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Coopératisme dans les pêches
Thème : Économie

La naissance du coopératisme dans les pêches en Gaspésie

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 8 août 2002


« Une grande partie de la Péninsule tire encore ses principales ressources des produits de la mer … Nous comptons aussi que vous saurez comprendre vos intérêts et utiliser ce mouvement capable… de vous émanciper des tutelles qui ont jusqu’ici entravé l’essor de vos activités et empêché l’acquisition de votre indépendance économique… ». (Mgr F.-X Ross, mai 1923).
 
Persistance et tradition
 
Dans les années 1930, les techniques de pêche demeurent à peu près les mêmes qu’au siècle précédant. À Cap-des-Rosiers, une barque non pontée est toujours l’outil de capture utilisé pour se rendre sur les hauts fonds du littoral, à un mille ou deux de la côte, et les hommes travaillent encore par deux. Dans la baie des Chaleurs, les pêcheurs utilisent la Barge de Gaspé ou celle de Grande-Rivière. Plusieurs de ces bateaux ont maintenant un moteur, sinon ils conservent leur voile. Montée de trois ou quatre hommes, ces dernières jouissent d’un plus grand rayon d’action, mais, dans les deux cas, la pêche se fait à la main avec un jigger ou une ligne de fond appelée palangre. Le pêcheur trouve ses fournitures au magasin et en paie le prix en fin de saison. Entre-temps, s’il est autonome, sa famille transforme le poisson, le vide, le lave, le sale et le sèche. Les grandes compagnies jersiaises demeurent le seul débouché à sa production, la Robin en tête, mais aussi dix-huit autres concurrents qui s’entendent entre eux pour établir les prix. Et comme tout le monde en Gaspésie produit de la morue séchée-salée, il est impossible de se démarquer. Persiste donc, dans le domaine des pêches, un mode de travail en retrait des nouvelles techniques et une structure commerciale traditionnelle dont le contrôle échappe au producteur, c’est-à-dire le pêcheur. Voilà l’arrière-fond de l’adresse de Mgr Ross en 1923.
 
L’ère des pionniers
 
Déjà en 1909, les pêcheurs tentent sinon de prendre en main le contrôle de leur production, du moins d’infléchir le cours des prix en leur faveur. La « Révolte de Rivière-au-Renard » trouve ainsi son sens. Par après, les pêcheurs se donnent, avec l’appui du clergé, certains nouveaux débouchés italiens (Giuseppe Atlante, la Cie P. Agnesi) et quelques marchands locaux ouvrent leurs portes (Joseph Richard de la Madeleine, Didace Bouchard du Mont-Louis), mais ils sont eux aussi tributaires des lois du marché. 
 
En 1921, le gouvernement du Québec passe une loi pour appuyer la naissance d’un mouvement de coopération dans les pêches. Le nouvel évêque de la Gaspésie, François-Xavier Ross, rencontre, dès son intronisation en 1923, le ministre des Pêcheries et de la Colonisation pour discuter de sa mise sur pied en région. Ce dernier prend tout de suite entente avec la Coopérative Fédérée du Québec pour qu’elle écoule le poisson gaspésien et Mgr Ross charge l’abbé Edmond Plourde d’initier des mouvements locaux. Les deux premières coopératives voient le jour dès le 19 août 1923 à Cap-des-Rosiers et à Saint-Maurice-de-l’Échouerie. Dans les trois années suivantes, une dizaine de sociétés apparaissent entre Carleton et Saint-Maurice. Elles regroupent 400 pêcheurs, le tiers des effectifs de la Gaspésie, et livrent à la Coopérative Fédérée 45 000 kilogrammes de morue dès 1925. 
 
Les coopératives de pêche fournissent à un coût moindre les agrès de pêche à leurs membres ainsi que la gazoline pour ceux qui dotent leur barque d’un moteur. Doublées de coopératives d’approvisionnement et de vente, elles procurent à un meilleur prix la nourriture dont les familles ont besoin en saison morte. Chacune marque ses achats comme au temps des compagnies jersiaises, mais la dette demeure dans le circuit local par le fait de la participation des acheteurs au mouvement de solidarité. En outre, les coopératives remplacent les compagnies dans l’achat et la vente de la morue. Elles en assurent la préparation, la conservation et la classification et lui trouvent un acheteur. Les résultats se mesurent assez vite, constate Mgr Ross. Le prix de la morue monte sur la côte et, à l’opposé, le prix de l’essence tombe de quarante pour cent en un an.
 
Le mouvement est bien parti, mais la crise de 1929 vient fausser les lois de l’offre et de la demande. Par ailleurs, le mouvement coopératif rencontre un problème d’attitude face à la doctrine et aux principes de la solidarité. Par exemple, certaines coopératives vendent leur poisson aux grandes compagnies jersiaises plutôt qu’à la Coopérative Fédérée ou se cherchent directement des acheteurs. Le manque de fonds empêche souvent certaines d’entre elles de donner un acompte au sociétaire qui livre sa morue, avec le désintéressement qui s’en suit. Le manque de soin à la préparation et à la classification du poisson conduit aussi à la perte de clients insatisfaits. Bref, en 1932, il ne reste plus, de la douzaine des coopératives des débuts, que celle de Carleton.
 
La reprise du coopératisme
 
L’analyse de l’échec fait vite comprendre à ses initiateurs la faiblesse fondamentale du mouvement lancé en 1923. L’encadrement du pêcheur, comme il en est du fermier dans l’agriculture, faisait défaut. Mgr Ross relance en 1934 l’idée des coopératives de pêcheurs en collaboration avec le député de Matane et ministre des Pêcheries, Onésime Gagnon, et l’aide de l’université Laval. Il apporte de plus son appui à la création de l’École supérieure des pêcheries de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, laquelle est ouverte en 1938 et reçoit tout de suite cinquante-quatre jeunes pêcheurs. Les prêtres du diocèse de Gaspé et des animateurs ouvrent deux cents cercles d’études et de discussions en région et conditionnent les mentalités. Tout un personnel capable d’encadrer la relance du mouvement, des agronomes, des prêtres, des institutrices, des fonctionnaires, suit des cours sur le mouvement coopératif et ses principes. Tous les moyens de communication aptes à semer l’idéologie sont mis à contribution. De 1938 à 1945, CHNC New-Carlisle diffuse une cinquantaine de conférences sur ses ondes et les journaux régionaux et extra-régionaux sont sollicités. Par exemple, le mensuel Ensemble, organe du Conseil supérieur de la coopération, publie un article spécial sur la Gaspésie en 1941. 
 
Les bases établies, trois coopératives de pêcheurs renaissent au printemps 1939 à Carleton, qui n’avait en réalité jamais arrêté ses opérations, à Rivière-au-Renard et à l’Anse-aux-Gascons. Au mois d’avril, un regroupement de ces forces vives se fait sous l’égide d’une toute nouvelle union, la fédération des Pêcheurs-Unis du Québec, rassemblés sous la présidence du curé Narcisse Riou de Rivière-au-Renard. Cinq autres coopératives locales se joignent à la fédération dans les mois suivant et les adhésions se multiplient, venant des îles de la Madeleine, du Bas du fleuve et de l’île d’Orléans. Dans la péninsule seulement, une vingtaine de coopératives en sont membres en 1945. 
 
À ce moment, le mouvement coopératif rassemble 3 268 pêcheurs dans toute la province de Québec. La Gaspésie compte à elle seule 2 300 sociétaires, soit la moitié des pêcheurs de la péninsule. Le mouvement est relancé. Les travailleurs de la mer sont désormais maîtres de leur industrie.


Bibliographie :

Crevel, Maryvonne. « Les 1ères coopératives de pêcheurs ». Revue d’histoire de la Gaspésie, vol. VII, nos 3-4, p. 142-149.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Larocque, Paul. Pêche et coopération au Québec. Montréal, Éditions du Jour, l978. 379 p., cartes, ill.
Lavoie, Laval. L'érection canonique du diocèse de Gaspé et l'œuvre de Monseigneur François-Xavier Ross. Ottawa, Université Saint-Paul, 1989. Thèse de doctorat. 355 p., carte, ill. Thèse publiée sous le titre Mgr François-Xavier Ross. Libérateur de la Gaspésie. Sainte-Foy, Anne Signier, 1990. 261 p., ill.
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