Thème :
Société et institutions
La genèse d’une capitale régionale : Rimouski
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation Culture et Société. 24 septembre 2003
Pour un grand nombre de Bas-Laurentiens et de Gaspésiens, la position actuelle de Rimouski dans la hiérarchie des agglomérations québécoises tient d’une décision gouvernementale, prise dans les années 1960, dans un premier effort de régionalisation. Or, à cette date, la position dominante de Rimouski sur la rive sud de l’estuaire du Saint-Laurent, à l’est de Lévis, est déjà un fait acquis. À la veille de la Révolution tranquille, cette place incontestée de la métropole bas-laurentienne est le fruit d’un long processus qui lui a permis de se démarquer des petites villes concurrentes de la Côte-du-Sud, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie au cours de la première moitié du XXe siècle.
Au Québec, l’apparition d’un chef-lieu est, la plupart du temps, le fruit d’une longue gestation. Le développement des moyens de communication, en privilégiant un endroit plutôt qu’un autre, est souvent à l’origine d’une petite ville commerciale et industrielle. Sorel doit beaucoup à son port, et le boom ferroviaire du XIXe siècle a permis la croissance de nombreuses agglomérations québécoises, comme Lévis, Saint-Hyacinthe ou Rivière-du-Loup. L’établissement d’un chef-lieu de district judiciaire, avec son palais de justice et sa prison, ou la décision d’y installer le siège épiscopal d’un nouveau diocèse, démarquent une agglomération de ses voisines de façon durable, même si les retombées ne sont pas immédiates. À Rimouski, ce n’est qu’au XXe siècle que vont se multiplier les institutions d’éducation, de santé et de charité publique œuvrant dans le cadre diocésain.
À la veille de la Confédération, en 1867, trois agglomérations villageoises de la rive sud exercent une influence sur un assez large territoire. Montmagny demeure la seule agglomération notable des districts de Bellechasse, Montmagny et l’Islet; Fraserville (Rivière-du-Loup) polarise toute la région de Kamouraska, Rivière-du-Loup et Témiscouata; Rimouski, bien que de taille plus modeste, fait sentir son influence sur tout le grand comté de Rimouski (qui comprend encore les futurs comtés de Matane et Matapédia) grâce à ses institutions religieuses. Vers l’est, l’économie des pêches et les contraintes du transport terrestre ne favorisent guère l’éclosion d’un chef-lieu qui puisse rayonner sur un large territoire. La future capitale régionale a de fortes chances d’être le chef-lieu de la région qui va connaître la plus forte croissance au XXe siècle.
Or, c’est la région de Rimouski qui se révèle la plus dynamique. De 1870 à 1960, la région de Montmagny ne double même pas ses effectifs de population, celle de Rivière-du-Loup y arrive à peine, alors que celle de Rimouski quintuple la sienne. La colonisation agricole accélérée et le développement de l’industrie forestière constituent les deux ferments du peuplement des comtés de Matane et de Matapédia, ce qui provoque des retombées majeures sur la petite ville institutionnelle, industrielle et commerciale de Rimouski. Pour un temps toutefois, et jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, Rivière-du-Loup constitue la métropole de la rive sud à l’est de Lévis. Cette position, Rivière-du-Loup la doit surtout à l’activité ferroviaire qui fournit de l’emploi à 800 ou 900 de ses travailleurs dans les années 1920.
Rimouski ne découvre véritablement sa vocation régionale qu’après 1945. Jusque-là, l’emploi dans ses usines de sciage et de planage dominent. Dans l’après-guerre, de nouveaux secteurs de développement se dessinent autour des institutions d’éducation secondaire et supérieure, de santé et de charité, de la téléphonie et de la distribution d’électricité, des transports maritimes et aériens, des commerces et des services de détail. L’ouverture de la Côte-Nord et du Nouveau-Québec, dans les années 1950, fait de l’axe Rimouski—Mont-Joli la plaque tournante du commerce de gros entre les deux rives de l’estuaire. En 1960, Rimouski et sa banlieue comptent près de 26 000 résidants, alors que Rivière-du-Loup atteint à peine la douzaine de milliers d’habitants à la même date.
Quand donc, à la veille de la grande aventure aménagiste du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), il devient nécessaire de choisir un chef-lieu qui devra jouer le rôle de capitale administrative du territoire-pilote, Rimouski est incontournable. Dans la zone du territoire d’aménagement, qui s’étend de Sainte-Anne-de-la-Pocatière aux Îles-de-la-Madeleine, seule Rimouski peut imposer ses atouts, avec sa situation centrale et les multiples institutions à caractère régional qu’elle abrite déjà. Dans les années 1960, Rimouski n’est pas proclamée capitale régionale : elle l’était déjà depuis au moins deux décennies.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles. « La genèse d’une capitale régionale : Rimouski avant 1960 », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. XIX, n° 2, juin 1996, p. 77-83.