Thème :
Société et institutions
La formation des maîtres au XXe siècle
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation Culture et Société. 25 septembre 2003
Pendant les deux premiers tiers du XXe siècle, la formation des maîtres au Bas-Saint-Laurent est laissée à la charge des congrégations religieuses. Les scolasticats et les juvénats des communautés de femmes et d’hommes qui se consacrent à l’éducation y forment leurs futurs membres et leurs écoles normales fournissent les enseignantes laïques brevetées pour les écoles primaires. À la suite des réformes de l’éducation au cours des années 1960, la formation des maîtres est soustraite aux institutions religieuses et confiée aux universités. Dans la région, c’est le Centre d’études universitaires de Rimouski, créé en 1969 et devenu l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) en 1973, qui assure désormais cette responsabilité essentielle du système public d’éducation.
Avant 1940, à peine une minorité d’enfants poursuivent leurs études après quatre à six années d’école primaire. Pour les filles, l’école normale constitue la voie privilégiée vers les « études supérieures ». À l’automne 1906, la première école normale dirigée par les Ursulines de Québec ouvre ses portes à Rimouski. Au cours des années 1910, l’établissement fournit déjà une trentaine d’institutrices diplômées par année. Dans la décennie 1940, l’élargissement des effectifs de la communauté lui permet d’assumer de nouvelles missions. Les Ursulines fondent une nouvelle école normale à Amqui en 1948 et répondent favorablement à plusieurs grosses commissions scolaires de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie qui sollicitent leur présence.
C’est toutefois la Congrégation de Notre-Dame du Saint-Rosaire qui demeure la plus impliquée dans l’enseignement primaire dans les parties rurales de la région. Elle déploie ses effectifs dans pas moins de 50 paroisses du diocèse de Rimouski et forme dans son école normale un nombre croissant de jeunes filles. D’autres communautés de femmes et d’hommes sont aussi impliquées dans l’éducation et la formation d’enseignants : les Servantes du Cœur-Immaculé du Bon-Pasteur de Québec, les Religieuses de l’Enfant-Jésus de Chauffailes, les Filles de Jésus, les Sœurs de la Charité de Québec, les Frères du Sacré-Cœur et les clercs de Saint-Viateur. Si l’enseignement primaire demeure un monopole féminin, le niveau secondaire et technique requiert un nombre croissant d’enseignants. L’école Tanguay, la seule école normale destinée aux garçons dans la région, ouvre ses portes à Rimouski en 1958.
Ce portrait peut laisser croire que les efforts pour fournir des maîtres compétents pour toutes les écoles de la région sont couronnés de succès. Il n’en est rien. Les congrégations religieuses sont constamment débordées par les besoins. La croissance exponentielle du nombre d’enfants d’âge scolaire, l’allongement du cours primaire de quatre à six années, puis l’école obligatoire, à compter de 1943, exercent une pression insupportable sur tout le système d’éducation. En 1940, à la veille du baby boom et de l’école obligatoire, à peine 19 % des 825 institutrices du Bas-Saint-Laurent détiennent un brevet élémentaire de l’école normale. La grande majorité des maîtresses d’écoles apprennent encore le métier sur le tas et se contentent d’un brevet de capacité décerné par le Bureau central des examinateurs. Le clivage, déjà visible au XIXe siècle, entre le rural et l’urbain, s’accentue entre la formation reçue à l’école de rang, à classe unique et à niveaux multiples, et celle qui est dispensée par les religieuses et les religieux dans les grosses écoles à plusieurs classes des villes et gros villages de la région. La déconfessionnalisation du réseau de l’éducation issue du rapport Parent s’accompagne de nouvelles exigences pour les candidats à l’enseignement. La plus conséquente allonge de plusieurs années la scolarité exigée pour les futurs enseignants. Une large part de la clientèle de l’UQAR, au cours des années 1970, est d’ailleurs formée de ces milliers d’institutrices œuvrant dans tout l’est du Québec qui suivent à temps partiel les cours de mise à niveau. La syndicalisation et les conventions collectives nouvellement négociées encouragent de plus ce retour aux études, car les échelles salariales font une large place à la scolarité des enseignants. Cette appropriation par l’université de la formation des maîtres amène aussi une spécialisation du personnel pour les différents groupes d’élèves : préscolaire et primaire, enseignement secondaire et adaptation scolaire.
Cette nouvelle façon de préparer les futurs enseignants à une profession de plus en plus exigeante à mesure que les champs d’apprentissage s’élargissent est arrivée à un certain stade de maturité. Aujourd’hui, après quelque 35 années de fonctionnement, le nouveau régime de formation des maîtres a démontré, malgré certaines lacunes, que c’est l’uniformisation des apprentissages et des pratiques qui constitue le principal acquis des réformes de l’éducation des années 1960. Cette professionnalisation de la fonction et le statut social qui en découle ont permis aux enseignants de jouer un rôle accru dans la société régionale au cours des dernières décennies du XXe siècle.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
« Les Ursulines à Rimouski, 1906-1981 », numéro spécial de la Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. VII, n° 2, mai-août 1981, 56 p.