Thème :
Société et institutions
L’église de Sainte-Agnès. Un monument historique de Charlevoix
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. Notre-Dame-des-Monts, 30 septembre 2002
Plusieurs églises anciennes de Charlevoix sont disparues suite à des incendies. Il faut signaler notamment: l’église de La Malbaie (datant de 1805, incendiée en 1949), de Baie-Saint-Paul (datant de 1908, incendiée en 1962) de Saint-Siméon (datant de 1900, incendiée en 1980) de Saint-Urbain (datant de 1925, incendiée en 1954) et de Clermont une paroisse qui perd deux églises en moins de cinquante ans (la première datant de 1932, incendiée en 1957; la seconde datant de 1961, incendiée en 1974). Pendant ce temps, l’église de Sainte-Agnès, construite en bois, victime de controverse tout au long de son histoire, ne subit jamais l’assaut des flammes et elle s’impose aujourd’hui comme le plus ancien bâtiment religieux de Charlevoix.
En 1830, la paroisse de Sainte-Agnès est séparée de celle de La Malbaie. La nouvelle paroisse se compose de nombreux rangs dispersés sur un immense territoire dans l’arrière-pays de Charlevoix. Un premier sujet de discorde survient au sujet de la construction de l’église paroissiale: l’Évêque de Québec souhaite voir s’ériger une église en pierre à Sainte-Agnès mais les paroissiens préfèrent une église en bois laquelle est bien moins dispendieuse à construire. L’affaire se complique et le curé du temps, l’abbé Godefroy Tremblay tente de convaincre la population de Sainte-Agnès d’ériger un temple en pierre selon la recommandation de l’Évêché. De 1830 à 1844, Sainte-Agnès demeure sans église et les messes sont célébrées dans la salle paroissiale. Le choix des paroissiens l’emporte finalement en 1844 et c’est une église en bois qui est construite.
La conception des plans de l’église est confiée à l’architecte de renom Thomas Baillargé. Il s’inspire librement du modèle de l’église de La Malbaie de l’époque. Les paroissiens participent par corvée à la construction du temple. L’architecture de l’église est remarquable notamment la voûte, la corniche et les bancs qui demeurent jusqu’à nos jours encaissés à l’ancienne. Trois tableaux magnifiques réalisés par le portraitiste Antoine Plamondon ornent les murs de l’église: l’un d’eux représente la visite du Sacré Cœur à Marie Alacquoque, l’autre l’apparition de la Vierge à Lourdes et finalement il faut signaler un portrait de sainte Agnès, patronne de la paroisse. Le maître-autel de l’église est d’une grande beauté et a été conçu par les frères Villeneuve, une famille de sculpteurs de Saint-Romuald. Le jubé construit en 1850 et allongé en 1878 occupe désormais presque la moitié de la nef de l’église. Au XIXe siècle, les paroissiens se font enterrer dans le sous-sol de l’église sous l’endroit où se trouvent leurs bancs le plus souvent. Cette pratique cause des chicanes paroissiales car l’espace vient à manquer et, avec le temps, un cimetière extérieur adjacent à l’église est érigé.
Malgré la beauté de leur église, les paroissiens de Sainte-Agnès n’en sont pas satisfaits pour la majorité. En effet, un bon nombre des habitants des rangs environnants de Sainte-Agnès se sont regroupés autour de la nouvelle église de Saint-Irénée terminée en 1842. Ainsi, en 1844, l’église de Sainte-Agnès est appelée à desservir une population pour la majorité très éloignée du nouveau clocher. Certains dimanches de l’hiver ou du printemps, près de 75 % des paroissiens ne peuvent assister à l’office religieux.
En 1940, le curé de Sainte-Agnès, l’abbé Alfred Girard, décide de remédier à cette situation en faisant construire un temple plus au centre de la paroisse proche du petit Lac ou lac Sainte-Marie. La paroisse serait alors désignée sous le nom de Sainte-Agnès-des-Lacs et la vieille église de Sainte-Agnès tout simplement fermée au culte. L’affaire s’envenime et la paroisse se retrouve alors avec deux nouvelles églises : celle de Saint-Aimé-des-Lacs construite en 1941 et celle de Notre-Dame-des-Monts ouverte en 1947. Les paroissiens des environs surnomment alors Sainte-Agnès sous le vocable de « la paroisse aux trois églises ». Finalement, la paroisse de Saint-Aimé-des-Lacs est créée en 1942 et celle de Notre-Dame-des-Monts en 1947. Quant à celle de Sainte-Agnès avec sa vieille église, elle subsiste finalement. Mais, à ce moment, la paroisse de Sainte-Agnès ne compte plus que 500 habitants au lieu de plus de 1 500 avant 1940.
L’église de Sainte-Agnès est classée monument historique en 1960. En 1978, une première rénovation de l’église est entreprise par le Gouvernement du Québec avec la réfection du toit. Toutefois, le vieux temple semble en piteux état à la fin des années 1990. Grâce à une subvention de la Fondation du patrimoine religieux du Québec permettant sa réfection, l’église de Sainte-Agnès retrouve sa fière allure d’antan en 2001. Sujette à la controverse mais jamais incendiée dans son histoire, l’église de Sainte-Agnès entreprend ainsi le nouveau millénaire dans la bonne entente puisque tous les Charlevoisiens la reconnaissent désormais comme un joyau inestimable du patrimoine religieux de la région.
Bibliographie :
Gagnon, Patrice (sous la direction de Serge Gauthier). Les églises de Charlevoix: un patrimoine à découvrir. Pointe-au-Pic, CRP de Charlevoix, 1987, p. 27-29.
Gauthier, Serge. « L’église de Sainte-Agnès. Une église, un héritage », Revue d’histoire de Charlevoix, Hors série 1, mai 1994, 20 p.