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Louis Simard dit l’Aveugle
Thème : Culture

Louis Simard dit l’Aveugle (1850-1918). Le troubadour du Royaume du Saguenay

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 27 mars 2002

 
 
Parmi les nombreux quêteux parcourant Charlevoix au 19e et au 20e siècle, Louis Simard dit l’Aveugle demeure le plus pittoresque. Né à l’île aux Coudres en 1851, il est baptisé à Saint-Irénée le 23 juin de la même année. Affligé d’une cécité partielle dès sa naissance, Louis Simard aggrave son cas à l’âge de quarante ans en appliquant sur ses yeux un remède à base de bourgeons de peuplier. Il est de ce fait atteint d’une cécité complète. Peu lui importe, il part sur les routes de Charlevoix, du Saguenay, de la Côte-Nord avec sa petite charrette qu’il tire avec la seule force de ses bras. Il ne perd jamais en chemin. Louis Simard dit l’Aveugle devient le troubadour par excellence du Royaume du Saguenay.
 
Au long de ses voyages, Louis l’Aveugle transporte peu de bagages, sinon ses instruments de musique qu’il a lui-même fabriqué et qui le suivent partout: un violon, un accordéon, une flute, une petite harpe à percussion qu’il nomme sa « bioune » et un ocarina. Pour le reste, il retient dans sa tête des merveilles à dire et à chanter: chansons folkloriques, contes, légendes, fabliaux comiques parfois un peu irrévérencieux et voilà le spectacle peut commencer. Louis Simard dit l’Aveugle est à lui tout seul un homme-spectacle. Il livre aussi les lettres et les messages. Il apporte des nouvelles fraîches venant d’ailleurs. Son passage dans une localité s’avère une réjouissance attendue par tous.
 
Au début de chaque printemps, le trajet de l’Aveugle est déterminé à l’avance. Il part du rang des Mille-Vaches (aujourd’hui le secteur de Saint-Paul-du-Nord sur la Haute-Côte-Nord) pour se rendre à Saint-Irénée dans Charlevoix, lieu de son baptême, où le 26 juillet de chaque année à l’occasion de la Fête de Sainte-Anne, il va se confesser. Par la suite, L’Aveugle se dirige vers Chicoutimi et même parfois jusqu’au Lac-Saint-Jean. Il s’arrête aussi un peu plus longtemps à Pointe-au-Pic où il s’installe sur le quai, non loin du débarcadère où arrivent les touristes et villégiateurs de la Croisière du Saguenay. Ces visiteurs, anglophones pour la plupart, octroient de généreux dons au chanteur aveugle.
 
La population de Charlevoix accueille avec joie Louis L’Aveugle. Ce dernier n’a pas son pareil pour animer une soirée. Il peut chanter et jouer de la musique plusieurs soirs de suite, sans jamais paraître fatigué. Bien qu’aveugle, il sait reconnaître les belles filles de chaque village et selon les observations de plusieurs d’entre elles, il sait les pincer au bon endroit! Il va sans dire que les filles se méfient quelque peu du personnage, mais pas les garçons qui tentent parfois de lui jouer des tours : 
 
« Un jour qu’il était en visite à Saint-Alphonse, nous, les gamins, le voyant venir, voulûmes lui jouer un tour et lui faire peur. Nous nous cachâmes derrière une touffe d’aulnes et attendîmes son passage. Mais il s’arrêta subitement à une trentaine de pas de notre cachette. Après quelques instants, il cria : « vous voulez me faire peur, vous’aut’, hein, les jeunes! « Ça prendra pas! ». Et, en effet, ça ne prit pas. Nous lui demandions un peu après comment il avait décelé notre présence. « Il y en avait un qui fumait ». nous expliqua-t-il tout simplement. » (Voir Potvin, Damase. La Baie des Hahas!. Chicoutimi, Chambre de commerce de la baie des Hahas, 1957. p. 312-313.) 
 
Louis Simard n’a rien à craindre sur les routes pourtant mal entretenues de Charlevoix et du Saguenay. Partout, la population l’attend avec joie. C’est un bout-en-train impayable et passer une soirée avec l’Aveugle c’est à coup sûr s’amuser ferme. Même le millionnaire Rodolphe Forget l’invite à l’occasion à son Domaine Gil’Mont de Saint-Irénée. La réputation de Louis L’Aveugle grandit encore en 1916 alors que Marius Barbeau le rencontre dans Charlevoix. Le folkloriste décide d’enregistrer la voix de Louis l’Aveugle sur des cylindres de cire Edison. Plus de 90 chansons du répertoire de l’Aveugle sont ainsi enregistrées et ce matériel est déposé aux archives du Musée National de l’homme à Ottawa (aujourd’hui Musée des civilisations à Hull). La complainte antique racontant l’histoire des amoureux « Pyrame et Thisbée » reste le morceau le plus étonnant recueilli par Marius Barbeau (Le Saguenay Légendaire. Montréal, Beauchemin, 1967. p. 83-84) auprès de Louis L’Aveugle. Cette chanson comprend 250 vers dont voici quelques extraits :
 
Deux jeunes cœurs jadis
D’amour étaient épris
D’une égale tendresse
Tous deux beaux et charmants
Dont Pyrame est l’amant
Et Thisbée la maîtresse
 
Babylone était le lieu
D’où il venait tous deux
D’une illustre famille
Ils étaient si parfaits
Qu’on disait qu’ils étaient
Les plus beaux de la ville
 
En fait, Louis Simard s’impose comme une sorte de troubadour issu en quelque sorte directement du moyen âge. Peut-être le dernier de cette sorte dont le nombre étaient si grand dans l’Europe médiévale, au temps des bâtisseurs de cathédrales. Louis Simard meurt des suites de la grippe espagnole le 25 octobre 1918. Marius Barbeau qui aurait souhaité pouvoir encore enregistrer cet artiste d’une autre époque a cependant rencontré sa nièce :
 
« Marie Martel, sa nièce, maintenant âgée et aux cheveux blancs, me dit qu’il mourut paisiblement chez elle comme un enfant. Un matin d’octobre, il était assis dans sa berceuse immobile. Elle l’appela : « Oncle Ti-Louis! ». Point de réponse! Elle lui toucha la main, elle était froide. » (Le Saguenay Légendaire. Montréal, Beauchemin, 1967. p. 83-84)
 
Disparaissait alors avec Louis Simard dit l’Aveugle un artiste exceptionnel, un troubadour unique, peut-être le dernier du genre au Royaume du Saguenay. 
 


Bibliographie :

Gauthier, Serge. L’homme-spectacle. La Malbaie, Musée régional Laure-Conan, 1981, p. 21-27 (Louis Simard dit l’Aveugle).
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