Thème :
Société et institutions
L’élection de 1936 dans Charlevoix-Saguenay
Serge Gauthier. Historien et ethnologue. Président de la Société d’histoire de Charlevoix. Notre-Dame-des-Monts, 30 septembre 2002
Le 17 août 1936, les Québécois sont appelés aux urnes. Le résultat de l’élection est sans équivoque: le Parti Libéral du Québec dirigé par Adélard Godbout n’obtient que 14 sièges et perd le pouvoir aux mains de l’Union Nationale de Maurice Duplessis qui l’emporte avec 75 élus. Dans la circonscription de Charlevoix-Saguenay, le libéral sortant Edgar Rochette perd son siège au profit de l’unioniste Arthur Leclerc. C’est une élection qui a été chaudement disputée et dont il est intéressant de relater les grandes lignes.
Edgar Rochette alors ministre du Travail, de la Chasse et des Pêcheries est le candidat libéral désigné pour l’élection du 17 août 1936. À l’élection précédente, en 1935, Edgar Rochette a été élu avec une confortable majorité de 2 479 voix sur Ernest Trotier, candidat de l’Action libérale nationale. La candidature sous la bannière de l’Union Nationale fait l’objet d’une chaude lutte. Trois candidats sont en lice : Ernest Trotier, agent de gare de Baie-Saint-Paul, Arthur Leclerc, médecin de Baie-Saint-Paul, Hector Warren un marchand de Pointe-au-Pic. Les trois candidats acceptent que leur candidature soit soumise à l’évaluation d’un tribunal d’honneur formé d’organisateurs de l’Union nationale et chargé de nommer le candidat de ce parti dans Charlevoix. Ce tribunal d’honneur rend sa décision le 2 juillet 1936 :
« Tout en reconnaissant à tous les candidats un véritable esprit national, leurs capacités et leurs mérites passés, le comité en est venu à la conclusion que pour servir cet intérêt national dans le comté de Charlevoix-Saguenay, le meilleur candidat dans les circonstances était le Dr Arthur Leclerc de Baie-Saint-Paul. »
Une fois ce candidat unioniste désigné, la campagne bat son plein dans Charlevoix-Saguenay. De nombreuses assemblées de l’Union nationale ont lieu dans la plupart des paroisses de la circonscription. Le ministre et candidat libéral fait des allocutions à la radio d’État (Radio-Canada) et il promet même la création « d’un parc qui pourra rivaliser avec les plus beaux du continent et qui sera un actif pour la métropole du Canada ». Rochette néglige sans doute un peu sa propre circonscription où les attaques du candidat unioniste dénoncent sans relâche le gouvernement sortant le qualifiant de « vieux régime ».
Le 3 août 1936, l’officier-rapporteur de la circonscription Boris Maltais de La Malbaie annonce qu’à la clôture de l’appel nominal il y a deux candidats seulement à l’élection du 17 août 1936 dans Charlevoix-Saguenay et qu’il s’agit d’Arthur Leclerc pour l’Union Nationale et d’Edgar Rochette pour le Parti Libéral. Par la suite, en ce même 3 août 1936, dans la cour du collège de La Malbaie se tiennent successivement les assemblées électorales du Parti libéral et de l’Union nationale. Des événements disgracieux ternissent ces assemblées comme le rapporte L’Action catholique (d’allégeance unioniste) dans son édition du 4 août 1936 :
« Cette fois, le chahut prend une tournure tragique, Entouré de gens qui veulent lui barrer la route, l’officier (de circulation) frappe un citoyen de La Malbaie. Vézina Taché, avec la crosse de son revolver. Blessé au front, Monsieur Taché, riposte par de rudes coups de poings. C’est une bataille en règle. L’officier a bientôt le-dessous (sic). Son adversaire lui enlève son arme des mains et il est train de rouler sous les pieds de rudes gaillards quand le docteur Arthur Leclerc arrive sur les lieux... Le médecin met dans sa poche le révolver que lui remet monsieur Taché. Il aide l’officier à se relever et l’amène en le soutenant jusqu’à son automobile... »
Par la suite la campagne du Dr Arthur Leclerc marche rondement. Dans un de ses discours, le médecin déclare : « Nous, médecins, sommes plutôt habitués à recevoir les malades qui viennent nous consulter. Présentement, un grand malade vient nous voir pour nous demander les remèdes appropriés, c’est la province de Québec ». Le candidat unioniste semble ainsi gagner en popularité alors que la campagne libérale dans Charlevoix ne parvient pas à trouver sa vitesse de croisière.
Le jour du scrutin, plus de 83 % des électeurs de la circonscription de Charlevoix-Saguenay vont voter. Dès le dépouillement des urnes, à partir de 18:00 heures, le sort des libéraux semble scellé à l’échelle de la province car ce parti perd de nombreuses circonscriptions au profit de l’Union Nationale. Charlevoix-Saguenay est aussi emporté par la vague unioniste: 5 080 voix sont accordées à Arthur Leclerc de l’Union Nationale contre 4 655 à Edgar Rochette du Parti libéral. Arthur Leclerc est donc déclaré élu nouveau député de Charlevoix-Saguenay par une majorité de 380 voix.
La carrière politique du Docteur Arthur Leclerc sera longue. Battu en 1939 par Edgar Rochette, le docteur Leclerc est réélu sous la bannière unioniste en 1944, 1948, 1952, 1956 et 1960. Il est ministre de la Santé dans le cabinet de Maurice Duplessis dans les années 1950. Il quitte la vie politique après sa défaite aux mains du libéral Raymond Mailloux de Baie-Saint-Paul en 1962.
Bibliographie :
Morin, Jacques Carl, « Les élections générales de 1936 dans Charlevoix-Saguenay », Charlevoix, 3, octobre 1986, p. 18-22.