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La préhistoire
Thème : Territoire et ressources

La préhistoire

Mario Mimeault, Ph. D. Histoire. Gaspé, 22 juin 2002


Le milieu naturel gaspésien est un des plus anciens au monde. Il remonte à 400 millions d’années. Les éléments de la géographie régionale, ses montagnes, ses anses, ses barachois ont tous vu le jour à la faveur d’une lente évolution de l’écorce terrestre. Plus encore, la région a aussi la chance d’enregistrer pendant ces millénaires les premières manifestations de la vie animale dans l’eau, sur terre et même dans les airs.
 
Le Précambrien gaspésien (700 à 500 millions d’années)
 
La plus ancienne roche jamais datée sur terre aurait 4 milliards d’années. Elle a été trouvée dans les Territoires du Nord-Ouest canadien. Le Bouclier canadien, qui date de ce temps, compte pour sa part parmi les entités géographiques primitives du globe. À la toute fin du Pré-cambrien, 625 millions d’années avant aujourd’hui, la terre forme un immense continent pris comme dans un pain que les scientifiques ont baptisé la Pangée. Les mouvements de la croûte terrestre forment en son centre une ouverture qui devient une mer, Iapétus. C’est là qu’est la Gaspésie, en gestation au fond de l’eau. Les sédiments qui s’y accumulent seront un jour son sol. Pour le moment, Iapétus se trouve sous des cieux tropicaux, mais il n’y a pas d’oiseau dans les airs, pas de vie sur terre, pas de poisson dans l’eau. Juste quelques invertébrés primitifs et des algues.
 
Au début du Paléozoïque (500 000 ans AA)
 
Apparaissent, à cette époque, un début d’atmosphère respirable et une faible couche d’ozone. Des plantes terrestres poussent partout dans la Pangée et les premières classes d’invertébrés marquent l’apparition du règne animal. Les brachiopodes, un type de mollusques, et les trilobites, autre groupe de crustacés marins, se répandent dans la nature et s’incrustent en mourant dans les dépôts sédimentaires de Iapétus. Ils laissent la trace de leur passage à tout jamais imprimée dans la vase. Aujourd’hui, on les retrouve dans les pierres du Rocher Percé, dans les falaises du Parc Forillon, le long de la rivière Saint-Jean et un peu partout dans les montagnes de la Gaspésie, à des hauteurs variables. 
 
Le Dévonien (400 millions d’années AA)
 
Le mouvement de la croûte terrestre resserre les rives de Iapétus, mais, en même temps, une partie de ses fonds marins émerge. Cette terre montagneuse borde la cassure de l’actuel Saint-Laurent, alors que le sud de la péninsule demeure inondé. N’apparaissent en surface de l’espace occupé par l’actuelle Gaspésie que de hautes montagnes qui percent l’eau jusqu’à 400 mètres d’altitude. Ce sont les futures Chic-Chocs, formées, avec le Mont-Albert, des vestiges de la croûte mère. Une grande partie du Québec et de ce qui est maintenant la baie des Chaleurs et le nord du Nouveau-Brunswick forme une mer de corail, preuve que ces eaux baignent sous un climat tropical. Il en subsiste encore des traces dans la région de Port-Daniel, au bord de la mer. Une activité volcanique bouleverse aussi le paysage. Des cônes volcaniques forment des îles. Le volcan du Mont Alexandre s’élève au milieu d’un récif de coraux et sur des couches de sédiments et de laves superposées. C’est la même chose pour le mont de l’Observatoire, entre Murdochville et Chandler, et les montagnes de Sainte-Marguerite, en arrière de Matapédia. 
 
Les premières traces de vie
 
À la fin du Paléozoïque, Iapétus se referme, il y a environ 390 millions d’années. La partie sud de la Gaspésie fait surface. La vie animale prend forme au fond de l’eau et à l’air libre. Le premier animal à avoir jamais marché sur le sol en Amérique du nord fait ses premiers pas à Cap-aux-Os, dans le Parc Forillon. C’est un myriapode ou mille pattes. Il se classe aussi au rang des diplopodes, ce qui veut dire qu’il possède deux paires de pattes sur chacun de ses segments thoraciques. La découverte assez récente, 1989, a été faite sur des pierres de Cap-aux-Os conservées à l’université de Cambridge en Angleterre. Elle tend à montrer que la conquête du sol s’accomplit, en région, en même temps par les arthropodes et les plantes vasculaires. 
 
Une année plus tôt, un zoologiste et paléontologue de l’université de Chicago, observait, sur une roche ramassée aussi à Cap-aux-Os, un insecte long d’un millimètre. Le fossile, un ancêtre du lépisme, aussi appelé « petit poisson d’argent », vivait il y a 390 millions d’années. L’intérêt de la découverte vient de ce que la plus ancienne trace d’un tel insecte datait de 340 millions d’années. Du coup, les plus anciens indices de vie aérienne reculaient de cinquante millions d’années. L’ensemble de ces découvertes scientifiques montre qu’insectes, animaux terrestres et plantes sont apparues en même temps en Gaspésie et forcément aussi dans le monde.
 
Le Lac Miguasha (370 millions d’années AA)
 
À l’époque, selon une hypothèse qui a court depuis longtemps, il existe à la place de la baie des Chaleurs un immense lac de vingt à quarante kilomètres de large. Les scientifiques l’ont appelé Lac Miguasha. De nombreuses rivières y charrient leurs alluvions. Le climat est chaud à cet endroit, la forêt est marécageuse et la vie foisonne d’insectes et de scorpions, mais il n’y a toujours pas de serpent ni d’oiseau. Sur terre, une végétation géante règne. La preuve en a été trouvée accidentellement vers 1980 quand la voirie de Miguasha a dégagé, en creusant un fossé, le tronc d’une fougère dont la tige avait deux pieds de diamètre. 
 
Or, le site fossilifère qui se trouve dans les falaises de Miguasha subissait, selon les dernières hypothèses, le cycle des marées. Les chercheurs ont identifié dans l’alternance des bandes claires et foncées qui apparaissent dans les roches la trace d’un tel phénomène naturel. À la place d’un lac, il y aurait donc eu un immense estuaire dont les rives étaient baignées par l’eau salée. L’identification des nombreux micro-organismes récoltés dans la falaise tend à le confirmer. Par ailleurs, la découverte permet de revoir en partie l’interprétation de la transition de la vie entre les milieux aquatiques et terrestres. Celle-ci serait apparue non pas en eau douce, mais en eau salée. 
 
La fin du Dévonien (350 millions d’années AA)
 
À la fin du Dévonien, la croûte terrestre gaspésienne est toujours en formation. Les activités volcaniques se poursuivent, comme en témoigne le mont Lyall, situé à cinquante-sept kilomètres derrière Sainte-Anne-des-Monts. Des pierres semi-précieuses comme les agathes, les druses et les géodes se sont formées lors d’une éruption de ce volcan il y a 350 millions d’années. Des chercheurs ont dégagé en l’année 2000 une géode de l’argile verte qui l’enveloppait. Elle pèse 500 kilogrammes, la plus grosse jamais trouvée au Québec. Une érosion hydraulique fait aussi sentir ses effets sur le milieu et amène la formation de grottes comme celle de Saint-Elzéar, découverte en 1977. Outre l’intérêt purement géologique attaché à la trouvaille, il y a le fait que se trouve à l’intérieur une formation de corail dont la présence confirme, encore une fois, l’existence d’un climat chaud en Gaspésie.
 
Le Mésozoïque (245 millions d’années)
 
Au Mésozoïque, la chaîne des Appalaches est en fin de formation en raison de la fermeture définitive de la mer Iapétus dont les débris sédimentaires sont coincés entre les masses continentales. Sur terre, c’est l’époque des dinosaures, mais ces derniers n’ont laissé aucune trace en région. Par contre, la morue (Gadus morhua), le poisson le plus important pour l’économie gaspésienne, apparaît il y a 120 millions d’années dans la mer de Thétis, un océan équatorial qui encercle tout le globe terrestre d’est en ouest. Quand cette mer s’ouvre au bassin qui va devenir l’Atlantique, la morue gagne la partie nord de ce dernier océan. Plus tard, au moment de la formation du détroit de Béring, la morue gagnera la Pacifique nord.
 
Le Cénozoïque (66 millions d’années)
 
Le Cénozoïque voit plusieurs glaciations se succéder en Gaspésie et à l’échelle nord-américaine. À la toute fin de la période, l’homme foule le sol en Afrique et ailleurs dans le monde. Il arrive en Amérique il y a plus de 35 000 ans où il progresse en direction de l’est jusqu’à arriver à Rimouski il y a environ 10 000 ans. À cette époque, la péninsule gaspésienne est recouverte d’un glacier qui ne laisse libres que les berges du Saint-Laurent. La croûte terrestre s’enfonce sous son poids de sorte que la mer de Goldwaith inonde en altitude les 100 premiers mètres du sol gaspésien. Il y a environ 5 000 ans AA, des bancs de sable, et les lagunes qu’ils abritent, se ramassent à l’entrée des rivières. Ces bancs sont simplement des cordons sableux, résultats de la rencontre des vagues du golfe qui charrient les graviers et des eaux de décharge des rivières qui transportent des alluvions. Leur assemblage obstrue l’embouchure des cours d’eau qui ravinent la péninsule et emprisonnent derrière eux des eaux où se forment de riches milieux de vie aquatique. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui des barachois.
 
Désormais, tout est en place pour l’arrivée de l’homo sapiens. C’est sur ces bancs de sable que les Amérindiens, puis les pêcheurs européens et canadiens se fixeront aux XVIe et XVIIIe siècles afin de transformer le poisson.
 
 
Bibliographie :

Anonyme. « Le plus vieil insecte du monde a été découvert en Gaspésie », Le Soleil, le 12 novembre 1988.
Dubuc, Bruno. «Une préhistoire salée », Québec Science, vol. 33, no 2, octobre 1994, p. 10.
Giroux, Stéphane. « Chandler au pied d’un volcan », Le Soleil, le 9 novembre 1992.
Michaud, Henri. « Géode record au Mont Lyall », Le Soleil, le 19 août 2000.
Thibaudeau, Carole. « Découverte du premier animal à marcher sur le sol américain », La Presse, A 15, 1er novembre 1989.
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