Thème :
Culture
Peintres populaires de Charlevoix (1930-1960)
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 19 juillet 2002.
La présence de villégiateurs et de touristes à La Malbaie, au début du 20e siècle, suscite de nombreux échanges culturels. La création artistique des peintres populaires de Charlevoix, dans les années 1930 et 1940 tout particulièrement, s’inscrit dans ce processus. Ces peintres dit « naïfs » ou populaires ne possèdent pas de formation académique et leur travail est soutenu par des villégiateurs anglophones.
Dès le 19e siècle, avec la venue des paquebots de la Croisière du Saguenay, l’artisanat produit dans Charlevoix est très en demande chez les touristes anglophones de passage. Il s’agit le plus souvent de couvertures et de pièces de literie ou encore d’accessoires de lingerie. Ce n’est qu’avec les années 1930 que Maud Cabot et Patrick Morgan, des newyorkais installés pour la saison estivale au Domaine Cabot non loin du village de La Malbaie, soutiennent des artistes-peintres issus du milieu charlevoisien. Patrick Morgan, lui-même un artiste-peintre, s’intéresse grandement à l’art dit primitif. Il tente donc de susciter dans Charlevoix une création artistique produite par des artistes qu’il décrit comme « naïfs » ou populaires.
Maud Cabot et Patrick Morgan organisent à Pointe-au-Pic entre 1934 et 1939 des expositions d’art et d’artisanat. Ils invitent des peintres locaux à exposer lors de ces événements mondains regroupant tout le gratin des estivants du secteur de Pointe-au-Pic et de La Malbaie. Maud Cabot et Patrick Morgan orientent aussi la création de ces peintres qui produisent surtout des tableaux dont les thèmes racontent la vie populaire dans Charlevoix ce qui plaît grandement aux touristes en quête de pittoresque. Cabot et Morgan permettent donc la création du mouvement des peintres populaires de Charlevoix et sans eux cette démarche artistique n’aurait pas existé de manière aussi formelle.
Plusieurs artistes populaires de Charlevoix s’imposent grâce aux efforts de Maud Cabot et de Patrick Morgan. Il faut noter les sœurs Bouchard de Baie-Saint-Paul et surtout Simone-Mary, Yvonne et Blanche Bolduc de Baie-Saint-Paul, Robert Cauchon de Clermont, Alfred Deschênes de Cap-à-l’Aigle, Philippe Maltais de La Malbaie et Georges-Édouard Tremblay de Baie-Saint-Paul qui offre au public, en plus de ses tableaux, des murales de laine produites dans son atelier de Pointe-au-Pic. Ces peintres dits « primitifs » attirent l’attention de la critique et des milieux artistiques canadiens et américains. Quelques-uns d’entre eux voient leurs œuvres exposées à New York. Simone-Mary Bouchard est même acceptée au sein de la Montreal Contemporary Arts Society et elle expose en même temps que des peintres aussi importants que Paul-Émile Borduas, Alfred Pellan, Stanley Cosgrove.
Le mouvement des peintres populaires se fige toutefois dans la reproduction de scènes traditionnelles. Les sujets retenus sont le plus souvent: les travaux et les jours; la famille; la religion; les grands moments du quotidien paysan comme les divers rites de passage (baptêmes, mariages, funérailles). Avec la présence de la Croisière du Saguenay et des villégiateurs dans Charlevoix, ces thèmes trouvent facilement un public amateur de scènes champêtres. Toutefois, la disparition de cette Croisière et le fléchissement de la présence de villégiateurs notamment anglophones à Pointe-au-Pic réduit l’intérêt pour les œuvres de ces peintres populaires. Comme il n’existe pas à proprement parler de marché local pour cette création, le mouvement des peintres populaires de Charlevoix ne survit que difficilement après 1960.
Le travail de Maud Cabot et de Patrick Morgan a néanmoins laissé des traces. Certains peintres populaires de Charlevoix ont marqué l’histoire de l’art régionale et nationale. Tout particulièrement le tourmenté Robert Cauchon avec ses œuvres parfois hallucinantes de douleur, la plus calme Yvonne Bolduc qui, le long de la route nationale passant devant sa maison à Baie-Saint-Paul a pu exposer ses œuvres qui ont ainsi rejoint un large public touristique ou encore Simone-Mary Bouchard dont l’élan artistique est freiné par la maladie. Ce courant des peintres populaires témoigne maintenant d’une autre époque et soumis à l’orientation de Cabot et Morgan il n’a pas dépassé la mode artistique et intellectuelle qui le soutenait. De nos jours, les peintres de Charlevoix vont chercher une formation et ne sont vraiment plus « naïf » ou primitifs. Il y a peu de place dans l’art contemporain pour une peinture aussi traditionnelle et rudimentaire que celle des peintres populaires et pourtant le travail de ces artistes charlevoisiens demeure un témoignage sur une époque aujourd’hui révolue.
Bibliographie :
Baker, Victoria A. Images de Charlevoix. Montréal, Musée des Beaux-Arts de Montréal, 1981. 178 p.
Voir aussi ce film produit par l’Office National du Film disponible sur vidéo :
Les peintres populaires de Charlevoix. Réalisateur : Jean Palardy. 1947. 21 minutes.