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Le loup-garou
Thème : Culture

Le loup-garou de l’Échafaud-aux-Basques

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. Notre-Dame-des-Monts, 26 septembre 2002

 

Entre les localités de Saint-Siméon et de Baie-Sainte-Catherine, se trouve un hameau un peu perdu le long du fleuve qui, au XIXe siècle, était habité par quelques dizaines de personnes. Ce lieu se nomme l’Échafaud-aux-Basques parce qu’autour de 1570 et jusque vers 1600, des pêcheurs basques venaient y installer des échafauds afin de faire sécher la morue qu’ils prenaient dans le fleuve Saint-Laurent. Sur ce site, l’on retrouve aussi des fours à chaux construits par ces Basques dont le souvenir n’est resté aux gens du secteur que par l’appellation du site donnée par des marins français du XVIIe siècle.
 
Échafaud-aux-Basques... L’endroit est paisible au XIXe siècle. Quelques habitants tentent de cultiver le sol ingrat de ce secteur. Ils vivent pauvrement. Nombre d’entre eux s’apprêtent à quitter ce misérable hameau qui sera déserté dès le début du XXe siècle en ne laissant plus de trace du petit village isolé qui y existait encore au XIXe siècle. Il y avait même un bureau de poste sur place depuis... La postière était une gentille demoiselle un peu solitaire nommée Laure-Louise. Nous ne savons que son prénom. Il ne reste à son sujet qu’une histoire légendaire. Une histoire de loup-garou. La tradition orale rapporte cette légende depuis des dizaines d’années sous le nom de Laure-Louise et le loup-garou.
 
La pauvre Laure-Louise de l’Échafaud-aux-Basques trouvait parfois sa vie bien monotone. Il y avait un peu de courrier, mais finalement pas tellement puisque les habitants de l’Échafaud-Aux-Basques ne savaient pas écrire pour la majorité. Alors Laure-Louise rêvait et imaginait des lieux étrangers et se berçaient d’illusions croyant que le monde ailleurs était bien plus joli que son triste et monotone quotidien à Échafaud-aux-Basques. Mais un jour tout changea. Un jeune homme sauvé miraculeusement des glaces. Les filles de l’Échafaud-aux-Basques sont vite séduites par le beau jeune homme et Laure-Louise n’échappe pas à cette attirance: “ As-tu vu ses yeux, couleur de mer, se disaient-elles, et comme il est triste souvent ”. Le bel inconnu se rendait d’ailleurs souvent au bureau de poste et Laure-Louise s’en éprit bientôt. Ce fut le grand amour.
 
L’étranger était un solide gaillard. Habile avironneur, remarquable chasseur, il revenait son canot rempli d’outardes, de canards, de bruants...Laure-Louise l’accompagnait souvent dans ses périples. Mais le beau jeune homme dont elle ignorait même le nom allait-t-il demeurer à l’Échafaud-aux-Basques? Pensait-il à la demander en mariage? Il savait pourtant être chaleureux avec elle mais dans ses yeux elle décelait un triste regard qui semblait dire:
 
« Oui, partir, partir... »
 
Et Laure-Louise était triste de cela. Le soir, l’étranger dansait avec beaucoup de rythme. Il paraissait infatigable. Mais lorsque le vent commençait à hurler, il semblait qu’il était comme appelé par une voix. Et les vents sont souvent terribles à l’Échafaud-aux-Basques. Laure-Louise le savait bien et, une nuit, elle entendit un long appel dans le vent, comme une plainte humaine. Le lendemain, l’étranger demeura introuvable. Un vieux pêcheur de l’Échafaud-aux-Basques remarqua pourtant des traces de pas se dirigeant vers la côte. Ces pas qui devenait progressivement ceux d’un loup se rendaient jusqu’à la mer. C’était l’étranger et il était redevenu un loup-garou.
 
Nul ne le revit par la suite. Laure-Louise pas plus que les autres. La pauvre fille ne se maria jamais. Les vieilles de l’anse à l’Échafaud-aux-Basques racontèrent longtemps cette triste histoire. Puis tout le monde quitta l’échafaud-aux-Basques. Mais l’histoire est toujours racontée et dans le vent frisquet de l’automne certains anciens de l’Échafaud-aux-Basques résidant désormais ailleurs croient encore entendre l’appel de l’étranger et ils se disent simplement:
 
« L’étranger reviendra encore, car il la cherche toujours! »


Bibliographie :

Revue d’histoire de Charlevoix, 22, septembre 1995, p. 26-27.
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