Thème :
Économie
Joseph Cadet
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 17 juin 2002, 2017
Joseph Cadet est un homme d'affaires du Régime français. Il a œuvré pendant plusieurs années dans les pêcheries gaspésiennes à titre de seigneur du Mont-Louis. Sans expérience dans les choses de la mer, il s’associe en 1753 avec un pêcheur aguerri, Michel Mahiet. Son entreprise permet de voir comment patrons et pêcheurs se lient d’affaires au moment des engagements et de quelle manière ils établissent les salaires. Ces ententes demeurent des modèles dans les relations de travail presque jusqu’au début du XXe siècle.
L'homme
Les Cadet comptent parmi les plus anciennes familles de la Nouvelle-France. Les parents et grands parents de Joseph Cadet exerçaient le métier de boucher, mais son père étant mort très tôt, il est initié au commerce de la viande par son oncle Augustin. Joseph Cadet se retrouve au début des années 1740 l'associé du fournisseur du roi, Romain Dolbec. Un contrat d'approvisionnement en viande pour les troupes du roi signé à son compte cinq ans plus tard lui assure une fortune confortable. Prudent, il diversifie ses activités et se lance dans le commerce triangulaire avec la France, les Indes occidentales et la NouvelleFrance. Il expédie notamment aux Indes occidentales des madriers, des briques, de l'huile et de la morue sèche.
Le marchand-prêteur
C'est précisément la nécessité de s'approvisionner en poisson qui explique son intérêt pour les pêcheries de la baie de Gaspé au début des années 1750. Les pêcheurs qui se livrent à leurs activités dans ces parages. Aussi, ne disposant pas toujours des 400 à 600 Livres nécessaires à l’achat des vivres et des agrès de pêche, ils ont recours aux services d’hommes d’affaires de sa trempe. Quand ils viennent le voir, Cadet leur prête la somme requise contre une obligation, un papier notarié par lequel il s’assure le remboursement de leurs achats par la livraison de morue de première qualité. Évaluée à dix Livres à la réception, il la revend vingt Livres, réalisant des profits bruts de 100%, plus qu’un taux d’intérêt ne l’aurait fait.
C’est ainsi que trois pêcheurs basques, Pierre Chevery, Joseph Caillabet et Raymond d'Etchepart, s’adressent à Joseph Cadet en mai 1751. L’emprunt consenti est destiné à l'achat d'équipements de pêche pour lesquels ils hypothèquent solidairement leurs biens présents et à venir jusqu'à la livraison, quatre mois plus tard, de leurs captures à la Grande-Grave de Gaspé. Ce mode de financement présente un double intérêt pour Cadet. D'abord, il possède dans ses magasins des vivres, des ustensiles et des agrès de pêche achetés au prix du gros en France. Dans un deuxième temps, il ne manque pas de les évaluer au prix fort du marché au moment de leur revente. Mais une obligation l'avantage encore plus quand il y inclue une clause lui réservant, une fois la dette acquittée, le premier choix dans le surplus des morues préparées par le pêcheur.
Le seigneur et partenaire en affaires
Joseph Cadet réalise à partir d’expériences de ce type avec des pêcheurs qu’un effort plus structuré lui apporterait de meilleurs bénéfices. Cette optique suffit à expliquer son acquisition par adjudication de la seigneurie de Mont-Louis le 10 avril 1753. Un sérieux problème se pose toutefois au nouveau seigneur. En raison de ses activités principales, il ne peut établir un poste de pêche à Mont-Louis et le faire fructifier en y résidant lui-même. Et c’est sans compter sa méconnaissance des opérations de pêche. Il se cherche donc un associé pour remplir cette tâche et le trouve en Michel Mahiet, un navigateur et marchand établi depuis peu à Québec.
Mahiet vient de Granville, en Normandie, un port de mer d'où partent annuellement bon nombre de morutiers pour la côte de Gaspé. Il termine sa cinquième campagne dans la région lorsque Cadet l’approche et qu’il accepte son offre le 8 mai 1753. Les deux hommes se lient à moitié pertes et profits pour les neuf années à venir pour la pêche, la traite et les droits relevant de la seigneurie. Tous les droits sur le fief de Mont-Louis et tous les bâtiments qui s'y trouveraient construits reviendraient à Cadet en cas de rupture de la société. En contrepartie, ce dernier fournit le nécessaire à l'exploitation du poste de pêche. De son côté, Michel Mahiet s'engage à demeurer en permanence sur la seigneurie, à donner des terres en concession dans le dit fief et à envoyer chaque année toute la morue et les autres produits de la pêche à Cadet, exclusivement et sans en faire le commerce à son profit.
Les conditions d’engagement
La première année des opérations, celle de 1753, le poste de Mont-Louis ne possède pas encore les constructions nécessaires pour recevoir des pêcheurs. Cadet contourne la difficulté en passant des marchés d'approvisionnement avec des producteurs indépendants. Il leur demande de livrer leur morue à la grande grave de Mont-Louis ou à ses entrepôts de Québec. Ce procédé offre d'appréciables avantages pour le marchandprêteur qui n'a pas à se préoccuper de la préparation de la morue. Une fois les installations complétées l’année suivante, Joseph Cadet engage des pêcheurs professionnels. Ces derniers, déjà associés entre eux par équipe de trois, pour constituer ainsi l'équipage d'une chaloupe, lui promettent de livrer toutes les prises effectuées chaque jour et ce jusqu'au 25 août. Après cette date, il leur est possible de pêcher à leur compte.
La rémunération des pêcheurs
La rémunération des pêcheurs varie dans l’entreprise de Cadet. Plusieurs acceptent un salaire mensuel de vingt à trente Livres. D’autres exigent une rémunération qui couvre toute la campagne de pêche. Celle-ci varie de 120 à 160 Livres. Les salaires sont fixés en fonction de l'expérience et de la valeur de l'engagé. L'entrepreneur, dans une troisième voie, paye le pêcheur à raison de tant le quintal (55 kilos ou 112 livres) de morue sèche. Enfin, le maître de chaloupe, celui qui dirige une équipe de pêcheurs sur l’eau, est payé à la pièce, c'estàdire au quintal de morue toute ronde (non évidée). Cependant, Cadet doit s'y prendre autrement pour retenir les services des pêcheurs basques qui travaillaient antérieurement à Terre-Neuve. Il engage Jean d'Etchevery, Jean Furinten et Pierre Chapital en qualité de tierciers, c'estàdire que l'équipage de la chaloupe garde pour son compte le tiers de ses prises, les deux autres allant à l'entrepreneur.
L'engagement de ces ressortissants basques est accompagné d'une avance à valoir, c’est-à-dire que Cadet la récupère sur la part de l'équipe en fin de saison. Les sommes ainsi avancées servent à payer une pension ou à subvenir aux besoins d'une famille. Dans les obligations et les marchés, les frais encourus pour financer l'appareillage de la barque amènent le propriétaire de la chaloupe à demander des avances plus fortes. Elles peuvent varier entre 500 et 700 Livres par chaloupe. Julien Duhamel reçoit 587 Livres 16 sols en effets et argent pour une chaloupe au début de la saison de 1753, et 1 427 Livres 6 sols pour avance l'année suivante, alors qu'il équipe deux chaloupes. Les pêcheurs d'une chaloupe engagent alors solidairement leurs biens meubles et immeubles en cas de non-remboursement des avances.
Cadet et Mahiet montrent une assez grande confiance envers les pêcheurs basques et particulièrement en Raymond Detchepart, Martin Demihourai et Martin Chenequi, à qui ils louent la MarieAnne vers la fin de septembre 1755. En cette fin de saison, la goélette devait transporter la morue prise pour leur compte, une cargaison pouvant représenter plusieurs milliers de Livres. Cadet y trouve encore une fois son avantage puisque l'acte de location lui donne la préférence des morues vertes ou séchées chargées à bord de la goélette. Les trois pêcheurs se voient en même temps confier le soin de caréner la Marie-Anne, de mettre ses agrès et apparaux à l’abri pour l'hiver et de la ramener au poste de Mont-Louis à la première navigation du printemps 1756. Tous trois supportent conjointement les risques du voyage et doivent laisser leurs chaloupes en gage à Mont-Louis. Au printemps suivant, Cadet réengage les mêmes personnes pour la saison d'été et pour passer celle de l'hiver 1756-1757 au poste de Mont-Louis à des conditions semblables.
La fin de l’entreprise
Cette disposition n’est toutefois pas suivie de mesures subséquentes pour assurer la campagne de 1757. Son partenaire Mahiet n'est pas intéressé à renouveler son association. Il s'inquiète des rumeurs qui circulent sur la côte. Il faut rappeler que la Guerre d'Autriche, commencée en 1741 en Europe, entraîne la reprise des hostilités entre la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France. La forteresse de Louisbourg, construite pour protéger la colonie contre toute attaque venant par le golfe et le fleuve Saint-Laurent, succombe lamentablement le 26 juillet 1755. Sa remise à la France, un an après la signature du traité d'Aix-la-Chapelle, n'assure pas plus de sécurité aux postes de pêche qu'elle ne l'avait fait auparavant, d’autant qu’en mars 1756 l'Angleterre déclare la guerre à la France. Un certain Revol, entrepreneur en pêche établi dans la baie de Gaspé, doit repousser à deux reprises une escadre anglaise à l’été 1757. Mahiet, qui avait pressenti ces accrochages, craint manifestement pour sa sécurité et propose une dissolution de société. Après des négociations qui durent une année, Cadet, lui aussi inquiété par le climat de guerre, préfère lui vendre sa propriété.
Bibliographie :
Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Mimeault, Mario. « Les entreprises de pêche à la morue de Joseph Cadet 1751 à 1758 », Revue d'Histoire de l'Amérique française, vol. 37, no 4, mars 1984, p. 557 - 572.
Mimeault, Mario. Destins de pêcheurs, Les Basques en Nouvelle-France. Québec, Septentrion, 2011, p. 126-132.