Thème :
Société et institutions
Transports et communications au XVIIIe siècle. Une culture du rapprochement
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 22 juin 2002
Les amateurs d’histoire se posent souvent cette question: comment vivaient nos ancêtres autrefois? En ce qui concerne le secteur de Baie-Saint-Paul et de Charlevoix, l’impression générale paraît être que la population résidente se retrouve en situation de grand isolement. Or, le « splendide isolement » de la région de Charlevoix n’est qu’une fausse impression. Il existe dans cette région et ce dès le XVIIIe siècle un réseau de communication interne et externe qui permet à ce petit ilot de peuplement d’à peine mille habitants de n’être pas si isolée qu’il apparaît à prime abord. En fait, c’est une véritable culture du rapprochement qui se crée dans ce milieu.
Il est certain qu’au XVIIIe siècle, les habitants de Baie-Saint-Paul, alors partie prenante de la Seigneurie de Beaupré appartenant au Séminaire de Québec, ne disposent pas d’un chemin terrestre les reliant à Québec. C’est une difficulté de moindre importance car à cette époque les déplacements s’effectuent par transport maritime et le fleuve est alors la voie de communication la plus courante. Plusieurs résidents des environs de Baie-Saint-Paul se rendent donc régulièrement à Québec ou à Montréal par bateau. Certains d’entre eux vont même échanger des biens ou encore commercer dans ces villes. C’est aussi l’occasion de visiter des membres de la famille résidants dans ces lieux.
Il reste la saison hivernale où la voie maritime est la plupart du temps impraticable. Le fleuve est alors gelé et ce pour une période de presque six mois (de novembre à avril le plus souvent). Un chroniqueur rapporte que lors du tremblement de terre de 1791, des résidents de l’île aux Coudres se sont aventurés à se rendre à Québec, à leur risques et périls, en longeant la rive du fleuve à pied, afin de chercher du secours. Selon l’abbé Alexis Mailloux, ces hommes aventureux risquent gros : « Mille et mille dangers les attendaient surtout aux endroits où il fallait escalader de hauts rochers avec le danger trop réel de glisser dans les eaux du fleuve. » Il s’agit d’une situation dramatique - qui n’a cependant causé aucun mort - mais peut-être pas si exceptionnelle que cela pour la population de l’île aux Coudres habituée à traverser le fleuve en canot sur les glaces en hiver afin de se rendre sur la rive nord.
Pourtant, le temps de l’hiver n’est pas si pénible que cela. Les habitants de Baie-Saint-Paul et de la région s’amusent ferme durant cette période où le travail agricole s’interrompt pour un temps. Les habitants se visitent entre eux durant cette période. Il y a des soirées de danses et des parties de cartes. Ces gens possèdent un solide sens de l’humour et selon le botaniste suédois Pehr Kalm, de passage à Baie-Saint-Paul en 1749, les femmes de ce pays chantonnent toujours quelques chansons où se trouve le mot « amour ». C’est donc assurément d’une culture du rapprochement dont il s’agit.
Une des plus belles coutumes relatives au désir des gens de Baie-Saint-Paul et de la Côte-nord de communiquer avec l’extérieur nous est rapporté par l’auteur Philippe Aubert de Gaspé. Cette pratique liée à la fête de la Saint-Jean-Baptiste consiste à élever des feux et par un système de signaux de fumée à communiquer avec la population de la rive sud. Ce réseau de communication fort original est ainsi décrit :
« vous plairait-il...de me dire ce que signifient toutes ces lumières qui apparaissent simultanément sur la côte du nord, aussi loin que la vue peut s’étendre ...ce sont les gens du Nord, qui, la veille de la Saint-Jean-Baptiste, écrivent à leurs parents et amis de la côte sud. Ils ne servent ni d’encre, ni de plumes pour donner de leurs nouvelles. »
Les même signaux lumineux proviennent de la côte sud et il est possible d’apprendre entre autres, après l’isolement du long hiver, combien de naissances ou encore de décès sont survenus dans chacune des paroisses des deux rives.
Bien sûr, les responsables du Séminaire de Québec décrivent souvent le secteur de Baie-Saint-Paul comme étant en retrait de leur Seigneurie de Beaupré. Cette population est au XVIIIe siècle desservie pour les services religieux surtout par des prêtres missionnaires, même si à Baie-Saint-Paul il y a un curé résident à partir de 1685. Peu importe, ces gens du nord ne se sentent pas isolés et ils cherchent à se rapprocher. Ils apprennent ainsi au quotidien à vivre dans un contexte géographique certes contraignant mais sans jamais se couper totalement du monde extérieur.
Bibliographie :
Aubert de Gaspé, Philippe. Les anciens Canadiens. Montréal, Beauchemin, 1946. 279 p.
Boily, Raymond. Le guide du voyageur à la Baie-Saint-Paul au XVIIIe siècle. Montréal, Leméac, 1979. 133 p.
Mailloux, Alexis. Histoire de l’île-aux-Coudres. Montréal, Comeau et Nadeau, 1998. 91 pages.
Perron, Normand et Serge Gauthier. Histoire de Charlevoix. Québec, PUL-IQRC, 2000. 387 p., voir p. 110-114.