Thème :
Société et institutions
Une présence millénaire
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 22 juin 2002
Les Premières Nations sont arrivées en Amérique du Nord il y a 35 000 ans. Avec le temps, une avancée du continent s’effectue en direction de l’est et un partage du territoire a lieu. L’usage de la langue permet de démarquer les aires d’occupation de chacune. Au Québec, les deux principales familles linguistiques sont les Iroquoïens et les Algonkiens. Les Micmacs, le peuple Elnu, font partie de la famille des Algonkiens. Ils occupent les Maritimes et la Gaspésie depuis maintenant 8 000 ans. En Gaspésie, leurs ancêtres ont d’abord vécu sur le côté nord de la péninsule, près de la mer. Le milieu est dur. À mesure que les conditions s’améliorent, ils s’éparpillent en forêt et développent des caractères culturels distinctifs, mais ces tribus ne sont pas pour autant isolées. Elles commercent avec l’intérieur du continent.
Les Micmacs, un peuple de la mer
L’être humain habite le Québec depuis 10 000 ans environ. Les Amérindiens, ou Indiens d’Amérique, comme les a définis le géographe Jacques Rousseau, se divisent géographiquement et culturellement en deux familles principales, les Iroquoiens et les Algonquiens. Alors que les premiers s’installent dans la vallée du Saint-Laurent et qu’ils développent des modes de vie centrés principalement sur une agriculture de subsistance, les seconds occupent la forêt et se nourrissent des produits de la chasse. Sorties des rangs algonquiens, quelques tribus ont poursuivi leur route jusqu’aux limites terrestres et se sont arrêtées à l’océan Atlantique. Les sites archéologiques de la Gaspésie se classent parmi les plus anciens témoignages de cette arrivée en milieu maritime.
Nombreux, leur datation témoigne d’une avancée progressive vers l’est. On a exhumé des artefacts amérindiens vieux de 8 000 AA ans à Rimouski, de 6 000 ans AA à Grande-Vallée, de 4 000 ans AA à Rivière-au-Renard et de 2 000 ans AA à Gaspé.
Des arrivants peu nombreux
La plus ancienne période d’occupation humaine pour l’est canadien et la Gaspésie est le Paléo-indien. Il s’étend de 12000 ans AA à 6 000 ans AA. En Gaspésie, le milieu demeure toutefois inoccupé jusqu’à ce que les glaces le libèrent, soit vers 9 800 AA. À leur arrivée, les Amérindiens ne sont pas tellement nombreux. Ils vivent en petits groupes dispersés dans la nature. La végétation est rare et le milieu géographique, ouvert aux quatre vents, est froid. Ces premiers Gaspésiens possèdent ni arcs, ni flèches, mais ils se fabriquent des armes de jet dont les archéologues ont trouvé plusieurs exemplaires à la Martre, Cap-au-Renard et Grande-Vallée. Ces outils sont faits d’un silex verdâtre, caractéristique du milieu nord-gaspésien. Leurs techniques de fabrication s’apparentent à la culture dite Plano, commune à tous les habitants de l’est canadien. Les pointes de silex se caractérisent par des retouches parallèles faites en pelures. L’archéologue Josée Benmouyal a trouvé sur un site de Sainte-Anne-des-Monts un tel nombre d’éclats de pierre qu’il pourrait s’agir, selon lui, ni plus ni moins d’un chantier de fabrication régional. Et comme il a pu établir des rapprochements avec des outils de pierre retrouvés au Nouveau-Brunswick et en Ontario, il croit que les chasseurs-pêcheurs autochtones de la Gaspésie conservaient des contacts étroits avec ces régions.
La Tradition gaspésienne (6 000 AA à 1 300 AA)
Dans une seconde période d’occupation humaine préhistorique, appelée Archaïque, ces autochtones, qui ne sont pas encore les Micmacs d’aujourd’hui, mais qui peuvent quand même être considérés comme leurs aïeux, diminuent considérablement leurs déplacements et commencent à vivre dans une forêt de plus en plus présente dans le paysage gaspésien. L’adaptation à ce nouveau milieu de vie entraîne des ajustements dans les habitudes de vie et les structures sociales. C’est à cette époque que sont probablement apparues les tribus.
Ces ajustements environnementaux et sociaux s’accompagnent de changements technologiques. L’archéologue Benmouyal a trouvé sur les hautes terrasses placées en bordure du fleuve Saint-Laurent suffisamment de caractéristiques distinctives dans le matériel lithique issu de cette période pour la baptiser « Tradition gaspésienne ». Avec le temps, la population amérindienne semble connaître une plus grande densité. C’est du moins de cette manière que Benmouyal explique le nombre croissant de sites archéologiques attribuables à la Tradition gaspésienne moyenne, celle correspondant aux années 4 500 AA à 2 500 AA. Les pointes de projectiles, toujours éclatées en pelures, se font plus rares à mesure que le temps avance. Elles sont aussi plus courtes et plus larges. Elles présentent maintenant une forme triangulaire alors que les précédentes étaient longilignes. Des encoches taillées à leur racine servent de points d’attache au lacet de cuir qui les lient à la pièce de bois. Les hommes utilisent une variété de chert plus grande et des poinçons en os se subtilisent à ceux faits de silex. La chasse occupe une bonne partie des occupations, mais la pêche et la cueillette des mollusques demeurent très présentes.
Le Sylvicole ou Préhistorique tardif (1300 AA à 1534)
Le Préhistorique tardif, en fait le dernier millénaire avant que le Blanc n’arrive, voit les tribus passer plus de temps en forêt. Chose curieuse, les recherches archéologiques n’ont pas permis de trouver en Gaspésie de sites correspondant à cette tranche de temps. Les Européens constateront, lorsqu’ils arriveront, que les autochtones se sont créé des identités tribales et qu’ils se sont taillé des territoires géo-politiques. C’est dans ces années que les Micmacs et les Malécites se cantonnent dans des territoires bien définis. Pour leur part, les Micmacs parcourent les côtes maritimes de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de la Gaspésie.
Les traces qu’ils ont laissées dans la partie nord de la péninsule montrent un début de vie sociale plus organisée. Les archéologues ont, par exemple, dégagé de terre au Ruisseau-Vallée (Sainte-Anne-des-Monts) les bases d’une habitation de six à sept mètres de long, laquelle pouvait abriter plusieurs familles d’une même tribu. La multiplicité des formes dans l’outillage, la diversité des pierres utilisées dans sa fabrication et l’origine extra-gaspésienne de plusieurs matériaux de fabrication trouvés à cet endroit tendent à montrer un contact accru avec l’extérieur. Les petits échantillons d’ossements prélevés dans les autres sites de la côte indiquent que des activités de pêche sont menées en même temps que l’on s’active à la fabrication d’outils. Ne serait-ce pas là l’indication d’une certaine spécialisation, sinon d’un début de partage dans les tâches? Quoiqu’il en soit, l’archéologue Georges Barré a découvert à Cap-Chat des vestiges osseux apparentés à la baleine. Chasse? Certainement pas, mais récupération d’une carcasse échouée, probablement.
Une absence intrigante
Les autochtones seraient, à la fin de cette période, environ 4 à 5 000 individus dans toutes les Maritimes, bien que certains auteurs avancent des chiffres beaucoup plus considérables. En Gaspésie, ils comptent probablement entre 500 et 600 personnes dispersées par toute la péninsule. Les précédentes découvertes archéologiques laissent croire qu’ils se concentrent uniquement sur la côte nord de la Gaspésie, mais il est logique de penser que ces tribus occupent aussi le bassin des rivières de la baie des Chaleurs. Le faible nombre de sites archéologiques mis au jour dans ces secteurs ne signifie pas qu’ils en soient absents. L’explication pourrait davantage se trouver dans une destruction causée par des travaux agricoles, puisque cette partie de la Gaspésie se prête depuis longtemps à ce type d’activités. Les recherches ne s’étant concentrées que sur les bords de la mer, peut-être, aussi, reste-t-il des découvertes à faire à l’intérieur des terres, surtout dans les régions de portage reliant le nord et le sud de la péninsule. Pour sa part, l’archéologue José Benmouyal, constatant l’absence de sites datant de cette période et l’état de guerre existant quand Jacques Cartier arrive en Gaspésie, conclue qu’une poussée démographique des Kwedechs, un peuple de l’intérieur du continent apparenté aux Iroquoïens, a entraîné un recul des Toudamans, nom donné aux hommes appartenant aux peuplades gaspésiennes avant l’arrivée des Blancs.
La préhistoire gaspésienne se caractérise par l’arrivée d’un peuple autochtone non identifié, mais qui ne peut-être que l’ancêtre des tribus micmaques. Sa progression dans le temps et dans l’espace va toujours en s’accentuant. La fabrication de ses outils indique une évolution de ses techniques. Son monde est ouvert aux relations commerciales avec l’intérieur du continent et sa capacité d’adaptation lui permet de vivre en harmonie avec son milieu, la mer et la forêt. C’est ce qui distingue d’ailleurs sa culture de celle des tribus vivant à l’intérieur du continent.
Bibliographie :
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mimeault Mario. L'archéologie à la découverte du passé gaspésien. Gaspé, Musée de la Gaspésie, 1991. 92 p. cartes, ill. (Cahiers Gaspésie culturelle, 6).
Mimeault, Mario. Histoire régionale : L’être humain dans son environnement. Gaspé, Cégep de la Gaspésie, Cours d’histoire – 147-CRQ-05.
Mimeault, Mario. Initiation à l'histoire des Micmacs. Gaspé, Cégep de la Gaspésie. Cours 330 099. Éducation aux adultes/Collégia, Session hiver 1993-1994.
Mimeault, Mario. Guide de formation pour les animateurs interprètes du village micmac Gespeg. Gaspé, 1996. 152 p.