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Culture
Une œuvre d’art de 1861 : le tableau de la Vierge et l’Enfant dans l’église de Saint-Irénée
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 24 juillet 2002
Plusieurs églises de Charlevoix recèlent des œuvres d’art très précieuses. C’est le cas à Saint-Irénée où se retrouve au milieu du chœur de l’église paroissiale, un tableau représentant la Vierge et l’Enfant. Cette impressionnante réalisation artistique est l’œuvre d’un proche de l’Empereur français Napoléon III et est parvenue de France à la paroisse de Saint-Irénée à l’automne de 1861.
La venue de ce tableau à Saint-Irénée est en soi toute une histoire. Signalons que l’Empereur Napoléon III a dirigé la France de 1852 à 1870. S’intéressait-il au sort des Canadiens français en ce milieu du 19e siècle où les liens entre la France et le Canada paraissent plutôt ténus? Nous ne le savons pas. Toutefois, il est possible d’affirmer que Napoléon III se préoccupe d’un prêtre d’origine française, l’abbé Jules Mailley, qui occupe la fonction de curé de Saint-Irénée d’octobre 1859 à septembre 1865. Il semble même -on ne sait trop dans quel contexte- que l’abbé Jules Mailley est une connaissance, voire un ami, de cet Empereur.
Toujours est-il que l’Empereur Napoléon III, sans doute soucieux de se rappeler au bon souvenir de son ami le curé Jules Mailley, lui fait parvenir par bateau à voile le précieux tableau de la Vierge et l’Enfant à l’automne de 1861. Il était prévu que le tableau soit remis directement au curé Mailley au quai de Saint-Irénée, mais le capitaine de l’expédition ne parvient pas à accoster à cause d’un amoncellement de glaces et le voilier doit continuer jusqu’au port de Québec. Avisé par lettre d’aller chercher son précieux cadeau à Québec, le curé Mailley se trouve obligé de récupérer rapidement l’œuvre d’art de grande valeur et ce à une période de l’année plutôt difficile pour les transports.
Selon la tradition paroissiale, le curé Jules Mailley fait alors appel à un de ses paroissiens parmi les plus avisé et dont le nom est Gilbert Bouchard. Ce dernier accepte ce mandat et il est accompagné d’un autre paroissien plutôt robuste et habitant le secteur de la paroisse nommé le ruisseau jureux mais le nom de ce courageux personnage n’est pas passé à l’histoire. Ce voyage, en calèche à cheval, sur des routes presque impraticables prend dix jours entiers. Les deux hommes doivent demander l’hospitalité, d’un village à l’autre, afin de pouvoir se reposer et se restaurer. Ils reviennent à Saint-Irénée, sain et sauf, avec le tableau en excellent état, mais totalement épuisés. Afin de les remercier pour leurs efforts, le curé Mailley remit à ses deux paroissiens la somme de 4.40$ ce qui apparaît fort modeste de nos jours mais qui fit bien l’affaire des deux voyageurs aventureux. Le tableau de la Vierge et de l’Enfant est alors immédiatement installé dans le chœur de l’église de Saint-Irénée. Il y demeura plus de cent ans.
Poussé par la réforme liturgique de Vatican 11 autour de 1964, un successeur de l’abbé Jules Mailly décide de retirer le tableau centenaire et de le remiser au grenier du presbytère. Autre temps, autres mœurs: cette peinture ancienne apparaît alors désuète à ce curé souhaitant du renouveau. Oublié, le tableau de la Vierge et de l’Enfant s’empoussière et plus personne ne paraît s’en soucier. En 1978, le curé de Saint-Irénée d’alors, l’abbé Jean-Marie Chamberland, retrouve ce trésor perdu au fond du grenier. Il cherche dès lors à en redécouvrir l’histoire qui lui est relatée par un paroissien âgé du nom de Pantaléon Bouchard, le petit-fils de Gilbert Bouchard.
Par la suite, l’abbé Chamberland décide avec l’accord de ses paroissiens de replacer le tableau de la Vierge et de l’Enfant dans le chœur de l’église de Saint-Irénée. Émus, les gens de Saint-Irénée retrouvent ainsi un trésor artistique légué par un Empereur de France à cette petite paroisse de Charlevoix dont le curé fut autrefois un français d’origine ami du régime impérial de Napoléon III. Depuis ce temps, ce tableau fait la fierté des paroissiens, des visiteurs et aussi des curieux qui peuvent l’admirer dans la si charmante église de Saint-Irénée dont la construction remonte à 1842 et qui est donc l’une des plus anciennes de la région de Charlevoix.
Bibliographie :
Chamberland, Jean-Marie. « Saint-Irénée. Un tableau : la Vierge et l’Enfant », Charlevoix, 6, mars 1988, p. 19.