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La grange-étable Bhérer
Thème : Culture

La grange-étable Bhérer de Cap-à-l’Aigle. Un exemple de grange à encorbellement à la toiture de chaume

Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 20 juin 2002


Les bâtiments agricoles de Charlevoix témoignent d’un passé encore récent où l’essentiel de la vie économique locale s’anime en lien avec une agriculture de subsistance et où chaque membre de la famille a son rôle à jouer. Dans ce contexte, l’agriculture est un mode de vie et, au fil des siècles, cette activité agricole a nécessité la mise en place de diverses constructions permettant entre autres d’entreposer les produits de la ferme, de réaliser des activités artisanales et aussi d’abriter des animaux. Les bâtiments agricoles de Charlevoix possèdent ainsi une architecture parfois originale, comme c’est le cas des grange-étable Bhérer située à Cap-à-l’Aigle possédant un encorbellement et un recouvrement en chaume.
 
La grange-étable Bhérer de Cap-à-l’Aigle s’impose comme l’un des rares spécimens de grange à encorbellement toujours existants dans Charlevoix. Construite vers 1840, cette grange mesure 27,66 mètres de large par 7,50 mètres de haut. S’ajoute à la grange elle-même une étable comprenant un entre-deux au milieu et un poulailler à l’extrémité est. Il faut remarquer de plus une tasserie pour le foin constituée d’un mur en pièces sur pièce de cèdre assemblé à mi-bois. L’étable possède aussi le même type de charpente. 
 
La grange est la propriété de la famille Bhérer depuis cinq générations. L’ancêtre de la famille Hans Georg Bhürer (le nom de famille devient Bhérer par la suite) est un allemand arrivé en 1812 dans le secteur de La Malbaie, après avoir agi à titre de mercenaire pour la couronne britannique durant la guerre d’indépendance américaine. Ce sont des immigrants germaniques qui introduisent la technique de l’encorbellement dans l’architecture des granges au Québec. Cette spécificité architecturale se retrouve de ce fait à la Grange-étable Bhérer de Cap-à-l’Aigle.
 
L’encorbellement ou abat-vent est une section construite en saillie au-dessus de l’étable. Cette caractéristique originale permet de protéger le bâtiment contre le vent et évite un trop grand amoncellement de neige en hiver. L’encorbellement assure aussi une meilleure isolation thermique à l’étable. Les agriculteurs remisent souvent dans l’encorbellement ou l’abat-vent les harnais des chevaux et des bœufs. 
 
L’encorbellement de la Grange Bhérer mesure 0,75 mètres. Il commence au milieu du bâtiment ou à l’entre-deux et prend appui sur un pignon de la grange. Aucun poteau de soutien ne le supporte à l’origine mais avec le temps, il a été nécessaire qu’il soit soutenu occasionnellement.
 
Outre son encorbellement, la grange-étable Bhérer de Cap-à-l’Aigle possède une autre caractéristique intéressante avec son toit dont le revêtement est en chaume. Cette pratique est héritée de la tradition française et, en Nouvelle-France, plusieurs résidences possèdent un toit de chaume. La toiture de chaume est peu dispendieuse et durable. Toutefois, elle n’est pas vraiment adaptée au climat rigoureux du Québec et dès le début du XIXe siècle, la pratique du recouvrement en chaume est délaissée pour les demeures. Elle se maintient cependant pour les toitures de granges jusqu’au XXe siècle où la tôle prend bientôt toute la place. La Grange Bhérer a aussi été recouverte en tôle au cours du XXe siècle. Elle a toutefois retrouvé son toit de chaume en 1979 grâce à l’appui de la fondation Héritage-Canada. La reconstruction du toit de chaume de la grange Bhérer a été réalisée par le maître-couvreur anglais Adrian Ward. Depuis ce temps, la toiture de chaume a été endommagée et elle nécessiterait un nouveau recouvrement.
 
La grange-étable Bhérer possède une réputation qui dépasse largement la région de Charlevoix grâce au photographe montréalais William Notman. Ce dernier a pris plusieurs photographies de la grange-étable Bhérer en 1900. Ces clichés ont séduit un large public, tant des amateurs de pittoresque champêtre que des spécialistes de la photographie. C’est principalement à cause de l’existence des photos de William Notman que la fondation Héritage-Canada a choisi la grange-étable Bhérer pour son projet de redonner un toit de chaume à un édifice agricole ancien du Québec. Depuis ce temps, la grange-étable Bhérer continue de témoigner de l’histoire de l’agriculture dans Charlevoix. Elle demeure un bien culturel inestimable au cœur du joli village de Cap-à-l’Aigle, site de villégiature touristique reconnu depuis le XIXe siècle et dont la grange-étable Bhérer est un joyau inestimable.
 
 
Bibliographie :

Gauthier, Serge. « La grange Bhérer de Cap-à-l’Aigle », Revue Charlevoix, 7, décembre 1988, p. 42-43.
Léonidoff, Georges-Pierre. Origine et évolution des principaux types d’architecture rurale au Québec et le cas de la région de Charlevoix. Thèse de Ph. D. (Ethnologie), Université Laval, 1980. 860 p.
 
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