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Du cheddar au migneron
Thème : Territoire et ressources

Du cheddar au migneron. L’industrie fromagère dans Charlevoix (1880-2002)

Christian Harvey. Historien. Société d’histoire de Charlevoix. La Malbaie, 11 août 2002


Le fromage Migneron est aujourd’hui un produit reconnu et fort apprécié chez les amateurs des produits du terroir québécois. Développé dans Charlevoix par Maurice et Francine Dufour, ce fromage est devenu en 2002 champion toute catégorie au 3e Grand Prix des fromages canadiens. Cette réussite vient s’inscrire dans l’histoire de l’industrie fromagère charlevoisienne initiée dès les années 1880. Vers 1900, la plupart des paroisses de Charlevoix possèdent alors une fromagerie. Des problèmes d’alimentation en lait font disparaître plusieurs de ces fromageries de petites tailles dans les décennies suivantes. Malgré tout, des producteurs charlevoisiens maintiennent encore aujourd’hui une place importante sur ce marché.
 
Au XIXe siècle, l’agriculture connaît des transformations importantes au Québec. La culture du blé - la culture la plus importante car à la base de la production de la farine - laisse place à de nouvelles activités. Certains se tournent vers la culture des patates notamment à l’île aux Coudres. D’autres, vers l’industrie laitière qui s’implante au Québec entre 1850 et 1890. Cette production nécessite l’accroissement des cheptels de vaches laitières et la production de fourrage pour les animaux au lieu du blé dans les champs. En plus de la vente du lait nature, plusieurs agriculteurs québécois débutent la production du fromage dans les années 1870 et 1880, car le cheddar canadien s’écoule facilement sur le marché anglais. En 1901, plus de 1 207 fromageries sont en activité dans la province. La région de Charlevoix n’est alors pas en reste. 
 
Vers 1880, l’industrie laitière s’implante à son tour dans Charlevoix. Le cheptel de vaches laitières s’accroît et des fromageries font alors leur apparition. En 1890, on compte 11 fabriques de fromage, dont 5 à Baie-Saint-Paul, et, en 1897, 26 fabriques, dont 11 à Baie-Saint-Paul. La plupart des paroisses de Charlevoix possèdent alors une fromagerie. Il s’agit pour la plupart de petits établissements familiaux dont le volume de leur production est limité. Le secteur ouest de la région semble à cet égard mieux pourvu. Ce phénomène peut s’expliquer par une demande de lait nature moins forte dans cette partie de Charlevoix. En effet, le secteur Est de Charlevoix doit desservir entre 5 000 et 10 000 villégiateurs l’été venu et les bateaux de la Croisière du Saguenay. À la fromagerie de Clermont, la famille d’Henri Tremblay débute dans les années 1930 la production du fromage gruyère. Toutefois, la longue maturation des morceaux de 200 livres qui exige près de 3 mois est peu rentable et amène la famille à laisser tomber cette production quelques années plus tard. 
 
Le nombre de fromageries au Québec et dans Charlevoix diminue dans les décennies suivantes. Le cheddar canadien est supplanté sur le marché anglais par la Nouvelle-Zélande et certains producteurs se tournent alors vers la production de beurre. En 1941, il n’y a plus que 9 fromageries dans Charlevoix; plus que deux à la fin des années 1960. Les problèmes d’alimentation en lait dans Charlevoix expliquent également la fermeture de plusieurs fabriques dans la région (Clermont, De Sales notamment) dans les années 1950. Aujourd’hui trois producteurs sont en activité dans la région de Charlevoix s’inscrivant dans un marché particulier. 
 
Fondée en 1948 par Marcel Labbé, la Laiterie Charlevoix de Baie-Saint-Paul se situe dans le réseau international des économusées. Ainsi, en plus de la production et de la vente de cheddar, l’entreprise familiale développe également un volet muséal visant à interpréter le processus de confection du fromage des origines à aujourd’hui. La Fromagerie Saint-Fidèle, fondée en 1902 par Joseph Bhérer, se positionne sur le marché de Charlevoix, de la Côte-Nord, de la rive sud et de Québec. L’entreprise produit du fromage cheddar et du gruyère (de type suisse) vainqueur d’un premier prix à une exposition nationale tenue à Toronto en 1976. Le groupe Lactel, propriétaire de la fromagerie, ferme les portes de l’entreprise en 2000. Un consortium formé de la Fromagerie Boivin, de la Fromagerie de la Baie et d’Alliance Lait fait l’acquisition de la Fromagerie Saint-Fidèle et fait redémarrer la production 18 mois plus tard. L’entreprise embauche près de 30 personnes, la principale activité économique de Saint-Fidèle. Un producteur de Charlevoix se positionne pour sa part sur le marché émergeant des produits du terroir : La Maison d’affinage Maurice Dufour produisant le Migneron. Ce fromage né en 1995 du travail de Francine et Maurice Dufour obtient en 2002 une reconnaissance nationale en devenant champion toute catégorie au 3e Grand Prix des fromages canadiens décernés par les producteurs de Lait du Canada. 
 
Ainsi, malgré les années difficiles, les producteurs de fromage de Charlevoix se nichent dans plusieurs catégories de produits (économusée, distribution régionale et produit du terroir) leur permettant de se maintenir dans le marché fort concurrentiel du fromage. L’industrie fromagère : une production débutée dans les années 1880 représentant un pan important dans l’histoire de Charlevoix. 


Bibliographie :

Harvey, Christian. « La production fromagère dans Charlevoix (1880-1953) », Revue d’histoire de Charlevoix, hors série, no 5, décembre 2001, p. 9-12. 
Perron, Normand. « Genèse des activités laitières au Québec, 1850-1960) », dans Agriculture et colonisation au Québec, sous la direction de Normand Séguin, Montréal, Boréal Express, 1980, p. 113-140. 
Perron, Normand et Serge Gauthier. Histoire de Charlevoix. Québec, Presses de l’Université Laval, 2000. 387 p. 
 
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