autres groupes éparpillés dans la péninsule dont un rencontré en 1833 par l’arpenteur Joseph Hamel le long de la rivière Tartigou, près de Matane. Dans les années 1840, deux autres campements rassemblent quelques centaines de Micmacs près des installations de la famille MacNider, sur les bords de la Métis.
 
Territoire et structure familiale
 
Territoire et structure familiale sont traditionnellement liés chez les Micmacs. Le chef de la tribu réserve à chaque famille le bassin hydrographique d’une rivière. Comme ces étendues varient suivant le relief, le Grand Sagamo détermine le partage de la forêt d’après le nombre d’individus qui la composent. Il faut environ vingt-cinq kilomètres carrés par personne pour qu’un groupe s’assure de conditions de vie décentes. Il doit donc tenir compte aussi de la capacité d’accueil du milieu naturel.
 
La tribu micmaque qui occupe le territoire de la Gaspésie au XVIIIe siècle et dans le premier tiers du siècle suivant compte plus ou moins 500 personnes. Ses membres se réunissent une fois l’an à Ristigouche pour fêter la Sainte-Anne. Cette rencontre est l’occasion d’indiquer ou de confirmer à chaque famille le territoire qui lui est imparti. Le terme famille doit être compris au sens large du mot, c’est-à-dire qu’elle englobe enfants, parents, grands-parents, oncles, tantes et cousins. En général, chaque famille se subdivise d’elle-même en sous-groupes de quatre à douze personnes pour passer l’hiver en forêt et se retrouve au printemps en des points préalablement fixés au bord de la mer. Chaque chef de famille peut s’attacher quelques indigents, orphelins, veuves ou vieillards dans le besoin. C’est là une forme de protection et de soutien social volontaire.
 
L’organisation politique 
 
Chaque province du pays micmac, ou Migmagi, n’abrite qu’une tribu. Celle de la Gaspésie possède un territoire qui s’étend depuis la rivière Ristigouche jusqu’à la rivière Métis, du côté nord de la péninsule. Elle partage avec les autres tribus des Maritimes une langue, encore qu’il s’y trouve des particularités, une histoire et des coutumes communes, mais elle se veut en même temps distincte. L’autorité chez les Gaspésiens, comme chez les autres Micmacs, est assurée par les hommes. En d’autres mots, on a affaire à un patriarcat, mais cela ne signifie pas que la femme est totalement écartée des processus de décision. Le missionnaire récollet Chrétien Le Clercq signale que les femmes âgées ont au moins le droit de parole au conseil de bande. 
 
Le chef micmac ne possède pas une autorité universelle. Il est d’abord choisi pour ses qualités de chasseur, sa dignité, son dépouillement, sa générosité et une combinaison de plusieurs autres critères qui ont tous en commun de déterminer l’homme le plus apte à assurer la survie de la tribu. Mais, par dessus tout, écrit Le Clercq, il doit être l’aîné de quelque puissante famille. Évidemment, l’âge ou des incapacités physiques conduisent à un autre choix s’ils affectent son leadership. Le poste peut devenir héréditaire dans la mesure où les fils affichent les qualités requises. Par exemple, le chef Joseph Glaude, de Ristigouche, qui avait autorité sur les sagami (chefs) de la péninsule gaspésienne dans les années 1760, était fils et petit-fils de chefs micmacs qui lui avaient montré la voie.
 
La condition féminine
 
Le monde micmac est dominé par l’homme, mais les femmes ne sont pas pour autant écartées. Elles ont toutes une place déterminée dans le wigwam et ce dès leur jeune âge. Les adolescentes doivent aider leur mère, apporter de l’eau, entretenir le feu, préparer les peaux. Quant vient le temps de se marier, le soupirant est choisi parmi les membres d’une autre famille pour éviter les problèmes de consanguinité. Il doit demeurer une année chez le futur beau-père et lui prouver sa capacité à pourvoir aux besoins de sa future épouse. Un homme marié peut avoir plusieurs femmes. La maîtresse est celle qui a le premier garçon, ce qui lui confère une autorité sur les autres épouses. Cependant, c’est là une coutume dont on n’est pas sûr qu’elle ait perduré jusqu’aux années 1800. La finalité du lien matrimonial est d’avoir une progéniture pour assurer la survie de la famille et concevoir des enfants hors mariage ne représente pas une honte pour le couple. Ces garçons ou filles naturels sont gardés par la famille de la mère et représentent simplement le signe d’une grande fertilité. En cas de décès du père, c’est encore du côté maternel que les enfants sont placés. Enfin, le divorce, bien qu’il soit rare dans la société traditionnelle micmaque, est permis. En effet, pourquoi demeurer ensemble et se faire souffrir, arguent les Micmacs auprès des missionnaires qui réprouvaient cette coutume. 
 
Les effets de la modernité 
 
Les assauts de la civilisation euro-canadienne commencent à éroder les us et coutumes micmaques à partir des années 1800. Leur habitat se veut toujours dispersé. Temporaire, il répond à des impératifs incontournables, comme celui de se trouver un nouvel emplacement plus riche en faune. Cependant, la société indigène est en phase de transition et cela apparaît dans la description que les observateurs de l’époque font du village de Ristigouche. Au début des années 1840, les wigwams à forme allongée et les tepees à forme conique, plantés à travers les arbres abattus et les souches, commencent à côtoyer des cabanes de planches. L’habillement, disparate, affiche une influence euro-canadienne de plus en plus insistante. L’homme porte le chapeau des blancs et la culotte à la canadienne. La femme se vêt de tissus de coton. « Le costume de leurs ancêtres commence à être mis de côté par les hommes », observe Jean-Baptiste Ferland en visitant Ristigouche en 1836 et Bonnycastle, de passage à Gaspé quatre ans plus tard, a peine à reconnaître dans leurs vêtements les habits d’autrefois. Enfin, la langue ancestrale recule. Bien qu’en 1836, François Coundeau, fils et petit-fils lui aussi de chefs micmacs, s’adresse à l’évêque de Québec en micmac, les langues anglaise et française commencent à être d’un usage courant chez les indigènes de la région. 
 
Bref, la culture micmaque des XVIIIe et XIXe siècles est un monde en transition, que la modernité rattrape. D’un côté, perdure une tradition sociale qui présente encore une forte emprise sur les habitudes micmaques. De l’autre, le contact de plus en plus constant avec la culture blanche impose un renouveau difficilement évitable, comme en rendent compte l’habitat et le vêtement.
 
 
Bibliographie :

Bonnycastle, Richard. The Canadas in 1841. Vol. 2. London (England), Henry Colburn Publisher, 1841. Vol. 2, 338 p.
Ferland, Jean-Baptiste. La Gaspésie. Québec, Imprimerie A. Côté, 1877. 300 p.
Le Clercq, Chrétien. New Relation of Gaspesia. Présentée par W.F. Ganong. Toronto, Champlain Society, l9l0. XI, 452 p., ill., cartes, 25 cm. (Champlain Society Publications, V). 
Mimeault, Mario. Guide de formation pour les animateurs-interprètes du village micmac Gespeg. Gaspé, Conseil de Bande Micmac de Gaspé, 1996. 152 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. « Le vocabulaire micmac de Joseph Hamel – Partie 1 : Contexte linguistique et milieu de vie », L’Estuaire, vol. XXIV, no 2, juin 2001, p. 10-21.
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