Thème :
Économie
Théodore-Jean Lamontagne, 1833-1909
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 30 juillet 2002
Les débuts de Théodore-Jean Lamontagne en d’affaires ont lieu dans les villages de Cap-Chat et de Sainte-Anne-des-Monts, sur la côte nord de la Gaspésie. Né en 1833, il arrive en région au sortir de son adolescence. Impliqué d’abord dans le commerce du bois en tant qu’employé de William Price, il ouvre pour son compte un commerce général à la fin des années 1850. La Théodore-Jean Lamontagne et Compagnie diversifie par la suite ses activités, investissant dans l’exploitation des richesses naturelles, autant dans l’agriculture, les pêches que la forêt, et elle parvient à se monter une clientèle qui déborde largement la péninsule. Elle prend même, une fois sur sa lancée, une envergure internationale.
Un jeune à l’avenir prometteur
Théodore-Jean Lamontagne vient de la paroisse de Saint-Gervais et Protais, dans l’arrière-pays de Saint-Michel de Bellechasse. Il y voit le jour en 1833, mais fait ses études secondaires à Rimouski, à la suite de quoi les portes d’un important employeur du Bas-Saint-Laurent, la William Price and Company, s’ouvrent à lui. La compagnie vient tout juste d’acquérir des parterres de coupe à Cap-Chat et l’y envoie. Il n’a que dix-huit ans lorsqu’il débarque dans ce village en 1851. Simple commis au départ, il acquiert de l’expérience puis devient gérant de ses installations de sciage après quelques années. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance d’Angélique Roy. Son union avec la jeune fille, célébrée en 1856, lui permet d’entrer dans le giron d’une famille aux ramifications multiples. On trouve dans ses rangs des marchands, des navigateurs, des constructeurs navals et des agents du gouvernement, en d’autres mots toute une élite susceptible de lui apporter un jour un support économique ou social. Lui-même n’est pas un parti sans intérêt avec sa position de représentant du plus important employeur dans le milieu.
Ses débuts dans le commerce de la morue
Les débuts du jeune Théodore-Jean Lamontagne dans le monde des affaires sont particulièrement intéressants en ce que son cas montre comment un jeune homme sans fortune peut se créer une mise de fonds. Quand Théodore-Jean décide de partir à son compte en 1855, il est toujours à l’emploi de la William Price and Company. Pendant trois ans, jusqu’en 1858, il mène un commerce parallèle à la faveur duquel il achète de la morue séchée et du saumon qu’il revend sur le marché de Québec. Le processus devrait lui apporter des bénéfices suffisants pour ouvrir un jour son magasin, mais un malencontreux naufrage à l’automne 1858 lui fait perdre tous ses acquis.
Le jeune Lamontagne reprend le collier l’année suivante, d’autant qu’il n’a plus le choix, son employeur ayant fermé ses portes. Il s’entend avec un partenaire pour fonder la Lamontagne, Bélanger et Compagnie. Son ami et associé Frédéric Bélanger avance une mise de fond de 4 000 dollars et accepte de gérer un comptoir qu’ils ouvrent à Sainte-Anne-des-Monts. De son côté, Théodore-Jean apporte sa connaissance du milieu, ses contacts avec les fournisseurs et tient un second comptoir à Cap-Chat. La première année de l’entente, d’une durée de cinq ans, hisse la nouvelle compagnie presque sur un pied d’égalité avec la John Le Boutillier and Company de Sainte-Anne et Michel Lespérance du Grand-Étang. Quand Théodore-Jean prend seul le contrôle de son commerce vers 1864, il poursuit son travail de pionnier. Il parvient après dix ans d’opérations à monter un commerce qui se compare avantageusement aux grandes firmes jersiaises, écrit de lui l’inspecteur des pêches Pierre Fortin. En 1870, la Théodore-Jean Lamontagne et Compagnie produit à elle seule 5 000 des 7 635 quintaux de morue de Cap-Chat et de Sainte-Anne-des-Monts.
Le marchand général
Le commerce de Théodore-Jean Lamontagne fonctionne à la manière de la Charles Robin and Company dont il en a étudié le fonctionnement. Or, chacun de ses établissements s’accompagne d’un magasin où les clients et employés de la compagnie s’approvisionnent. Calquant ce modèle, Lamontagne ouvre aussi ses magasins et fournit les pêcheurs en matériel de capture ou leur vend toutes les marchandises sèches et les provisions de bouche dont leurs familles ont besoin pour passer l’hiver. Ce sont là autant d’occasion de multiplier les bénéfices en jouant sur les prix d’achat et de revente.
Allant au-delà du modèle jersiais, Lamontagne fait de son commerce un pôle d’exportation extra-régionale. Ainsi achète-t-il du blé, du foin, du sucre d’érable, du bois franc et une multitude d’autres produits de la ferme de ses nombreux clients et les écoule sur les marchés de Québec, Trois-Rivières ou Montréal. Il possède lui-même sa propre ferme qui lui rapporte plus de 1 300 $ de vente après seulement une année d’exploitation. À côté de ce commerce à caractère agricole, la Théodore-Jean Lamontagne et Compagnie verse dans la quête des profits ponctuels. Toutes sortes d’occasions rentables peuvent de temps à autre se présenter et elle n’en laisse passer aucune. La vente de fourrure et le commerce de la viande sauvage, par exemple, peuvent générer à l’occasion d’intéressantes entrées d’argent. Théodore-Jean entretient d’ailleurs une correspondance régulière avec un cousin de Montréal pour se tenir au courant des prix et expédier ses marchandises aux temps forts du marché.
L’industriel du sciage
Non satisfait d’investir dans le poisson et dans le commerce en gros ou au détail, Théodore-Jean Lamontagne s’intéresse au potentiel ligneux de la Gaspésie. Il ne faut pas oublier qu’il a commencé sa carrière dans l’industrie du sciage et qu’il a accumulé en ce domaine une multitude de contacts précieux. En quittant la région, la William Price and Company lui laisse le champ libre, mais Lamontagne s’intéresse à un autre type de mise en marché que celle favorisée par son ancien employeur. Il faut dire que la demande a changé depuis. La multiplication des quartiers ouvriers dans les villes de la Nouvelle-Angleterre, la construction des chemins de fer et les besoins de l’industrie textile britannique en bois de fuseaux créent de nouvelles opportunités. Les acheteurs ne veulent plus de billes toutes rondes. Ils préfèrent un bois pré-usiné comme des pièces de charpente, des madriers et des planches. Cette diversification de la demande est l’occasion d’augmenter les profits tout en créant de l’emploi en région.
Théodore-Jean investit dès 1862 dans la construction d’un premier moulin à bois avec Marcel Leclerc, un petit industriel de Sainte-Anne-des-Monts. Il supporte le projet à même les matériaux de ses magasins et son partenaire dirige les opérations de sciage une fois les installations complétées. Sa compagnie acquiert par la suite d’autres moulins à scie échelonnés entre Saint-Joachim-de-Tourelle et Cap-Chat. Elle produit principalement des dormants pour les chemins de fer, du bois de construction et du bois de fuseau, mettant à profit les principales espèces commerciales de la forêt environnante. Elle vend sa production en Europe, principalement en France, en Angleterre et en Norvège. En Amérique, elle écoule son bois tant au Canada qu’aux États-Unis.
La crise économique qui a secoué le monde occidental en 1873 ébranle la Théodore-Jean Lamontagne et Compagnie, mais celle-ci surmonte le creux économique grâce à la diversité de sa production. Théodore-Jean en profite même pour planifier son expansion et achète, quatre ans plus tard, les actifs d’un concurrent malheureux, la Nazaire Têtu and Company, installé aux Escoumins et à Sault-au-Mouton, sur la côte nord du Saint-Laurent. Il développe à ces deux endroits des usines de sciage qui comptent rapidement parmi les plus modernes et les plus productives de la province de Québec. Capables de traiter entre 100 et 125 000 billots par année, elles procurent du travail à plusieurs centaines d’employés tant en forêt que dans ses moulins.
Les crises économiques subséquentes ne sont pas sans ébranler les structures de la Théodore-Jean Lamontagne et Compagnie, mais son propriétaire trouve toujours des débouchés au Canada, en Scandinavie ou en Angleterre. Et quand un champ de son action connaît des ratées, que ce soit dans le commerce au détail, la pêche, la forêt ou l’agriculture, il y a toujours une remontée qui se fait sentir dans un autre secteur et qui lui permet de maintenir ses opérations. Quand Théodore-Jean Lamontagne décède en 1909, sa compagnie n’est plus au zénith de sa course, mais elle a tout de même survécu plus de cinquante ans dans un milieu désavantagé au départ par l’apparent éloignement des marchés.
Bibliographie :
Bélanger, Jean-Pierre « Théodore Jean Lamontagne, marchand et entrepreneur (1833-1909) - La correspondance comme source d'investigation du passé », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. XVIII, no 1, janvier 1995, p. 20 à 26; vol. XVIII, no 2, juin 1995, p. 16 à 21.
Mimeault, Mario. Théodore-Jean Lamontagne 1833-1909. Sainte-Anne-des-Monts, Les Éditions de la S.H.A.M., 2000. 220 p., carte, index, ill.