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Pierre Denys de la Ronde
Thème : Économie

Pierre Denys de La Ronde

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 7 juillet 2002, 2017


Pierre Denys de La Ronde est le fils de Simon Denys de La Trinité. Cette famille est intimement liée au développement des pêches en Gaspésie. L’oncle, Nicolas Denys, fut seigneur de toute la côte atlantique de 1653 à 1687 et le père de Pierre Denys, Simon, l’a aidé à implanter ses entreprises en Acadie avant de s’installer à Québec. Pierre Denys naît en 1631 à Tours, en France, et rejoint son père à Québec vers l’âge de vingt ans. Marchand et membre du Conseil Souverain, lui aussi trouve un intérêt dans l’industrie halieutique. Il acquiert la seigneurie de Percé en 1672 et met sur pied la première entreprise de pêche sédentaire canadienne qui soit documentée.
 
La famille Denys
 
Pierre Denys est probablement venu en Nouvelle-France en même temps que son père Simon Denys en 1650, mais les circonstances de son arrivée à Québec demeurent encore inconnues. Le père et l’oncle Nicolas avaient été arrêtés l’année précédente en Acadie par Charles Menou sieur d'Aulnay et emprisonnés pour dettes dans les geôles de Québec. Il est possible que Pierre ait été amené avec eux comme il a très bien pu rejoindre son père par après. Dépassant à peine la vingtaine, mais doté d’un esprit d’entreprise remarquable, il s’attache presque immédiatement à se tailler une place dans l’économie coloniale. 
 
L’homme d’affaires
 
Trois ans après être débarqué à Québec, il possède une brasserie dans la basse-ville, la seule de la colonie. La même année, il épouse Catherine Le Neuf, une jeune fille de quinze ans, s’alliant par cette union matrimoniale à une des grandes familles de la Nouvelle-France. Toutes les facettes du commerce colonial intéressent de La Ronde, celui de la pêche comme les autres. En 1662, il n’a alors que trente ans, Pierre Denys acquiert deux seigneuries jusqu'alors ignorées de tous, celles de Bonne-Pêche (Cap-Chat) et Bon-Port (Sainte-Anne-des-Monts), sur la côte nord de la Gaspésie. 
 
En fait, ces deux propriétés sont enregistrées au nom de ses fils Simon et Jacques. Leur concession a laissé croire qu'il s'agissait d’une concentration de titres et de propriétés terriennes sans autres buts que de grossir le patrimoine familial. Et cela d’autant qu’aucun poste de pêche n’est réputé avoir été construit à ces endroits. Il faut toutefois rappeler que la famille Denys possède un passé relié de près à l'industrie halieutique. Le père de Pierre Denys avait jadis travaillé dans des établissements de pêche et que son oncle possédait toujours de tels postes au Cap-Breton, à Miramichi et à Percé. La réalité est que Denys de La Ronde a probablement exploité un poste saisonnier, c’est-à-dire que, dans la logique des opérations de ce type, il avait envoyé deux ou trois équipes de pêcheurs travailler à son compte à ces endroits pour les ramener à Québec à l’automne. Ce mode d’opération ne requiert aucunes installations permanentes et ne laisse pas de trace sur le terrain.
 
Le seigneur de Percé
 
Ce qui laisse croire à cette hypothèse, c’est le fait qu’en 1672, lorsque l’intendant Talon songe à lancer une industrie canadienne de la pêche en Nouvelle-France, il se tourne immédiatement vers Denys de La Ronde. Il faut savoir aussi que de La Ronde avait demandé l’année précédente une concession dans le détroit de Canso, mais que le gouverneur Frontenac lui en avait refusé l’octroi, jugeant sans doute cette requête un peu trop offensante pour son oncle Nicolas dont c’était le territoire. Quoiqu’il en soit, c’est à l’incitation de Talon que Pierre Denys de la Ronde investit cette année-là dans un poste de pêche sédentaire à Percé. Le haut fonctionnaire lui concède une bande du littoral gaspésien qui s'étend depuis la pointe Saint-Pierre jusqu'à l'anse de Percé. Il est logique de croire que les autorités lui accordaient ce privilège en contrepartie du refus antérieur. Reste à savoir s’il y a eu entente préalable entre Nicolas Denys et les autorités de Québec car cette concession retranchait une part importante du domaine de son oncle. Les documents n’ont pas encore livré la réponse à cette question.
 
Les premières années, Denis de La Ronde se consacre au développement d’un établissement permanent à Percé et se monte une entreprise crédible. Il amène avec lui quelques équipes de pêcheurs qu’il laisse de temps à autre en compagnie de son jeune fils Simon. Un inventaire de la seigneurie dressé en 1676 indique que la famille Denys de La Ronde se trouve en possession de deux postes. Le premier est érigé à Percé même et sert de base pour la capture et la transformation du poisson. Un second poste se trouve dans l’anse de la Malbaie, à l’embouchure de la rivière, près de la sortie du barachois. C’est là que les installations sont dressées pour passer l’hiver. Elles comprennent une résidence, une maison pour le personnel, des étables pour les animaux, des jardins et un magasin pour les équipements. En 1671, Denys de La Ronde approche les pères récollets, nouvellement arrivés en Nouvelle-France, et ces derniers débarquent à son établissement au mois d’avril suivant. 
 
En association avec Charles Aubert de La Chesnaye
 
Les dépenses pour faire fonctionner son établissement requièrent cependant beaucoup d’argent et Denys de La Ronde se cherche bientôt des partenaires. C’est pourquoi il courtise en 1676 deux hommes d’affaires importants, Charles Bazire et Charles Aubert de La Chesnaye, et les convainc d’investir dans une société en commandite. Ces derniers injectent les sommes d’argent qu'il fallait pour soutenir l’établissement de pêche tandis que de La Ronde s’engage à mener personnellement les opérations sur place. Cette consolidation de ses acquis inaugure bien, mais, malheureusement, Bazire décède l’année suivante et de La Chesnaye fait face à des difficultés financières qui paralysent temporairement ses avoirs. 
 
Comme un malheur n’arrive jamais seul, Pierre Denys de La Ronde, dont la santé laisse à désirer depuis quelques années, tombe totalement aveugle en 1678. La responsabilité du poste de Percé échoit alors en totalité à son jeune fils de vingt ans, Simon. Ce dernier réussit malgré tout à consolider l’entreprise paternelle et à amener une quinzaine de personnes sur l’établissement. Le recrutement est lent, mais il réussit à augmenter le nombre de ses censitaires tant et si bien qu’en 1690 plus d’une trentaine de personnes demeurent en permanence dans la seigneurie de Percé. Cette année-là marque, malheureusement pour la famille Denys, un nouvel épisode de la rivalité qui oppose depuis longtemps la Nouvelle-France à la Nouvelle-Angleterre. Cette dernière planifie une attaque et une déportation de la colonie française. Son mandaté, l’amiral Phips, est précédé de quelques semaines par un corsaire qui détruit l’établissement de Percé de fond en comble et les autres postes français situés à l’embouchure du Saint-Laurent. 
 
Cet incident, sur lequel la famille Denys n’a aucun contrôle, met fin à sa première entreprise de pêche. En ce sens, il signifie pour Pierre Denys un échec, mais qui n’est pas total puisqu’il laisse quand même sur place un premier véritable noyau de pêcheurs gaspésiens.
 
 
Bibliographie :

Desjardins, Marc, Yves Frenette, Jules Bélanger et Bernard Hétu. Histoire de la Gaspésie. Québec, I.Q.R.C., 1999. 797 p., cartes, ill.
Hugolin, R. P. L'établissement des Récollets à l'Isle Percée 1673-1690. Québec, s. éd., 1912. 47 p.
Hugolin, R.P. Le père Joseph Denis, Premier Récollet canadien (1657-1736). Québec, Imprimerie Laflamme, 1926. 2 vol., ill.
Mimeault, Mario. La pêche à la morue en Nouvelle-France. Québec, Septentrion, 2017, p. 65-126.
Zoltvany, Yves-Z. « Pierre Denys de La Ronde », Dictionnaire biographique du Canada, vol. II, p. 185-186.
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