Thème :
Culture
La presse périodique régionale, 1940-2003
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003
À compter de 1940, la presse périodique régionale aborde une période de forte expansion qui va se poursuivre jusqu’aux années 1990. Contrairement à ce que l’on aurait pu s’attendre, la radio, puis l’omniprésente télévision, ne réussiront pas à remettre en cause la pertinence de la presse écrite. Avec le développement de la société de consommation et la multiplication des services publics et privés, le journal local ou régional devient un véhicule publicitaire incontournable. Il répond en plus à un besoin d’information qui n’est pas comblé par les autres médias. Mais c’est l’instauration d’une politique généralisée de distribution gratuite, dans les années 1970, qui va permettre à la presse périodique régionale de pénétrer dans tous les foyers bas-laurentiens.
Il est possible de quantifier la forte croissance de la presse régionale au cours de ces années. En 1940, il ne reste plus, parmi la vingtaine de journaux fondés depuis 1867, que Le Saint-Laurent, à Rivière-du-Loup, Le Progrès du Golfe et L’Écho du Bas-Saint-Laurent, à Rimouski. Pas moins de 25 publications vont s’ajouter avant 1980, mais une majorité d’entre elles n’auront qu’une existence éphémère. Une continuelle croissance des tirages accompagne la multiplication des titres. D’une dizaine de milliers d’exemplaires, au début de la Deuxième Guerre mondiale, le tirage se hisse à 20000, en 1950, puis à 34 000 en 1965, et 67 000 en 1981. La généralisation de la distribution gratuite gonfle ensuite le tirage à 182 000 au début des années 1990. En 2003, les consommateurs du grand Rimouski sont submergés par les 94 000 exemplaires des tirages combinés de L’Avantage, du Progrès-Écho et du Rimouskois.
La presse hebdomadaire bas-laurentienne est un phénomène essentiellement urbain. Seules quelques agglomérations possèdent ce bassin minimal de lecteurs potentiels et de commerçants susceptibles de louer un espace publicitaire. Au cours des années 1940 et 1950, Matane, Mont-Joli et Amqui rejoignent Rivière-du-Loup et Rimouski en se dotant d’un organe viable. Toutefois, tout au long du XXe siècle, ces deux dernières villes détiendront toujours plus de la moitié du tirage total des journaux régionaux. À l’exception de deux journaux anglophones éphémères (The Rimouski Star, 1876-1877 et Mont-Joli Chronicle, 1955-1956), toutes les publications sont de langue française. La presse régionale demeure une presse hebdomadaire et la brève existence du quotidien Le Fleuve à Rimouski, à la fin des années 1990, montre la difficulté d’implanter un organe indépendant au Québec.
La décennie 1940 voit l’apparition des premières véritables entreprises de presse régionales d’envergure modeste. Gérard Légaré, déjà propriétaire de L’Écho du Bas-Saint-Laurent, lance La Voix de Matane et les frères Paré s’attaquent au marché gaspésien depuis Rivière-du-Loup et Amqui. Mais ce n’est qu’au tournant des années 1980 que se constituent de véritables groupes de presse au Québec. Le Bas-Saint-Laurent n’est pas en reste, car c’est au cours de la décennie 1980 que se constitue le groupe Bellavance de Rimouski. L’entreprise familiale s’appuie sur le Progrès-Écho pour développer un véritable réseau de journaux qui couvre une bonne partie du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. Ces années sont aussi celles de l’apparition des journaux du dimanche à Rivière-du-Loup, Rimouski et Matane.
Les années 1940 sont aussi marquées par la professionnalisation du travail de journaliste. Les années héroïques de la presse artisanale, alors que tout le travail était assumé par un rédacteur et un imprimeur, sont désormais révolues. Quelques personnes peuvent vivre du métier de journaliste au cours des années 1940 et 1950, mais les conditions de travail demeurent des plus modestes. Les locaux sont exigus, les tâches multiples et les bas salaires sont le lot de cette poignée de femmes et d’hommes qui se lancent avec enthousiasme dans cette carrière. À la fin des années 1960, les conditions de la pratique journalistiques commencent à s’améliorer et les équipes de rédaction s’élargissent. C’est toutefois au cours des années 1950 et 1960 que la qualité de presse périodique régionale semble s’être le plus affirmée.
Le phénomène de la concentration de la presse régionale s’accentue à la fin du XXe siècle, alors que le groupe montréalais Quebecor de Pierre Péladeau acquiert progressivement les journaux qui sont demeurés indépendants du groupe Bellavance, puis absorbe ce dernier. Cette position monopolistique permet au géant Quebecor de rationaliser son réseau de distribution et de centraliser l’impression. Des régions, comme celle des Basques, perdent ainsi leur journal local, mais de nouveaux concurrents apparaissent, comme L’Avantage de Rimouski : la presse périodique du Bas-Saint-Laurent est peut-être à l’aube d’une nouvelle diversification.
Bibliographie :
Lechasseur, Antonio et Yvan Morin. « La presse périodique dans le Bas-Saint-Laurent : aspects historiques », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. 10, nos 2-3, mai-déc. 1984, p. 34-149.
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.