Thème :
Territoire et ressources
Le rocher Percé
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 14 juillet 2002
Le rocher Percé, s’il ne fait pas partie des Merveilles du Monde, n’en n’est pas moins connu au Canada, au point où il est impossible d’imaginer la Gaspésie sans son célèbre monolithe. Ancré à l’extrémité est de la péninsule, il attire à chaque année des milliers de touristes qui, ne serait-ce de sa présence, ne viendraient probablement pas à cet endroit, pourtant charmeur.
Le rocher
Le rocher Percé est une masse de pierre imposante de 475 mètres de long, de 90 mètres à sa largeur maximum et de 88 mètres à la pointe ouest, la plus élevée. Sa structure renferme six millions de tonnes de roches calcaires qui remontent à plus de 400 millions d’années, au temps du Dévonien. Des milliers de fossiles sont emprisonnés dans cette roche : brachiopodes, trilobites et autres espèces invertébrées. Le géographe John Mason Clarke évaluait leur nombre à plus de quatre milliards d’individus pétrifiés. Le phénomène du gel et dégel fait travailler cet amas de pierre et occasionne à chaque année la chute de plus de 300 tonnes de débris. À ce rythme, estiment les spécialistes, le rocher a encore pour vingt mille ans de vie devant lui, au pire treize mille. Autre particularité, le rocher n’est pas une île, contrairement à ce que plusieurs ont déjà écrit. Un cordon de sable et de cailloux le relie à la terre ferme à la hauteur du Mont-Joli, auquel il fut certainement, jadis, relié de cap en cap.
Si le touriste peut approcher le célèbre rocher, il lui est toutefois impossible de grimper sur son sommet, quoiqu’il fut un temps, au début des années 1800, où quelques Percéens grimpaient ses murailles pour aller y quérir quelques tonnes de foin à son sommet. Les familles Duguay et Moriarty auraient réalisé cet exploit. Aujourd’hui, il est interdit d’y grimper, non seulement pour la sécurité des touristes, certains s’y sont tués un an avant son passage en 1836, raconte Jean-Baptiste Ferland, mais aussi pour la protection des oiseaux qui nichent sur le dessus.
Les arches du Rocher Percé
Lorsque Jacques Cartier passe en Gaspésie en 1534, il fait un arrêt forcé de deux jours à Percé. Alors qu’il se montre prodigue de ses descriptions ailleurs dans la région, il ne dit pas un traître mot du rocher. Pourtant, le rocher Percé ne peut être que là, mais serait-ce que sa masse rocheuse ne se démarque en rien de l’environnement, ou bien l’explorateur a-t-il d’autres préoccupations en tête qui l’empêchent de l’étudier? Nul ne le sait. En 1603, Samuel de Champlain raconte, sans donner ses dimensions, que le rocher possède un seul trou par où les chaloupes passent à haute mer et que le visiteur peut le joindre en marchand depuis la terre ferme.
Par la suite, l’apparence du monolithe change continuellement de génération en génération. Des trous apparaissent ou disparaissent suivant les éboulis. Nicolas Denys, arrivé en Nouvelle-France en 1632, voit lui aussi ce trou béant par où une chaloupe de pêcheur peut passer mât debout, mais, en 1672, il écrit qu’il s’en « est fait deux autres depuis qui ne sont pas si grands, mais qui à présent croissent à tous les jours… » Ces deux autres ouvertures disparaissent rapidement car, en 1686, l’intendant Jacques Des Meulles ne fait état que d’un seul trou « par où il peut passer de haute mer une chaloupe avec sa voile. » Et puis voilà qu’en 1724 réapparaît le second trou avec le sieur Jacques L’Hermite, un navigateur en mission d’étude : « après avoir dépassé cette baie (des Morues), lon trouve un roché fort haut proche de terre que lon nomme l’Isle Perséen (parce) qu’elle est persée en deux endroits, les chaloupes passent par un des trous… »
Quand le général James Wolfe débarque en Gaspésie en 1758, un de ses officiers, le capitaine Hervey Smith, exécute un dessin du rocher, lequel montre une masse percée de deux trous géants. Ces deux arches demeurent en place pendant les cent années suivantes. On les voit sur une gravure publiée en 1812 par Georges Cooke de Londres, mais déjà en 1815 l’arpenteur Joseph Bouchette observe « trois arches entièrement formées par la nature. » L’une d’elle est disparue on ne sait quand. La seconde s’est effondrée avec fracas en juin 1846, laissant depuis, seule en mer, une tourelle séparée de la nef rocheuse par un amas de pierre.
Le nom Rocher Percé
Le toponyme rocher Percé remonte aussi loin dans le temps que l’homme en a fait l’observation. Mais quand ce dernier en a-t-il fait la mention une première fois? Pour le savoir, il faut remonter au temps de Jacques Cartier. En arrivant à Percé en 1534, ce dernier appelle la rade cap de Pratto, ce qui, manifestement, dans un contexte où il est établi que les Basques fréquentaient déjà la Gaspésie, signifie en langue espagnole cap du Pré. Le nom ne peut avoir été attribué à l’endroit que par ses prédécesseurs qu’il aura trouvés sur place et de qui il l’apprend au moment de son passage. Mais ce nom ne signifie pas que le rocher était percé.
Une chose est certaine au départ, Samuel de Champlain connaît et utilise le nom rocher Percé. Donc, le toponyme apparaît entre Cartier et Champlain. En fait, le nom Percé se substitue à celui de cap Pratto peu de temps après le passage de Jacques Cartier. Un capitaine de haute mer, Martin de Hoyarsabal, originaire de Ciboure, révèle dans les années 1570 un usage fréquent du mot Percé chez les marins du vieux continent. La dénomination est suffisamment connue pour que le pilote basque désigne ce lieu comme une destination finale pour les navires en partance d'Europe. Les Voyages aventureux qu’il publie dans sa langue en 1579 indiquent de manière détaillée « les routes, ports et ancrages, pour aller du Cap de Ray (T.-N.) aux Iles Perça et de Force-Molues. » À remarquer que Hoyarsabal parle des « Isles » et non de « l’isle Percé », une allusion au groupe que constituent, avec le rocher Percé, l'île Bonaventure et l’île Plate. On les connaît aussi sous le nom des « îles de Gaspé ». C’est ainsi qu’on en trouve la mention quand, le 15 avril 1599, le capitaine Morguy, du Notre-Dame de l’Espérance de Saint-Vincent, emprunte 100 écus des marchands Samuel Georges et Jean Macain pour « faire le voyage de la Terre-Neuve aux Ysle de Gachepé ».
Quel toponyme prévaut alors dans l’univers maritime? Tout dépend probablement de chacun. Pour le père Gabriel Sagard, les trois îles seront encore identifiées « Isles Percées » lors de son passage en Gaspésie en 1628. Le singulier « île Percé » apparaît tout de même assez rapidement dès le début du siècle. Henry Couillard, un bourgeois marinier de Honfleur, envoie son compatriote et débiteur Guillaume Thourou pêcher la morue à « l’île Percé » en 1600.
Bibliographie :
Denys Nicolas, « Description géographique et historique des costes de l'Amerique septentrionale avec l'Histoire naturelle du Pais », Clarence-Joseph d'Entremont, Nicolas Denys et son œuvre, Yarmouth (N.E.), Imprimerie Lescarbot, l982. 623 p., cartes, ill.
De Meulles, Jacques. « Mémoire sur l’isle Percée ». Archives publiques du Canada, MG1 C II D, vol. 2 des transcriptions, p. 197-109.
Giguère, Georges-Émile. Les œuvres de Champlain. Montréal, Éditions du Jours, l973. 3 vol., cartes, ill
Hétu, Bernard, « Géologie et morphologie de la Gaspésie en onze arrêts clés », dans Paul Larocque et coll. Parcours historiques dans la région touristique de la Gaspésie. Rimouski, GRIDEQ, 1998, p. 399-438.
Lepage, André. Images de la Gaspésie au XIXe siècle - Thomas Pye. Québec, Presses Coméditex, 1980. 89 p., carte, ill.