Thème :
Économie
Les goélettes dans Charlevoix. Au temps du cabotage
Christian Harvey. Historien. Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 26 septembre 2002
Les goélettes de Charlevoix ne sillonnent plus le fleuve. Certaines comme l’Accalmie à Baie-Saint-Paul - autrefois le M.P. Émilie construite à l’île aux Coudres dans les années 1940 par le capitaine Éloi Perron - meurent tranquillement sur la grève, simple objet de curiosité photographié par les touristes ou reproduit sur toile par les peintres du dimanche. Le film de Pierre Perrault intitulé Les voitures d’eau produit par l’Office national du film du Canada et tourné à l’île aux Coudres dans les années 1960 raconte bien les difficultés pour les marins charlevoisiens d’alors de maintenir une industrie du cabotage vivante dans la région. Pourtant, il fut un temps, pas si lointain, où les goélettes de Charlevoix connaissaient encore leur heure de gloire.
Le fleuve Saint-Laurent constitue une ouverture sur le monde pour les premiers colons installés dans Charlevoix. La navigation est le moyen de transport le plus rapide en l’absence d’un lien terrestre avec les autres régions du Québec. Les villages riverains de Charlevoix et tout spécialement l’île aux Coudres en viennent rapidement à se spécialiser dans la navigation sur le fleuve. Plusieurs générations de capitaines et de matelots se succèdent connaissant les moindres méandres du turbulent Saint-Laurent. La construction de goélette et le cabotage deviennent également des activités économiques importantes pour des villages dont bien souvent l’espace agricole est fort limité. Charlevoix est alors un foyer important de ce transport de marchandises, notamment pour le bois, d’un port à l’autre de la province..
Pendant longtemps, les goélettes de Charlevoix naviguent sur le Saint-Laurent transportant tant les personnes que les marchandises vers les centres urbains comme Québec ou les régions avoisinantes. Les produits de la ferme et, au 19e siècle, le bois sont échangés avec d’autres partie de la province permettant d’écouler une partie du surplus de leur production. En l’absence de quais, les constructeurs de goélettes charlevoisiens développent des coques plates permettant aux goélettes de s’échouer sur les rives de la région à marée basse afin de charger et de décharger les marchandises pour ensuite repartir à marée haute. La construction de goélettes s’effectue au cours de la période hivernale alors que la navigation sur le fleuve devient impossible. L’inauguration du nouveau bateau s’effectue au printemps alors que le curé effectue la bénédiction du navire. Vers 1880, c’est plus de 100 goélettes qui circulent dans le comté de Charlevoix selon les livres des commissaires du port de Québec. Il s’agit donc d’une véritable industrie.
La construction de navires connaît une expansion marquée entre 1860 et 1920 dans les chantiers maritimes de Charlevoix. C’est ainsi près de 200 goélettes qui sont assemblées dans les villages de la côte, principalement dans l’ouest de la région. À cette époque les coûts de production d’un navire sont faibles mais augmentent progressivement après la Première Guerre Mondiale (1914-1918) pour se situer à près de 5 000$. Le cabotage doit alors faire face à une nouvelle concurrence du chemin de fer et des possibilités de camionnage. L’introduction du moteur diesel dès le début des années 1920 et le développement de la coque d’acier après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) font passer l’investissement nécessaire à la construction des goélettes de 50 000 $ vers 1940 à plus de 100 000 $ dans les années 1950. Cela permet à l’industrie du cabotage dans Charlevoix de subsister malgré la concurrence accrue notamment pour le transport du bois de pâte pour les usines de pâtes et papiers. Après les années 1920, ce sont principalement les chantiers de Petite-Rivière-Saint-François et de l’île-aux-Coudres qui demeurent actifs, construisant près d’une soixantaine de goélettes.
Au tournant des années 1960, la situation du cabotage dans la région apparaît à prime abord excellente. Les Charlevoisiens possèdent 53 des 102 petits caboteurs recensés de la province de Québec en 1962, dont 13 goélettes possédant une coque en acier. Ces chiffres témoignent toutefois du décalage de Charlevoix qui n’a pas su comme d’autres régions se tourner vers la production d’autres navires. La perte du transport du bois de pâte vers les usines et même celle de la tourbe de l’île aux Coudres est fatale à l’industrie du cabotage qui ne s’en remet pas. La dernière goélette construite dans Charlevoix, le Jean Richard, est inaugurée à Petite-Rivière-Saint-François en 1959, moment immortalisé par le cinéaste Pierre Perrault. Une époque se termine.
Bibliographie :
Michel Desgagnés. Les goélettes de Charlevoix, s.l., Leméac, 1977, app. B.
Normand Perron et Serge Gauthier. Histoire de Charlevoix. Québec, Presses de l’Université Laval, 2000. 387 p.
Perrault, Pierre. Trilogie de l’île aux Coudres. Disponible en coffret vidéo à l’Office national du film du Canada.