Thème :
Société et institutions
L’archéologie gaspésienne
Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 21 juin 2002
L’histoire de la Gaspésie recule en des temps où il n’est plus possible de trouver des traces écrites de la présence humaine en région. C’est le cas lorsqu’un chercheur se penche sur la présence amérindienne dans la péninsule. Celle-ci remonte à plusieurs millénaires avant aujourd’hui et cette culture n’a laissé que des traces matérielles. L’historien n’a d’autre choix, à ce moment, que de se tourner vers l’archéologie. Or, cette science est présente depuis assez longtemps en Gaspésie et elle a réalisé des découvertes qui apportent une contribution notable à l’histoire régionale, et même nationale par certains de ses travaux.
Une jeune science
L’archéologie canadienne prend forme dans les années 1850. Elle n’est encore qu’un passe-temps pour les personnes bien nanties ou intéressées par les sciences naturelles. Plusieurs démarches notables sont à cette époque entreprises par des scientifiques de la province. Joseph-Charles Taché fils, professeur à l’Université Laval, se livre au sud de l’Ontario à des fouilles sur une ancienne propriété huronne. Narcisse-Édouard Faucher-de-Saint-Maurice dirige en 1877 des fouilles sur la propriété des Jésuites dans le Vieux Québec. L’historien Narcisse-Eutrope Dionne, qui s’intéresse de près à Jacques Cartier, localise les lieux de passage de l’explorateur à Québec. Cela prend cependant encore 100 ans avant que la province de Québec se dote, en 1970, d’une Direction de l’Archéologie et de l’Ethnologie, mais l’archéologie est depuis longtemps active en Gaspésie.
L’abbé Louis-Stanislas Malo
En région, plusieurs hommes de culture et des esprits scientifiques ont trouvé un intérêt à l’approche archéologique. Alors que la discipline n’en était qu’à ses balbutiements dans la province et que la mode était aux cabinets et musées d’histoire naturelle, l’abbé Louis-Stanislas Malo se voit confier la mission micmaque de Ristigouche en même temps que la cure de Carleton, dans la bBaie des Chaleurs. Il arrive en Gaspésie en 1828 et s’adapte rapidement aux us et coutumes de ses fidèles autochtones, allant jusqu’à apprendre leur langue. L’attitude du prêtre canadien-français a d’autant de mérite qu’à cette époque les valeurs amérindiennes sont rejetées par la culture euro-canadienne. Son engouement a ceci d’intéressant qu’il guide un esprit éclairé vers l’étude de la culture micmaque. Pendant des années, raconte Jean-Baptiste Ferland, qui lui rend visite en 1836, l’abbé Malo rassemble dans son presbytère des artefacts et des objets reliés au monde autochtone. Son petit musée précède de quatre-vingt-seize ans ceux de Thomas Del Vecchio à Montréal et de Pierre Chasseur à Québec. Ces deux derniers, ouverts en 1924, présentent à l’instar de celui de Carleton des objets d’histoire naturelle ou en liens avec la culture amérindienne.
Henri-Louis-Joseph Buisson, alias Père Pacifique
Henri-Louis-Joseph Buisson est un père capucin originaire de Valigny en France. Il est davantage connu sous son pseudonyme religieux de Père Pacifique de Valigny. Nommé responsable de la mission de Ristigouche en 1894, il s’attache pendant des années à redonner vie à la culture micmaque. Il rédige notamment une grammaire, des cahiers d’exercices et des livres religieux en langue autochtone. Le père Pacifique obtient en 1936 la permission du gouvernement canadien de retirer des eaux de la Ristigouche l’épave d’un navire qui y avait coulé au moment de la dernière bataille navale du Régime français, Le Marquis de Malauze. Avec tous les objets attenant aux restes du vaisseau, il monte un musée rappelant cette dernière page de l’histoire française au Canada, le Musée de Ristigouche. Le missionnaire capucin rédige en plus une étude critique de la bataille navale qui s’est déroulée en face de sa mission. Il tente à la même occasion de présenter une reconstitution de la coque du navire, une première dans l’histoire canadienne de la science archéologique. Ses travaux de recherche seront repris en 1968 par le Service national des lieux historiques à Ottawa. L’archéologue Walter Zacharchuk consacre cinq ans à la mise au jour des vestiges sous-marins restants et Parcs Canada s’appuiera sur les collections exhumées pour créer le Parc National de la Bataille de la Ristigouche.
John Mason Clark
En 1911, un géologue d’origine gaspésienne par ses parents, John Mason Clark, est directeur du New York State Museum. Il apprend, à la faveur d’expéditions menées dans la baie de Gaspé, que des activités de chasse à la baleine avaient été faites au siècle précédant par des Gaspésiens de souche. Son informateur, Frederick James Richmond, est depuis quelques années ministre anglican à Gaspé et il s’est monté aux cours de ses temps libres une intéressante collection d’artefacts.
La transformation de la graisse de baleine a laissé des traces sur une petite pointe de terre appelée Penouille. Non seulement les fouilles de Clark permettent d’exhumer des fours ayant servi à la fonte de la graisse, mais celui-ci découvre en même temps que le site avait antérieurement été occupé par des pêcheurs français à la fin des années 1750. C’étaient des restes d’un établissement de pêche ayant appartenu à un entrepreneur appelé Pierre Revol. Les résultats de ce travail sont publiés dans The Canadian Antiquarium and Numismatic Journal et les pièces ramassées sont déposées au Musée du Château Ramzay à Montréal. Pour la première fois, avec John Mason Clark, des traces du passé gaspésien sont l’objet d’une tentative d’interprétation dont la rigueur répond aux exigences universitaires du temps.
Roland Provost
L’abbé Roland Provost est un prêtre attaché à la mission micmaque de Maria dans les années 1950 et 60. Il prend goût à la culture micmaque et développe avec le temps des connaissances liées au passé autochtone. Nommé curé de la paroisse de La Martre en 1966, il supervise un jour des aménagements dans le cimetière local et aperçoit des pierres éclatées. Il venait de découvrir le premier site archéologique qui témoignait d’une présence millénaire en Gaspésie, mais aussi le plus ancien dans le nord est du Canada. L’archéologue José Benmouyal, du ministère des Affaires culturelles du Québec, la fait remonter à 6 000 ans avant aujourd’hui. À l’éveil de tous vestiges pouvant effleurer le sol, Roland Provost retrace en 1971 des ossements et des pierres taillées sur un chantier de construction routière à Cap-Chat. Stimulé par ses découvertes, l’abbé Provost fonde en 1977 la Société d’Histoire et d’Archéologie des Monts et crée un Musée d’archéologie et du Patrimoine gaspésien à Sainte-Anne-des-Monts.
À la suite des travaux exploratoires de l’abbé Provost, les archéologues québécois trouvent, dans les années 1970 et 1980, plus d’une trentaine de sites archéologiques préhistoriques sur la côte nord-gaspésienne. Étendant leurs recherches à l’extrémité de la péninsule, ils en localisent une douzaine dans la seule vallée de la rivière au Renard. En 1995, la Corporation du centre d'interprétation d'archéologie préhistorique de la Gaspésie à La Martre « développe un programme de recherche et de mise en valeur du patrimoine archéologique de la région » qui a comme objectif de développer un tourisme culturel.
Les effets du hasard
Pendant ces mêmes années, se produit une découverte fortuite sur les plages de Pabos. En voulant enfouir les restes d’une baleine échouée sur la grève, les excaveurs déterrent les vestiges d’un village de pêcheurs gaspésiens des années 1730 à 1750. Les personnes qui y vivaient travaillaient pour les seigneurs Lefebvre de Bellefeuille, propriétaires de la seigneurie de Pabos. Les archéologues ont, en même temps, trouvé les assises de la demeure seigneuriale et localisé le site de l’église locale. Ces vestiges constituent le plus ancien témoignage et le mieux conservé d’une présence française en milieu halieutique canadien datant de cette époque. Aujourd’hui, le reste du village est dégagé et la Corporation du Bourg de Pabos s’est donnée le mandat de faire connaître cette période aux visiteurs estivaux.
Par leurs travaux, les archéologues ont documenté et fait connaître plusieurs pages de l’histoire régionale, voire même nationale en faisant reculer la présence amérindienne de plusieurs milliers d’années. L’apport de leur science a permis de développer un volet touristique complémentaire aux attraits du milieu naturel et se mesure même désormais en dollars pour la Gaspésie.
Bibliographie :
Ferland, Jean Baptiste. La Gaspésie. Québec, A. Côté et Cie, 1877, p. 213s.
Mimeault, Mario. L’archéologie à la découverte du passé gaspésien. Gaspé, Musée de la Gaspésie, 1991. 92 p., cartes, ill.