Thème :
Société et institutions
Saint-Aimé-des-Lacs : une paroisse issue d’une querelle de clochers
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 31 mai 2002
Au XXe siècle, il y a plusieurs raisons pouvant susciter la création d’une nouvelle paroisse dans Charlevoix: éloignement de certains paroissiens du temple religieux comme à Notre-Dame-des-Monts (1947), croissance démographique autour d’un développement industriel à Clermont (1931), présence de villégiateurs dans le secteur comme à Pointe-Au-Pic (1917) ou à Saint-Joseph-des-la-rive (1931). En fait, toutes les raisons sont bonnes pour revendiquer une église sur son territoire et aussi la présence d’un curé résident. Toutefois, il est rare, comme c’est le cas pour la paroisse de Saint-Aimé-des-Lacs, qu’une entité paroissiale soit formée sans que ses habitants ne l’aient revendiqué. Le fait mérite certainement d’être expliqué.
L’affaire remonte loin. Dès 1820, le territoire de l’actuelle municipalité de Saint-Aimé-des-Lacs est déjà peuplé. C’est un secteur agricole où les bonnes terres sont rares et où les résidents ne possèdent pas de grandes richesses. Ces gens sont desservis par le curé de la paroisse de Sainte-Agnès sur le plan religieux. Ils font partie de la municipalité de Sainte-Agnès à partir de 1855. Tout cela ne suscite aucune aigreur, cette population est située pour la majorité à proximité de l’église de Sainte-Agnès et quasiment personne ne trouve à redire à ce sujet. Toutefois, ce n’est pas le cas dans le Canton De Sales qui deviendra Notre-Dame-des-Monts où les habitants réclament une église sur leur territoire, jugeant celle de Sainte-Agnès bien trop éloignée. Cette demande fait naître une division territoriale qui amène une scission. Suite à cela, les observateurs malicieux parlent de « la paroisse aux trois églises » en ce qui concerne Sainte-Agnès, Notre-Dame-des-Monts et Saint-Aimé-des-Lacs.
La venue de l’abbé Alfred Girard à titre de curé de Sainte-Agnès est en grande partie responsable de la division du territoire. En 1940, l’abbé Girard fait part de son désarroi à son Évêque dans son rapport annuel: « ...on peut constater qu’il manque dans cette paroisse de l’esprit paroissial... l’église actuelle aurait un besoin urgent de réparations, mais la majorité des francs-tenanciers s’opposent à des réparations parce qu’ils prétendent qu’elle n’est pas bâtie à l’endroit propre à satisfaire aux exigences du plus grand nombre de paroissiens... Toutes autant de misères qui rendent notre situation pénible et ennuyeuse. » L’abbé Girard ne fait pas que déplorer cette situation et il décide bientôt d’agir. Son esprit conciliateur l’incite à imaginer une solution toute diplomatique: construire une église au centre du territoire de Sainte-Agnès afin de réunir tous ses paroissiens autour du nouveau clocher. L’abbé Girard choisit d’ériger le nouveau temple tout près du petit lac Sainte-Agnès dans le secteur actuel de Saint-Aimé-des-Lacs. Il projette de nommer sa nouvelle paroisse Sainte-Agnès-des-Lacs. Son désir de conciliation se frappe toutefois contre le mur de la résistance des habitants du Canton de Sales.
L’église du Petit Lac, comme est surnommée le nouveau temple de l’abbé Girard, est construite à l’été 1941. Tout est fait à la main, sans plan d’architecte. Le creusage des fondations s’effectue à la pelle à cheval. Le ciment est brassé à la main. Le toit s’érige avec des bardeaux de cèdre. À peu près pas d’ouvriers spécialisés participent à cette construction réalisée grâce au bénévolat. La première messe a lieu le 21 décembre 1941 et l’intérieur de l’église n’est même pas encore achevé. La messe de minuit célébrée dans l’église est cependant décevante car le mauvais temps empêche plusieurs paroissiens de s’y rendre. Le curé Girard ne se décourage pas devant l’effort et il demande l’érection canonique d’une nouvelle paroisse.
D’autre part, les résidents du Canton De Sales ne désarment pas. Ils décident de construire une église sur leur territoire. Dès lors, il y a désormais trois églises pour desservir la seule paroisse de Sainte-Agnès à l’hiver 1941- 1942. L’affaire fait beaucoup de bruit. L’abbé Girard se retrouve dans la tourmente. Il ne parvient pas à dissuader les gens de De Sales de renoncer à leur projet. Devant l’ampleur de la contestation l’Évêque de Chicoutimi, Mgr Georges Melançon, choisit de ne pas trancher : il maintient l’existence de la paroisse de Sainte-Agnès dont l’abbé Alfred Bergeron est nommé comme nouveau curé et le 4 décembre 1942, la paroisse de Saint-Aimé-des-Lacs est érigée sur le plan canonique. C’est l’abbé Alfred Girard qui en devient le curé fondateur. Il se retrouve à la tête d’une paroisse naissante dont personne en fait n’avait souhaité la fondation. Pire encore, les habitants du Canton De Sales tiennent bon. Ils obtiennent la création en 1947 d’une nouvelle paroisse sous le vocable de Notre-Dame-des-Monts. Le désir d’unifier la paroisse de Sainte-Agnès du curé Girard a ainsi suscité plus de divisions que de rassemblements.
Par la suite et pour le reste du XXe siècle, les esprits se sont calmés. L’abbé Alfred Girard quitte la paroisse de Saint-Aimé-des-Lacs en 1947. Il ne fut plus nommé dans Charlevoix par la suite. Les églises issues de la scission n’ont pas connu de difficultés financières par la suite. La municipalité de Saint-Aimé-des-Lacs est formée en 1947. Cette localité issue de la division a pris forme revendiquant désormais une identité propre. Pourtant, avec la fin du XXe siècle, le sort des trois églises devient plus incertain. La pratique religieuse a baissé et des inquiétudes surgissent. Sur le plan municipal l’heure est à la fusion: la municipalité de Sainte-Agnès se joint à celle de La Malbaie en 1999, et disparaît après plus de 150 ans d’existence. Pas question toutefois de fusion à Saint-Aimé-des-Lacs et à Notre-Dame-des-Monts où les tensions d’hier demeurent encore à la mémoire des anciens. Mais, qui sait, peut-être qu’au XXIe siècle l’on verra se ressoudre ces paroisses qui se sont si difficilement séparées au milieu du XXe siècle.
Bibliographie :
Gauthier, Serge. Saint-Aimé-des-Lacs. 50 ans d’histoire paroissiale (1942-1992). Saint-Aimé-des-Lacs, Comité des fêtes du 50e de la paroisse, 1992. 55 p.
Gauthier, Serge. « Saint-Aimé-des-Lacs. 50 ans au cœur de Charlevoix », Revue d’histoire de Charlevoix, 28, octobre 1998, 20 p.