Thème :
Territoire et ressources
La grotte de Saint-Elzéar
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 27 juin 2002
Saint-Elzéar est un village de l’arrière-pays de Bonaventure, dans la Baie des Chaleurs. Ses débuts remontent à 1923, avec l’arrivée des premiers colons, mais la toute nouvelle communauté se voit reconnaître le statut de municipalité qu’en 1965. Et c’est là qu’apparaît un paradoxe : aussi jeune que puisse être ce village, aussi loin remonte son histoire naturelle : de 230 milles ans. En témoigne aujourd’hui une grotte découverte il y a quelques dizaines d’années.
L’histoire d’une découverte
La découverte du plus ancien site spéléologique du Québec se déroule dans la plus simple banalité, à la faveur d’une randonnée de motoneige pendant l’hiver 1976-1977. Renaud Lebrun et Hubert Bourdages, deux chasseurs, parcouraient la forêt tout près de la montagne de la Tour quand ils aperçoivent une vapeur s’échapper du sol. En réalité, il n’y avait là aucune surprise pour eux. Ils avaient entendu les anciens de Saint-Elzéar en parler depuis longtemps. Chacun avait sa petite histoire, un chien perdu, des chasseurs disparus, etc. Aussi, il est normal que les lieux inspirent la crainte et jamais les gens n’avaient trop osé s’en approcher, du moins aller plus loin qu’au bord du trou d’où sortait cette condensation.
La réalité est que des spéléologues avaient déjà visité le village et les environs et ils avaient parlé à ses habitants de la possibilité de trouver un jour une grotte en raison de la formation rocheuse locale. Les deux hommes, informés de cette probabilité, ont donc une bonne idée de ce qu’ils peuvent y trouver. Ils repèrent les abords de l’orifice par où la vapeur s’échappe, mais ils n’osent aller plus loin, faute d’équipement. Ils reviendront, du moins Renaud Lebrun et deux amis. C’est Renaud Lebrun qui est descendu le premier, le 12 décembre suivant. « Nous étions un peu craintifs, nous éclairions dans toutes les directions et nous avons finalement découvert un passage taillé dans le roc, telle une porte qui nous amena dans une seconde salle plus grande que la première. » Point de diable, ni de trou de l’enfer, une simple grotte!
Une grotte
Les spéléologues avaient donc raison. La formation de cette grotte remonte aux temps préhistoriques. Au Silurien (420 millions d’années) et au Dévonien (390 millions d’années), alors que des dépôts sédimentaires s’accumulent au fond d’une mer ancienne, Iapétus. Accumulés sur des centaines de mètres pendant des millions d’années, ces sédiments se transforment un jour en calcaire. Il y a 290 millions d’années, Iapétus se referme et le fond marin, coincé entre les plaques tectoniques, se plisse et forme des élévations rocheuses importantes, les futures Appalaches. Des bandes de calcaire, un matériau de l’écorce terrestre qui est friable et soluble, alternent avec des couches de roche plus dure. Pendant 350 millions d’années, la surface de la terre est érodée et nivelée par les glaciers. Restent dans le sol les parties non encore atteintes des bandes calcaires, larges de 200 à 300 mètres et longues de plusieurs dizaines de kilomètres. L’une d’elles passe par Saint-Elzéar et une autre section apparaît dans le sol au nord du village. C’est dans celle-ci que la grotte dite de Saint-Elzéar s’est creusée.
Les eaux de pluie, en glissant dans les failles du sol, dissolvent le calcaire et agrandissent avec le temps l’ouverture initiale au point de former une grotte. À Saint-Elzéar même, il arrive ainsi qu’un ruisseau de surface disparaisse tout à coup dans une galerie formée il y a quelque 10 000 ans, calculent les géographes. L’endroit est connu sous le nom de Trou-Hector. Un autre ruisseau se perd de la sorte dans la nature tout près du Musée des cavernes. Il a été baptisé le Trou-de-la-Bonne-Femme-Café. Les eaux ainsi perdues resurgissent trois kilomètres plus loin, au sud-ouest de Saint-Elzéar, à soixante mètres plus bas. Les eaux des deux trous arrivent manifestement dans la même grotte souterraine qui est probablement inondée en entier. Celle de Saint-Elzéar n’est donc pas seule dans le paysage souterrain gaspésien, mais elle demeure la seule connue à date dans la région et qui est accessible.
Le géographe Jacques Shroeder a très bien expliqué la lente formation de cette grotte à travers les âges :
« À l’origine, les eaux souterraines ont dissout le calcaire en suivant des fractures subhorizontales. Puis des dômes sont apparus, des galeries et les puits… Le niveau des eaux souterraines s’est par la suite abaissé au fur et à mesure que s’entaillait le vallon tout proche. Ce dernier reculait par érosion régressive, drainant ainsi les eaux du plateau vers le lac Duval en suivant la bande de calcaire… il y a 230 mille ans, les deux salles avaient leur aspect actuel. »
Et pourquoi sait-on qu’il y a de cela 230 mille ans? Tout simplement parce que les stalagmites de la grotte contiennent des métaux radioactifs et que l’étude de leur concentration fait remonter l’origine de leur formation à cet âge. L’autre conclusion permise par l’existence de ces concrétions calcaires est que la grotte était asséchée et qu’elle existe depuis lors dans un état semblable à celui qu’on lui connaît.
La visite de la grotte
Le puits trouvé par les deux motoneigistes mesure trois mètres par quatre et descend en ligne droite sur douze mètres. Le spéléologue amateur, ou touriste, atterrit sur un petit promontoire d’où il a accès à deux salles, placées en opposition l’une par rapport à l’autre. Chacune fait environ, avec les galeries qui les prolongent, une centaine de mètres. Au total, le réseau mesure 200 mètres pour une profondeur de trente-cinq mètres.
La première salle mesure quarante mètres par quatorze. Elle a été baptisée la Grande Salle. Aujourd’hui, des escaliers et des passerelles métalliques permettent aux visiteurs de s’y rendre plus facilement que pour les premiers explorateurs. C’est que le sol, pour y parvenir, est jonché de rochers déboulés du trou d’accès et de blocs tombés des murs. Au bout de la salle, un puits de douze mètres de profondeur a été creusé par les eaux d’écoulement. Le nom lui fut donné à cause des squelettes de carcajous trouvés au fond. L’autre salle a été appelée Salle-des-Ours en raison des crânes découverts à cet endroit. Ces animaux auront été piégés par l’orifice qui donne accès à la grotte. Le plafond de la salle remonte sur dix mètres pour former un dôme que les spéléologues ont baptisé Le Clocher. Elle se prolonge en une galerie interdite aux visiteurs, la Galerie-des-Gours, sorte de petits bassins peu profonds qui recueillent les eaux d’égouttement.
La vie dans la grotte
L’entrée de la grotte a été ni plus ni moins qu’une trappe naturelle pour les animaux sauvages. Les premières impressions de Renaud Lebrun, après avoir descendu le puits d’accès, se rapportent à ces ossements qui jonchaient le sol de part et d’autre. Leur éparpillement traduit simplement le fait que ces mammifères ne sont, malheureusement pour eux, pas tous morts sur le coup et qu’ils ont cherché des voies de sortie. C’est de la sorte que les carcajous ont terminé leurs jours plus loin, au creux d’un autre puits. Deux ours au moins ont péri dans le sous-sol de la grotte. Morts probablement de faim ou des suites de leurs blessures, on a trouvé leurs squelettes dans la salle qui leur doit son nom. Même des squelettes d’orignal, de castor, porc-épic ont été trouvés. Les ossements de plus de 5 000 petits animaux ont été ramassés et répertoriés. Si les restes d’animaux qui vivent encore en Gaspésie sont du nombre, il en est, la musaraigne, le lièvre arctique et le lemming de l’Ungava, qui témoignent par leur présence d’un climat glacial tel qu’il en a existé un en région il y a plus de quinze milles ans.
La grotte de Saint-Elzéar se classe au deuxième rang des formations souterraines du genre au Québec en terme de dimension et se veut la plus importante au plan de sa richesse (nombre et variété) de ses concrétions calcaires. Témoin d’un passé lointain, elle est l’occasion d’une étude d’un riche milieu souterrain que permet un petit Musée des cavernes où on expose les ossements découverts dans la grotte.
Bibliographie :
Collectif. Saint-Elzéar – 1924-1999. S. l., s. éd., 1999, p. 32 ss.
Provost, Pierre. « La caverne de St-Elzéar », Gaspésie, vol. XX, no 2, avril – juin 1982, p. 36-38.
Shroeder, Jacques, Michel Beaupré et Daniel Caron. La grotte de Saint-Elzéar – À la découverte de la Gaspésie souterraine. New-Richmond, Imprimerie Baie des Chaleurs, 1995. 32 p., cartes, ill.