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Thème : Culture

Le roman, canal de l’imaginaire bas-laurentien

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


La production romancière au Bas-Saint-Laurent demeure longtemps marginale et ne s’inscrit dans la littérature régionale que bien tardivement, alors que la poésie, les contes et les légendes et surtout l’histoire locale jouissent depuis déjà les années 1860 d’une bonne diffusion. Le roman attire peu les écrivains de la région. Le récit d’imagination n’est pas tellement prisé par l’Église, à moins que l’auteur n’y adopte un ton moralisateur et s’engage à faire œuvre utile. C’est la levée de cette contrainte cléricale, au cours des années 1960, qui permet la véritable naissance d’une littérature romanesque au Bas-Saint-Laurent, un genre qui attire désormais un nombre croissant d’auteurs de la région.
 
La terre ancestrale de Louis-Phillipe Côté, dont l’intrigue se déroule dans son Trois-Pistoles natal, serait le premier roman bas-laurentien, en 1933. En 1942, Louis-Henri Beaupré campe ses personnages dans son Estcourt d’origine; comme Côté, l’auteur de Les beaux jours viendront… veut faire œuvre utile en freinant l’exode rural. Deux écrivains d’origine britannique situent leurs personnages dans la région à la même époque, tous les deux dans le sauvage et pittoresque Témiscouata. Un homme et ses bêtes, paru à Paris en 1937, sous la signature de l’« Indien » Grey Owl, en fait un Anglais du nom de Archibald Stansfield Belaney, tient moins de l’ouvrage de fiction que du récit écologiste. Le Napoléon Tremblay d’Angus Graham s’inscrit par contre dans le courant romanesque. D’abord publié à Londres en 1939, l’ouvrage paraîtra en 1945 à Montréal grâce à la version française d’André Champagne. L’intrigue raconte 18 années (1920-1937) de la vie d’un garçon simple qui réussit à faire sa place au soleil.
 
Mais ce n’est toutefois qu’à compter de la Révolution tranquille et la mise en œuvre du Plan de développement du BAEQ que commence à se manifester une véritable littérature bas-laurentienne. C’est à travers le roman que se manifeste surtout l’imaginaire bas-laurentien dans les dernières décennies du XXe siècle. On compte parmi ses auteurs ceux qui sont nés dans la région et ceux qui manifestent dans leur production de l’intérêt pour la région. Même chez les écrivains d’origine bas-laurentienne qui ont ressenti leur pays natal comme une contrainte et qui ont senti le besoin de s’en éloigner pour créer leur œuvre, la référence directe ou indirecte à cet espace d’origine n’a pas été sans exercer une influence sur leur imaginaire.
 
Ces contraintes sociales du milieu régional se retrouvent dans l’œuvre abondante d’Adrien Thério, natif de Saint-Modeste. Même s’il a fait carrière à l’extérieur, son œuvre témoigne de cet enracinement régional. Ses ouvrages Ceux du Chemin Taché (1963), La colère du père (1974) et C’est ici que le monde a commencé (1978) font référence à la région de ses origines. Le poids des contraintes sociales du milieu bas-laurentien des années 1930 est aussi ressenti par Jovette Bernier dans son roman Non Monsieur, publié en 1969. L’écrivaine originaire de Saint-Fabien a cependant fait carrière à l’extérieur de la région. C’est à Québec qu’elle a fait paraître La chair décevante, un roman psychologique, en 1931, dont le récit ne tient pas compte de son patelin natal.
 
Deux autres auteurs marquent cette apparition du genre romanesque au Bas-Saint-Laurent au tournant des années 1970, Roger Fournier de Saint-Anaclet, mais surtout Victor-Lévy Beaulieu de Saint-Jean-de-Dieu. Beaulieu campe ses personnages dans la région de Trois-Pistoles d’où viennent les Beauchemin, la famille dont il suit les tribulations à travers les romans Race de monde (1969), Jos Connaissant (1970) et Satan Belhumeur (1981). L’auteur lui-même suit l’itinéraire de ses personnages dans son œuvre, et les récits de son père sont au cœur du voyage initiatique dans Le Bas-Saint-Laurent. Les racines de Bouscotte (1998). La production de Roger Fournier a, elle, été plus brève, et les romans qui prennent le cadre du Bas-Saint-Laurent, La Marche des grands cocus (1972) et Les cornes sacrées (1977) n’ont pas eu de suite.
 
Comme ailleurs au Québec, le roman attire un nombre élevé d’auteurs bas-laurentiens et il représente une fraction croissante de la production littéraire. L’approche d’un Bertrand B. Leblanc, romancier et dramaturge de Lac-au-Saumon, fait des émules. Son œuvre de fiction s’appuie sur une profonde connaissance du milieu régional et laisse une large place à des personnages hauts en couleur. L’approche romanesque a même séduit le plus important poète bas-laurentien, Paul-Chanel Malenfant, originaire de Saint-Clément. À l’orée du XXIe siècle, le roman constitue le principal genre littéraire au Bas-Saint-Laurent, et nombre de conteurs, essayistes, poètes ou dramaturges sont tentés par l’aventure.

 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
Lemire, Maurice dir. Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec. Montréal, Fides, Tome III : 1940 à 1959 (1982); Tome IV : 1960-1969 (1984); Tome V : 1970-1975 (1987).
 
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