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Les Micmacs au XVIIe siècle
Thème : Société et institutions

Les Micmacs au XVIIe siècle. Les premiers contacts

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 5 juillet 2002


L’après-Cartier est l’occasion pour les Micmacs d’entretenir des liens étroits avec leurs visiteurs en les aidant dans leurs opérations de pêche et de chasse. Percé, Pointe-Saint-Pierre et Gaspé sont trois endroits, parmi plusieurs, où l’on voit ces autochtones approcher les pêcheurs européens. Cependant, malgré l’arrivée des Blancs, le peuple micmac continue à vivre en symbiose avec la nature. Nomade, il parcourt les moindres recoins de la Gaspésie et laisse une toponymie à saveur amérindienne. Il vit d’abord de chasse et de cueillette, mais sait aussi emprunter aux nouveaux arrivants ce qu’ils apportaient de bon pour se faciliter la vie.
 
Une identité à géométrie variable
 
Le peuple micmac fait partie de la famille algonquienne, mais il présente la particularité de vivre en bordure de l’Océan atlantique. Le mot Micmac, qui veut dire Alliés, est le surnom que les explorateurs européens lui accolent en raison des liens étroits que les deux parties ont tissés entre elles. Les Malécites, leurs voisins, les baptisent le Peuple de l’eau salée pour des raisons évidentes. Par ailleurs, les premiers missionnaires blancs qui entrent en contact avec les Micmacs, réalisant qu’ils reproduisent des croix sur leurs wigwams et qu’ils en portent accrochées au cou, les appellent les Porte-Croix. Enfin, les intéressés eux-mêmes, les Micmacs, se nomment en leur langue Elnu, ce qui signifie simplement Homme.
 
Le territoire fait partie intégrante de l’identité de ce peuple. À l’arrivée des Blancs, leur domaine couvre déjà toutes les Maritimes actuelles. Il est divisé en sept provinces dont la plus septentrionale est Gespegeoag, la Gaspésie. Les ancêtres du peuple micmac ont occupé la partie nord de cette péninsule pendant des millénaires, mais quand Jacques Cartier passe en Gaspésie en 1534, il ne rencontre de leurs représentants que dans la baie des Chaleurs. À l’occasion des contacts qu’il a avec eux à Paspébiac et à Carleton, il lui est quand même possible de dénombrer environ 400 individus. Ils pourraient cependant être plus nombreux dans la région, compte tenu surtout de leurs habitudes nomades et du fait que le capitaine français n’a pas fait d’arrêt dans les anses de la côte nord-gaspésienne.
 
Les premiers contacts avec les Européens
 
Les premiers contacts avec les Européens ont dû avoir lieu avant le passage de Cartier. Il est manifeste que les Micmacs rencontrés à Paspébiac avaient déjà vu des Blancs. En témoigne surtout le fait qu’ils connaissent l’intérêt des visiteurs pour la fourrure. D’autres indices trahissent un contact antérieur à l’arrivée de l’escadre bretonne. Ainsi, les Micmacs apprennent aux premiers traiteurs blancs que l’animal à grand panache dont ils réclament la fourrure s’appelle orignac. Bien que le nom se soit prononcé orignal avec le temps, il est reconnu que le mot signifie cheval des bois en langue basque. Un autre indice d’une influence européenne, hormis la croix qu’ils portent au cou, est le décalque du lauburu sur la proue de leurs canots ou sur les décorations de leurs boîtes d’écorce. C’est l’emblème du peuple basque.
 
Des avantages réciproques
 
À l’arrivée de Jacques Cartier, les Micmacs sont en guerre contre des ennemis iroquoiens appelés Kwedechs. C’est l’envoyé de François Ier qui constate l’état des hostilités lors de son deuxième voyage. Le chef indien de Stadaconé (Québec) lui montrera des têtes de Toudamans (lire Micmacs dans la langue iroquoienne) dressées sur des piquets. Par contre, les relations que les Micmacs ont entretenues avec les pêcheurs français ont toujours été au beau fixe. Bien sûr, les armateurs n’ont jamais apprécié que ces derniers détruisent leurs échafauds pour en récupérer les clous de fer, un matériau étranger à leur culture, mais d’un grand secours dans la construction de leurs wigwams. En contrepartie, la livraison en prime de fourrures qui viennent combler leurs cales les années de mauvaise pêche compensent on ne peut plus pour cet inconvénient. Au siècle suivant, pendant la Guerre de la Conquête, les Lefebvre de Bellefeuille se féliciteront aussi de les avoir à leurs côtés à Pabos pour repousser des attaques de corsaires anglais.
 
Cette aide présente évidemment sa contrepartie. Les Micmacs étant les premiers contacts des Européens en Amérique, ces autochtones profitent de leur statut pour agir comme intermédiaires entre les nouveaux venus et les peuples installés à l’intérieur du continent. Cette antériorité leur donne un avantage, notamment celui de se procurer des biens qu’ils introduisent par la suite dans leur chaîne commerciale. L’autre privilège attaché à cette collaboration est celui de mettre la main sur des produits technologiques étrangers à leur culture. Comme toute société, ils sont à l’affût de tous ces articles qui, comme le goudron, l’étoupe, les couvertures de laine et les chaudrons de métal, leur facilitent la vie.
 
Lieux d’établissement
 
En raison des liens commerciaux qu’ils développent rapidement avec les pêcheurs et traiteurs français, les Micmacs s’établissent à côté des lieux de pêche. Une carte de la Gaspésie dessinée en 1611 par Marc Lescarbot, le pilote de Samuel de Champlain, indique clairement les lieux où les Micmacs ont installé leurs campements. Tous sont dressés là où les pêcheurs jettent l’ancre en arrivant au printemps : à Gaspé, dans le secteur de Grande-Grave, à la Pointe-Saint-Pierre, c’est-à-dire à l’entrée de la baie de Gaspé, au Barachois-de-la-Malbaie, là où résident, comme par hasard, les premiers missionnaires récollets, à Port-Daniel et à Paspébiac, dans la baie des Chaleurs. Les pères Récollets créeront vers 1677 une mission à Ristigouche, ou Listiguj (Campbellton), où les Micmacs se regrouperont pendant plusieurs générations avant de déménager leurs pénates du côté nord de la baie des Chaleurs, en un nouveau Ristigouche, situé cette fois-ci au Québec. Mais combien de places existent tout autour de la péninsule gaspésienne où les missionnaires ne les suivent pas! Les traiteurs, eux, sont cependant au rendez-vous à Matane (vivier de castor), à Marsoui (pierre à feu), à Pabos (eaux tranquilles), à Paspébiac (barachois), à Miguasha (rochers rouges), à Matapédia (confluent), etc. 
 
Modes de vie traditionnelle
 
Partout où qu’ils soient, les Micmacs conservent leurs modes de vie traditionnelle. Ce n’est pas parce que les missionnaires européens ou les pêcheurs les attirent qu’ils demeurent constamment près d’eux. Ils se déplacent de part en part de la péninsule, passant l’été au bord de la mer où ils cueillent des crustacés et capturent du poisson comme le caplan. Pendant l’hiver, ils s’abritent des intempéries du grand large en gagnant le couvert forestier. Là, ils vivent principalement de la chasse du castor, du chevreuil et de l’orignal, mais aussi de la capture des poissons de ruisseau et de rivière. Nécessité oblige, ils ont mis au point toute une panoplie d’accessoires et de techniques qui leur facilitent la vie. Ainsi pêchent-ils le saumon au flambeau avec une fouine appelée nigog. Ils attrapent le poisson des ruisseaux à l’aide de nasses de leur cru. Ils se sont construit de petits canots qui leur permettent d’effectuer aisément des portages d’un lac à l’autre. Ils en possèdent aussi de plus grands, à rebords élevés en leur centre et courbés vers l’intérieur, grâce auxquels ils joignent des endroits aussi éloignés que la côte nord du Saint-Laurent les Iles-de-la-Madeleine et même Terre-Neuve. 
 
L’arrivée des Blancs n’a finalement pas, dans les premiers siècles de présence blanche, amené les Micmacs à abandonner leurs manières ancestrales de vivre. Elle est plutôt pour eux l’occasion de renforcer des réseaux d’échanges commerciaux déjà créés avant l’arrivée européenne et de les alimenter en produits aussi nouveaux que recherchés. Politiquement, ils occupent dès lors au sein de la société autochtone une situation privilégiée par rapport aux peuplades ancrées à l’intérieur du continent. 


Bibliographie :

Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Le Clercq, Chrétien. New Relation of Gaspesia. Présentée par W.F. Ganong. Toronto, Champlain Society, l9l0. XI, 452 p., ill., cartes, 25 cm. (Champlain Society Publications, V). 
Martijn, Charles A. Les Micmacs et la Mer. Montréal, Recherches amérindiennes du Québec, 1986. 343 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. Histoire régionale – L’être humain dans son environnement – 147-CRQ-05. Cégep de la Gaspésie. Septembre 2002, chapitre 2 : « Les peuples autochtones du Canada et la place de Micmacs ».
Mimeault, Mario. Relation originale du voyage de Jacques Cartier en l534. Gaspé, Musée de la Gaspésie, l984. 111 p., ill., cartes. (Cahiers Gaspésie Culturelle, 2).
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