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L’industrie forestière
Thème : Économie

L’industrie forestière en Gaspésie de 1763 à 1875

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 31 juillet 2002


La Gaspésie n’a pas compté que sur son potentiel halieutique pour assurer sa survie. Ses habitants, comme partout ailleurs, ont aussi puisé dans les autres réserves naturelles, la forêt en particulier. En fait, les boisés gaspésiens sont sollicités dès que le marché fait sentir sa demande. Il ne faut d’ailleurs pas grand temps après la Conquête pour que les producteurs envahissent les parterres de coupe de la péninsule. Cet article survole les cent premières années de cette industrie en région.
 
La baie des Chaleurs 
 
Les lendemains de la Conquête voient les gens accorder un grand intérêt au couvert forestier de la Gaspésie. Charles Robin écrit dans son journal qu’en 1765 les habitants de Bonaventure avaient coupé 900 mâts de navire de vingt-et-un mètres de long. C’est Hugh Montgomery, marchand de Québec, qui est le maître d’œuvre. Cela semble sa production annuelle moyenne puisqu’il charge encore quatre pleines cargaisons de mâts à l’automne 1767, rapporte le même informateur. Plusieurs autres petits commerçants, comme Azariah Pritchard, qui reçoit 1 000 acres de terres boisées sur la Petite-Cascapédia vers 1790, possèdent leurs installations de sciage et vendent leur production directement en Europe. Ce commerce prend encore plus d’importance après la fin des guerres napoléoniennes alors que l’Angleterre doit renouveler sa flotte de navires. Plus de 5 000 tonneaux de madriers et de mâts, environ une douzaine de chargements de navires, prennent annuellement et en moyenne le chemin de la Grande-Bretagne entre 1818 et 1822. Un marchand écossais, William Cuthbert, s’installe à cette époque à New-Richmond et construit dans les décennies qui suivent deux centres d’exploitation du bois, un premier à Bonaventure et un second à l’embouchure de la Petite-Cascapédia. Il exploite pin, sapin, bouleau et produit essentiellement du bois de charpente. Ses activités ont une incidence importante au plan de la colonisation du fait que, pour se procurer une main d’œuvre, il fait venir dans la région de New-Richmond plusieurs familles de son pays d’origine. 
 
Presqu’à l’entrée de la baie des Chaleurs, le gouverneur Haldimand achète la seigneurie de Pabos en 1765 et y envoie du matériel pour monter un moulin à scie. Charles Robin, qui passe par là l’année suivante, voit ses équipements en opération. Le bois qui en sort sert à la construction des maisons, aux installations de pêche et à la construction de goélettes, dont une de vingt tonneaux qui vient tout juste d’être lancée. Bien que la seigneurie passe en d’autres mains dans le dernier quart du siècle, l’exploitation forestière se poursuit comme en témoigne le fait que trois moulins à bois font vivre la centaine de personnes de cet établissement en 1800. En visite au village voisin de Port-Daniel en 1836, l’abbé Ferland apprend que quatre ou cinq bateaux chargés de bois avaient pris la mer à partir de cet endroit l’année précédente. Neuf ans plus tard, en 1844, la Gaspé Fishery and Coal Mining Company, acquiert 130 000 acres de terrains boisés dans les environs de Pabos. Elle ouvre des chantiers, construit un nouveau moulin à scie et crée en peu de temps de l’emploie pour plus de 500 personnes. Ses opérations durent six ans et prennent abruptement fin en raison du décès du principal administrateur et d’une gestion aléatoire.
 
Le versant nord de la péninsule
 
Moins de gens habitent le versant nord de la Gaspésie. Aussi, la transformation du bois prend quelques années de retard par rapport au versant opposé. François Buteau, ancien partenaire de John Le Boutillier dans les pêches, loue la rivière Matane en 1843 et lance des opérations de sciage dès l’année suivante. Sans que sa production soit connue, il appert qu’elle a suffisamment d’effets sur le milieu pour faire doubler la population locale en moins de quinze ans. Les quatre-vingt-une personnes de Matane qui se déclarent journaliers en 1843 travaillent probablement pour son compte. La compagnie Price finira par acquérir le moulin en 1864. Dix ans plus tard, L’Opinion publique peut écrire qu’il s’y fait un commerce du bois assez actif, six à huit navires jaugeant de 400 à 500 tonneaux y prenant des cargaisons de bois.
 
Cap-Chat et Sainte-Anne-des-Monts constituent un second pôle de l’exploitation forestière dans cette partie de la Gaspésie. La William Price and Company acquiert des parterres de coupe le long de la Cap-Chat en 1850 et ouvre un moulin à scie qu’elle garde en opération durant sept à huit ans. Théodore-Jean Lamontagne en devient gérant vers 1855. Efficace, ce dernier réussit bientôt à classer, avec une production de 3 033 billots de pin par année, ses installations au troisième rang des usines que la compagnie possède dans le Bas-Saint-Laurent. La pinière qu’elle exploite le long de la Cap-Chat est toutefois assez limitée, couvrant environ 222 kilomètres carrés, de sorte qu’elle abandonne ses opérations en 1858. 
 
Théodore-Jean Lamontagne, qui a le champ libre, se lance à son tour dans la production du bois. Deux facteurs l’avantagent. D’une part, le régime seigneurial vient d’être aboli en 1854, ce qui lui ouvre les boisés de la Sainte-Anne, et, d’autre part, l’économie britannique, en pleine révolution industrielle, a besoin de bois de fuseau pour ses usines textiles. Or le bouleau, essence utilisée à cette fin, est une espèce sous-exploitée en Gaspésie. En plus, les villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre cherchent des planches et des madriers pour la construction résidentielle. Sa compagnie coupe annuellement en moyenne 6 000 épinettes et ses hommes, qui abattent entre 500 et 1 000 billots de pin, pourraient en faire cinq fois plus, écrit un jour Georges Lamontagne à son père, ne serait-ce des limites imposées par le gouvernement.
 
L’extrémité de la péninsule
 
L’extrémité de la péninsule n’est pas moins active dans le commerce du bois. Mieux servie au plan portuaire, elle a de plus une capacité de production illimitée. La famille Le Boutillier, dont les propriétés alimentent quelques moulins à scie dans les années 1840, exploite la forêt de pin de la vallée de l’Anse-au-Griffon à partir des années 1850. Joseph Shaw, un marchand de Wilmot en Nouvelle-Écosse, s’installe à Gaspé en 1851 et se construit tout de suite un moulin à bois. Sa production est suffisante pour envoyer de cinq à sept cargos de bois par année en direction des différents ports anglais. La forêt est si abondante que certaines compagnies jersiaises ne font pas que de la morue. William Fruing complète en 1864 ses cargaisons de poisson de soixante-quatre tonneaux de billots de pin. Les frères Lowndes, qui comptent parmi les plus gros employeurs forestiers de Gaspé, exploitent entre 1869 et 1873 plus de 396 kilomètres carrés de boisés, un bien maigre parterre de coupe comparé à celui de la Édouard Vachon and Company de la Madeleine, qui possède plus de 1 022 kilomètres carrés de forêt. Malgré la crise économique qui secoue l’industrie un peu partout au Québec ces années-là, Vachon et son beau-père Lamontagne expédient huit navires de madriers et de bois carré vers l’Angleterre en 1875.
 
En résumé, l’industrie forestière s’implante en Gaspésie au lendemain de la Conquête quand le marché britannique s’ouvre et que les investisseurs anglais s’installent en région. L’exploitation est en conséquence de la demande et de la nature des produits recherchés. Toutes les espèces commerciales sont mises à profit, pin, sapin, érable, merisier, bouleau. La Gaspésie produit ce que les clients réclament : des billots, des madriers, des planches, du bardeau, du bois de fuseau ou de chauffage, des traverses de chemin de fer. Et, déjà, certains de ses investisseurs se classent au rang des grands producteurs de la province.

 
Bibliographie :

Bélisle, Jean. Historique de Pabos. Montréal, M.A.C., 1980, p. 66-84.
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Frenette, Yves. « William Cuthbert ». Dictionnaire biographique du Canada, vol. VIII, p. 218-220.
Mimeaut, Mario. Théodore-Jean Lamontagne 1833-1909. Sainte-Anne-des-Monts, Les Éditions de la S.H.A.M., 2000. 220 p., carte, index, ill.
Robin, Charles. Journal of Charles Robin giving day by day account of his work in Canada 1767-1787. BAC, 266 p.
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