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La vallée de L’Anse-au-Griffon
Thème : Économie

La vallée de L’Anse-au-Griffon, un milieu de vie autarcique

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 3 août 2002


La vallée de L’Anse-au-Griffon traverse le Parc national Forillon du nord-est en direction du sud-ouest. Habitée par l’homme depuis environ 1850 jusqu’au début des années 1970, elle présente un milieu de vie unique par rapport à son environnement. L’habitat naturel de la côte se veut avant toute chose maritime, mais la vallée elle-même présente un univers agro-forestier qui la distingue et la démarque. Alors que les pêcheurs qui ont habité le bord de la mer ont vécu sous la dépendance des compagnies anglo-normandes, ses habitants ont conservé une totale autonomie.
 
La géographie 
 
La vallée de L’Anse-au-Griffon porte son nom du fait que l’échancrure qui la constitue débouche sur le village de pêcheurs du même nom. Encaissée dans l’Épine de Forillon, une bande montagneuse qui prolonge le versant nord-est de la baie de Gaspé, elle est traversée par un cours d’eau que plusieurs ruisseaux alimentent. Il s’agit de le rivière Griffon, dont le réseau hydrographique s’étend sur près de treize kilomètres de long. La vallée jouit d’un couvert forestier assez dense. Des peuplements de bois francs occupent le terrain plat qui longe la rivière, quelques érablières croissent ici et là et des bouleaux blancs et jaunes forment d’éventuelles réserves de bois de chauffage. L’ensemble de la forêt est dominé par des résineux, épinettes et sapins, et une pinière importante existait aux premiers temps de la colonisation. Un relief relativement plat abrite plus de 4 536 acres de terres cultivables dotées d’un climat sans grands écarts. Enfin, une route, dite Route du portage, la traverse de part en part, reliant le village de pêcheurs à la baie de Gaspé. 
 
L’ouverture à la colonisation
 
L’ouverture de la vallée de L’Anse-au-Griffon à la colonisation a lieu dans les années 1850. À l’époque, le député du comté, John Le Boutillier, aussi propriétaire d’un établissement de pêche au village de L’Anse-au-Griffon, organise l’arpentage du comté. Son gendre, Louis Painchaud, Agent des terres pour le gouvernement, finalise la confection du cadastre en 1850. Les lots sont circonscrits dans une division cantonale et partagés en rectangles taillés perpendiculairement à la rivière Griffon, en quelque sorte un mélange du système seigneurial français et des townships anglais. C’est là aussi un reflet de la population qui habite le milieu, d’ascendance à moitié française et à moitié anglaise. La division des terres est complétée dans les années 1851 à 1855 par l’ouverture d’une route capable de laisser passer des charrettes à cheval.
 
Cet espace, désormais ouvert à la colonisation, arrive on ne peut plus à point pour la jeunesse de L’Anse-au-Griffon qui commence à se trouver à l’étroit. Dès que le tracé routier est achevé en 1855, quarante-cinq titres fonciers sont accordés, quatorze maisons sont construites et les lots sont presque tous vendus avant la fin du siècle. Trois regroupements de colons s’effectuent dans la vallée. Le plus à l’est se concentre près de l’embouchure de la rivière, à proximité du village et autour des moulins à scie que les familles Malouin et Chouinard exploitent en profitant du potentiel hydraulique. Plusieurs des colons forment un second îlot de population en se ramassant au centre de la vallée, là où les terres sont plus dégagées et demandent une préparation du sol moins exigeante. Ils s’y livrent à une agriculture domestique et même commerciale avec le temps. Le troisième regroupement de maisons, le plus à l’ouest, est en un lieu plus accidenté et couvert de résineux. Ici, vivent des bûcherons et des scieurs de bois. L’ensemble donne une occupation de l’espace qui répond aux intérêts des habitants tout en prenant en compte le potentiel environnant.
 
Les activités humaines
 
L’histoire de cette colonisation ne se démarque en rien des autres mouvements du genre, si ce n’est qu’elle se passe en milieu normalement consacré aux pêches. La majorité des gens qui s’installent dans la vallée sont, au départ, officiellement des pêcheurs qui se recyclent en agriculteurs et en forestiers. La transition est forte, mais elle réussit. La vérité veut que leurs pères aient travaillé aussi un peu la terre. Sur les quarante-et-un propriétaires recensés au village de L’Anse-au-Griffon en 1861, trente-sept sont des fermiers-pêcheurs. Les terres de ceux qui migrent dans la vallée font en moyenne cinquante-six acres, ce qui se compare avantageusement aux fermes du comté, inférieures en moyenne à cinquante acres. 
 
Les cultures pratiquées par les fermiers de la vallée de L’Anse-au-Griffon demeurent les mêmes tout au long de l’occupation du sol, jusqu’en 1970 : pommes de terre essentiellement, navets, carottes, blé, avoine, orge et foin pour les animaux. Ils élèvent beaucoup de chevaux pour la ferme et les chantiers ainsi que des vaches, porcs, moutons et volailles pour l’alimentation humaine. La production laitière occupe beaucoup de place. Par exemple, la ferme de la famille English, au centre de la vallée, compte dans les années 1960 une cinquantaine de vaches.
 
La forêt apporte plus de 5 737 acres de boisés pour les occupants de la vallée. À cela, s’ajoutent les parterres de la couronne, sur lesquels les fermiers ont droit de puiser moyennant des redevances. Ils coupent leur bois de chauffage à même les réserves de bouleau, de merisier et d’érable et produisent du bois de douve pour les tonneaux, des billots et du bois équarri. Dans les cent ans de l’occupation humaine qu’a connue la vallée, près d’une vingtaine de moulins ou d’installations de sciage voient le jour. L’un d’eux, celui d’Eddy Chouinard, demeure en opération pendant un peu plus de cinquante ans. Ceux d’Isidore Morin, de la Calhoun Lumber et de Raphaël Malouin restent ouverts entre dix et quinze ans. Ils font de la planche, des lattes et du bardeau. Ces moulins ont créé en trois générations 1 350 emplois et permis, en moyenne, d’abattre, de scier et de raboter annuellement 250 000 pieds de bois mesure de planche. Un calcul rapide, effectué à partir de ces rendements, indique que la planche usinée dans cette vallée pendant les cent ans de son occupation, permettrait aujourd’hui de construire 500 maisons et dépendances pouvant loger 2 000 habitants.
 
Quand des moulins de pâte à papier ouvrent leurs portes à Gaspé, les fermiers de la vallée se tournent vers le bois de pulpe. La compagnie Robin de L’Anse-au-Griffon et de Rivière-au-Renard achète aussi leur bois. Certaines années, entre 1950 et 1960, la firme jersiaise en empile de 500 à 1 000 cordes avant de l’expédier au moulin de Trois-Rivières à bord des caboteurs de Verreault Navigation.
 
La différence imposée par l’environnement dans la vallée de L’Anse-au-Griffon a forgé, en plein milieu maritime, un habitant différent de la côte, capable de vivre selon les critères du système capitaliste et dans une relative indépendance. Enfin, il apparaît que les gens qui y ont vécu se sont affranchis des grandes compagnies de pêche sans nécessairement s’isoler de la communauté.

 
Bibliographie :

Mimeault, Mario. Historique de l’exploitation agro-forestière de la vallée de L’Anse-au-Griffon. Gaspé, Parcs Canada, 1995. 178 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. Esquisse historique de L'Anse-au-Griffon. Gaspé, Parcs Canada, 1995. 134 p., cartes, ill.
 
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