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La chasse aux marsouins
Thème : Économie

Pour la suite du monde. La chasse aux marsouins dans Charlevoix

Christian Harvey, Historien, Société d'histoire de Charlevoix, La Malbaie, 13 mars 2002

 

La chasse aux marsouins est aujourd’hui une activité disparue. Il ne demeure plus pour témoigner de cette pratique que le film de Pierre Perrault Pour la suite du monde ou des textes historiques comme celui de l’abbé Alexis Mailloux dans son Histoire de l’île aux Coudres. Le marsouin (ou béluga) est une petite baleine chassée d’abord par les Montagnais et, à la fin du 16e et au début 17e siècles, par les Basques. Des pêches sont exploitées par la suite dans plusieurs secteurs de Charlevoix suivant la technique employée par les Amérindiens. La chair et l’huile du marsouin sont alors recherchées. Sensibles à cette donnée, les Messieurs du Séminaire de Québec font l’acquisition de la seigneurie de l’Île-aux-Coudres afin de tirer profit de cette pêche lucrative. Elle assure ainsi un revenu d’appoint à plusieurs habitants de l’île qui s’en font rapidement une spécialité. Après 1870, cette chasse décroît avant de cesser au début des années 1920. 
 
Ce que les Charlevoisiens nomment marsouins et les Amérindiens adhothuys, est le béluga du Saint-Laurent. En fait, le terme marsouin désigne un animal proche du dauphin, vivant dans l’Atlantique. Le béluga est pour sa part une petite baleine blanche mesurant entre 3 à 4,5 mètres. La femelle et le mâle peuvent peser jusqu’à 900 et 1 400 kilos. La graisse représente près de 35 % du poids total de l’animal. Il se retrouve principalement dans l’hémisphère nord notamment dans l’estuaire du Saint-Laurent et dans le fjord du Saguenay. Ainsi, le marsouin des Charlevoisiens est le béluga du Saint-Laurent. 
 
Dès 1535, les récits de Jacques Cartier décrivent pour la première fois ce mammifère étonnant pour un Européen : « [nous] eûmes connaissance d’une sorte de poissons (sic) lesquels il n’est mémoire d’homme avoir ni vu ni ouï. […] et sont assez faits par le corps et teste de la façon d’un lévrier, aussi blancs comme neige et sans aucune tache; et il y en a moult grand nombre de dans le dit fleuve qui vivent entre la mer et l’eau douce. Les gens du pays les nomment adhothuys; et nous ont dit qu’ils sont fort bons à manger ». Le marsouin est alors connu et chassé par les Amérindiens depuis longtemps. Les Montagnais en apprécient la chair. Il est à peu près certain que des pêcheurs basques sont venus entre 1580 et 1630 dans la région chasser la baleine, dont notamment le marsouin. L’huile de ce mammifère est alors une production lucrative se vendant sur les marchés européens. Cette chasse est ensuite exploitée suivant la tenure seigneuriale par des engagés au service des seigneurs ou donnée à bail à des colons installés dans la région. Des pêches sont ainsi tendues le long de la zone riveraine de Charlevoix. À l’île aux Coudres, la chasse aux marsouins constitue l’activité économique privilégiée par le seigneur du lieu. 
 
Les Messieurs du Séminaire de Québec font l’achat en 1687 de la seigneurie de l’Île-aux-Coudres. Le contrat de concession comprend les battures en plus du territoire même de l’île. Les Messieurs du Séminaire s’intéressent alors, avant même la concession de terres aux colons, à l’exploitation du marsouin dont l’huile possède une valeur commerciale intéressante. L’acte de concession interdit toutefois d’effectuer la traite avec les Amérindiens et d’installer des résidents autre que ceux du Séminaire. L’interdiction est levée en 1710. Toutefois, c’est seulement 8 ans plus tard que l’établissement de colons sur l’île débute. Ces premiers habitants s’installent sur la Côte à la Branche, lieu où les pêches à marsouins sont tendues. La pêche aux marsouins permet à ces premiers habitants de pouvoir compter sur un revenu d’appoint aussi très profitable au Séminaire du Québec. La technique utilisée par les habitants de l’île aux Coudres est empruntée aux Amérindiens : « Quand la marée est basse, on plante dans la vase des piquets assez près les uns des autres, et l’on y attache des filets en forme d’entonnoirs, dont l’ouverture est assez large; de sorte néanmoins que, quand le poisson (sic) y a passé, il ne peut plus la retrouver pour en sortir. On a soin de mettre en haut des piquets des bouquets de verdure. Quand la marée monte, ces poissons (sic) […] s’engagent dans les filets, et s’y trouvent enfermés à mesure que la marée baisse […] ». 
 
La pêche aux marsouins s’effectue également dans d’autres secteurs de la région. François Hazeur, seigneur de La Malbaie, déçu par la traite du castor tente de compenser ses pertes et fait installer en 1702 des pêches à la pointe aux Alouettes (aujourd’hui Baie-Sainte-Catherine). L’exploitation cesse à sa mort en 1708. Au début de la décennie 1720, le directeur du Domaine d’Occident, François Cugnet, établit des pêches à marsouin à Cap-aux-Oies, à l’Échafaud aux Basques, à la pointe aux Alouettes et au Moulin Baude, près de Tadoussac. L’exploitation cesse en 1724 en raison de la faible rentabilité de l’entreprise. 
 
La chasse au marsouin est par la suite pratiquée sur une base régulière dans la région. En plus d’utiliser les pêches afin de capturer le marsouin, les habitants utilisent également le harpon notamment à Baie-Sainte-Catherine. Après 1870, la chasse au marsouin connaît un ralentissement important bien qu’elle ne se termine qu’à la fin des années 1920. En 1963, lors du tournage du documentaire Pour la suite du monde par Pierre Perrault, la chasse au marsouin n’est plus qu’une pratique délaissée depuis près d’une trentaine d’années par les habitants de l’île aux Coudres. 
 
Cette chasse a eu une importante certaine sur l’évolution de la population de marsouin. À la fin du 19e siècle, 10 000 à 20 000 bélugas peuplent l’estuaire du Saint-Laurent. En 1969, il en reste moins de 350. Toutefois, la pollution croissante du fleuve liée à l’accroissement de l’activité industrielle a également joué un rôle important dans la chute de la population. À la fin des années 1990, après l’interdiction de la chasse et l’adoption de mesures visant à la protection de l’espèce, plus de 1 000 marsouins (estimation) peuplent l’estuaire du Saint-Laurent. Aujourd’hui, le marsouin fait le plaisir des milliers de visiteurs venus effectuer une croisière aux baleines dans le secteur de Baie-Sainte-Catherine et de Tadoussac. 


Bibliographie :

Paul Médéric. Messieurs du Séminaire, « Cahiers d’histoire régionale », Série A, 2, Baie-Saint-Paul, 1975, p. 9-10. 
Alexis Mailloux. Histoire de l’île aux Coudres. Réimpression, Montréal, Burland-Desbarats, 1998, d’après l’original paru en 1879, p. 16.
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