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Le Congrès de la Baie-Saint-Paul
Thème : Culture

Le Congrès de la Baie-Saint-Paul. Des poètes de presbytère (1863-1882)

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 11 mars 2002


« Baie-Saint-Paul, paradis des artistes ». Le slogan touristique est bien connu. Le plus souvent cette expression fait référence aux artistes du pinceau et rarement à ceux de la plume. Pourtant dès le 19e siècle des poètes se réunissent à Baie-Saint-Paul afin de rédiger des oeuvres littéraires. Certains de ces auteurs choisissent le presbytère de Baie-Saint-Paul comme lieu de leur rassemblement et pour cause car il s’agit de prêtres amateurs d’art. Leur Cercle se nomment le Congrès de la Baie-Saint-Paul. Cette société de poètes aujourd’hui disparue a existé entre 1863 et 1882. Il reste comme souvenir de ses travaux une brochure de 34 pages intitulée le Congrès de la Baie-Saint-Paul publiée par les membres du groupe en 1882. Ces poèmes épars ne révèlent pas de grands talents mais démontrent toutefois que la création littéraire est un passe-temps apprécié chez ces intellectuels du 19e siècle que sont les curés de paroisse.
 
Mais qui sont ces poètes qui se cachent sous des pseudonymes plutôt rigolos? Qui étaient Telmar, Moravief, Mauvaise mine et autres? Des poètes de presbytère. Réunis à l’occasion des Quarante-heures, un moment de l’année liturgique où les prêtres devaient faire appel à des confrères. Il fallait à cette occasion célébrer de nombreux offices religieux, faire des confessions en grand nombre et des sermons bien sentis en plus de donner la communion à de nombreux paroissiens. Au presbytère de Baie-Saint-Paul, il est de tradition dès 1856 à l’époque du curé Marc Chauvin que les « Quarante heures » soient une occasion de se réunir entre confrères du clergé autour d’une bonne table. Les ménagères du presbytère préparent alors de succulents repas arrosés de bon vin comme il se doit. Le presbytère devenait à ce moment presque une auberge, précédant ainsi de plusieurs décennies une tradition d’accueil bien charlevoisienne. C’est dans la suite de ces agapes toutes cléricales qu’origine la tradition poétique associée au presbytère de Baie-Saint-Paul.
 
C’est à l’abbé Charles Trudelle que revient l’idée de mêler victuailles, franche camaraderie et poésie. L’abbé Trudelle est nommé curé de la paroisse de Baie-Saint-Paul en 1856. C’est un homme cultivé intéressé par la littérature, l’histoire et même le folklore. Il rédige une monographie historique de Baie-Saint-Paul où se mêlent les faits d’histoire et la description des pratiques locales des habitants. Ce texte est publié en 1878 sous le titre de Trois souvenirs. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’abbé Charles Trudelle invite ses confrères et convives séjournant à son presbytère pour les « Quarante heures » à écrire de la poésie créant ainsi le Congrès de la Baie-Saint-Paul.
 
Tentons maintenant de connaître un peu ces poètes de presbytère. Même s’ils signent leurs poèmes d’un surnom, il est possible d’identifier quelques-uns d’entre eux. Ainsi l’abbé Charles Trudelle signe ses textes du nom de Charlemagne et son poème d’introduction au recueil démontre bien la modestie de ses ambitions littéraires:
 
« Rimez, j’y consens,
 Pourvu que la rime,
 En humble victime
 S’immole au bon sens »
 
Et les autres poètes du Congrès n’atteignent pas plus facilement les hauts sommets de la littérature. Telmar qui le pseudonyme est l’abbé Antoine Martel, curé de Grande-Baie au Saguenay, provient de la simple inversion du nom Martel (Telmar). Un extrait d’un de ses poèmes ne démontre une mince inspiration mais peut-être un sens du comique :
 
« Au pays des Ha! Ha! dans l’humble savane,
Telmar avait dressé sa royale cabane.
De son peuple sauvage, il s’élut le grand Chef,
Se donnait pour régner, le titre de Le Bref.
Astronome savant, il mettait sa science
À servir le Congrès... »
 
Parmi la vingtaine de collaborateurs au Congrès de Baie-Saint-Paul, quelques noms se détachent. Mauvaise mine est le pseudonyme de l’abbé Ambroise-Martial Fafard alors curé de Saint-Urbain et plus tard curé de Baie-Saint-Paul. L’abbé Fafard devient aussi en 1889 le fondateur de l’Hospice Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul et de la Congrégation des Sœurs Petites Franciscaines de Marie. Son curieux pseudonyme lui vient de sa forte présence physique qui en impose à plusieurs comme l’indique cet extrait :
 
« Quand il tousse, on croirait un tonnerre homicide. »
 
Le Congrès de la Baie-Saint-Paul regroupe aussi Moravief ou l’abbé Joseph Auclair , curé de la Cathédrale de Québec. Il y a de même Antoine le Chauve ou l’abbé Antoine Racine, curé de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Québec et son frère Domique Racine, curé de Chicoutimi, surnommé Wananish un mot Montagnais qui désigne un poisson fort abondant au Lac-Saint-Jean. L’abbé Elzéar Auclair curé de Saint-Prime et par la suite de Saint-Urbain prend le nom populaire d’un rang de cette paroisse comme pseudonyme soit « Krakrès ». Une autre désignation populaire d’un rang de Baie-Saint-Paul soit Tourlognon (où l’oignon « tourne bien ») sert de nom de plume à l’abbé Joseph Sirois-Duplessis, curé de Sainte-Tite-des-Caps. Il s’explique à ce sujet lors de sa nomination à la présidence du Congrès:
 
« Tourlognon du Corbeau monte à la présidence
C’est le dernier Congrès la dernière séance.
Petit roi de la Miche, il arrive au pouvoir
Quand le Congrès chancelle et penche vers le soir.
Pourtant jamais la paix n’avait été troublée.
Et nul choc intestin en la docte assemblée. »
 
Sa présidence est donc de courte durée. La nomination de deux membres du Congrès à titre d’Évêque rend difficile la tenue d’assemblées surtout à cause de l’éloignement. Les frères Antoine (Antoine Le Chauve) et Domique Racine (Wananish) deviennent respectivement Évêque de Sherbrooke et de Chicoutimi. Une dernière séance du Congrès se tient le 15 janvier 1882 à Baie-Saint-Paul. L’événement est mémorable et la présence de deux Évêques ne passent pas inaperçue dans la localité. Une réception solennelle a lieu au Couvent des Soeurs de la Congrégation Notre-Dame de Baie-Saint-Paul. Les membres du Cercle reçoivent en hommage une opérette spécialement composée pour la circonstance :
 
« L’écho, comme à l’envi,
De Sherbrooke à Chicoutimi
De sa voix harmonieuse
Redit notre ode joyeuse
Salut, salut, illustres visiteurs,
Salut, salut surtout à Nos Seigneurs »
 
C’est ainsi que s’achève la belle histoire du Congrès de la Baie-Saint-Paul. Il n’en reste aujourd’hui que quelques poèmes peu marquants insérés dans un petit livre devenu presque introuvable. Pourtant ces textes maladroits mais chaleureux redisent encore l’importance d’une association témoignant clairement d’une activité culturelle d’élite dans ce Charlevoix du 19e siècle qui pour un temps, à Baie-Saint-Paul, a été au cœur d’une activité littéraire d’envergure. Poètes de presbytères, vos œuvres sont peut-être oubliées mais votre esprit artistique et poétique règnent encore à Baie-Saint-Paul, paradis des artistes et pas seulement de ceux qui utilisent le pinceau. 
 


Bibliographie :

Le Congrès de la Baie-Saint-Paul. Québec, C. Darveau, 1882. 34 p. (Un exemplaire de ce livre se retrouve aux Archives de la Société d’histoire de Charlevoix.)
Tremblay, Jean-Paul-Médéric. « Baie-Saint-Paul et poésie », Revue d’histoire de Charlevoix, 2, avril 1986, p. 9-12.
Trudelle, Charles. Trois souvenirs. Montréal, Léger Brousseau. 1878. 172 p.
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