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Thème : Culture

Télévision régionale et production montréalaise

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


Parmi tous les médias de masse qui s’implantent au Québec entre 1880 et 1960, la télévision occupe une place à part. Dix années après son introduction au Bas-Saint-Laurent, l’influence du nouveau média dépasse celle des autres médias de masse réunis, soit le journal à grand tirage, le cinéma et la radio. L’absence de journal quotidien laisse au bulletin d’informations télévisé régional un espace médiatique qu’il n’a pas dans les grandes villes dotées d’un imprimé à grand tirage, et une large part de la vie culturelle bas-laurentienne dépend de la « boîte à images » pour sa large diffusion. Aujourd’hui, un demi-siècle après ses débuts, la télévision fait partie de la vie quotidienne des Bas-Laurentiens.
 
L’histoire de la télévision dans la région est reliée à celle de la radio de CJBR, à Rimouski, qui représente déjà une institution bas-laurentienne au début des années 1950. C’est Jules-A. Brillant, déjà propriétaire du poste de radio, qui inaugure CJBR-TV en décembre 1954, deux ans après Montréal. Ce lien entre radio et télévision se renforce et ce sont les familles Lapointe et Simard, déjà propriétaires de stations de radio à Matane et à Rivière-du-Loup, qui obtiennent leur permis de télédiffusion à Matane (1958) et à Rivière-du-Loup (1962). Les trois villes vont garder le monopole télévisuel, car aucune autre agglomération bas-laurentienne ne possède le bassin démographique suffisant pour supporter une station autonome.
 
La pénétration du nouveau média s’avère d’une incroyable rapidité malgré le coût élevé des appareils récepteurs. Un an et demi à peine après l’ouverture du poste CJBR-TV, près des trois quarts des foyers rimouskois seraient dotés d’un appareil de télévision. En 1961, les comtés de Rimouski et de Matane ont rattrapé la moyenne québécoise qui approche neuf foyers sur dix. Sur les hautes terres et dans les vallées de la Matapédia et du Témiscouata, la pénétration de la télévision est ralentie par l’électrification tardive des fermes et les problèmes de réception des signaux. L’établissement de stations réémettrices liées aux stations de base de Rivière-du-Loup, Rimouski et Matane permettra de solutionner ce dernier inconvénient.
 
De 1958 à 1972, le paysage télévisuel bas-laurentien ne se modifie pas et les trois postes de propriété familiale poursuivent la diffusion d’une programmation au contenu essentiellement montréalais; elles ne sont guère équipées pour une production locale significative. De 1972 à 1986 toutefois, on assiste à une véritable explosion de l’activité télévisuelle dans le Bas-Saint-Laurent. La Société Radio-Canada achète la station matanaise, la rebaptise CBGAT et étend son rayonnement à la Gaspésie et à la Côte-Nord, et la famille Brillant vend CJBR-TV à Télémédia. En 1977, Télémédia revend CJBR-TV à Radio-Canada qui possède alors deux centres de production à Matane et à Rimouski. Télémédia revient en force en 1978 en s’installant à Rimouski et à Rivière-du-Loup qui se retrouve avec deux postes privés, CIMT-TV et CKRT-TV. Le Bas-Saint-Laurent compte alors cinq stations de télévision.
 
En quelques années, le téléspectateur bas-laurentien se voit offrir une surabondance de services qui s’accompagne d’un nouveau développement technologique, la distribution par câble. La câblodistribution, d’abord un phénomène modeste destiné à offrir un service de base pour les localités éloignées, se trouve un immense marché dans les années 1970, en offrant la possibilité à un abonné d’avoir accès à un nombre croissant de canaux en provenance du Québec, des États-Unis et même de l’Europe. La région se retrouve au cœur d’un débat national sur la prépondérance de Québec ou d’Ottawa en matière de communication, deux entrepreneurs bas-laurentiens ayant chacun obtenu un permis provincial ou fédéral. C’est finalement la Cour suprême du Canada qui tranche le débat à la faveur d’Ottawa. C’est la câblodistribution qui a toutefois permis la naissance de la télévision communautaire. Celle-ci n’a cependant connu que de modestes succès dans les villes privées de stations commerciales : Cabano, Amqui et Mont-Joli.
 
Les coûts de la production télévisuelle restreignent la production des stations régionales qui se contentent, la plupart du temps de relayer les signaux de la station mère montréalaise. En 1978, CJBR-TV ne produit que cinq heures d’émission régulière par semaine, CBGAT-TV et CKRT, à peine trois. Dans les années 1980, d’importantes réductions budgétaires touchent Radio-Québec qui commence à peine sa production régionale. La « crise de la télévision » frappe à l’échelle nationale. Les coûts croissants de production et les auditoires fragmentés contribuent à un repli de la production télévisuelle vers les grands centres que sont Montréal et Toronto.
 
En décembre 1990, le couperet s’abat sur le réseau régional de la Société Radio-Canada : on ferme les stations de télévision de la Société à Rimouski, Matane et Sept-Îles. Le Bas-Saint-Laurent doit donc s’en remettre aux deux stations privées de Rimouski et de Rivière-du-Loup et aux télévisions communautaires pour maintenir une production régionale limitée. Heureusement, l’avènement de la vidéo permet à des entreprises locales la production d’émissions, pour la plupart des documentaires, qui peuvent être diffusées sur les grandes chaînes nationales. Toutefois, à l’heure où les distributeurs par câble ou par satellite offrent des choix quasi illimités, la télévision s’avère de moins en moins un outil d’expression de la culture régionale.


Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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