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Naissance de l’administration municipale
Thème : Société et institutions

La difficile naissance de l’administration municipale

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation Culture et Société. 24 septembre 2003

 

Avant les années 1850, les citoyens du Québec n’ont guère l’occasion d’exprimer leurs doléances auprès de leurs dirigeants. Les premières décennies de vie parlementaire, depuis 1792, se déroulent en vase clos et presque dans l’indifférence générale, surtout hors de villes de Québec et Montréal. C’est l’absence d’une instance de base qui est responsable de ce peu d’intérêt des citoyens. Il n’existe, si l’on excepte les conseils de fabrique chargés de l’administration des paroisses catholiques, aucun corps d’élus locaux pouvant représenter les intérêts de leurs commettants. La mise en place des administrations municipales, un nouveau palier de gouvernement, représente sûrement le principal acquis démocratique du XIXe siècle au Bas-Saint-Laurent.
 
La loi qui crée les premières municipalités dans la région, en 1845, n’a guère de suite. Les administrés, qui craignent l’apparition d’un nouveau palier de taxation, boudent cette créature imposée par le gouvernement du Canada-Uni. C’est la loi de 1855, laquelle instaure une structure à double niveau, local et régional, qui constitue le véritable départ de la vie municipale au Bas-Saint-Laurent. Les municipalités érigées de 1845 à 1848 sont confirmées, d’autres s’ajoutent. Un conseil de comté, où siègent les représentants de chacune des municipalités, vient coiffer le niveau local qui conserve toutefois les principaux pouvoirs. Au fil des ans, de nouvelles municipalités sont créées, suivant le rythme de l’occupation du territoire. Au XIXe siècle, l’encadrement civil demeure à la remorque du quadrillage imposé par l’administration religieuse, et les frontières des municipalités adoptent celles des paroisses.
 
Le financement du nouveau palier de gouvernement doit être assuré par des taxes prélevées localement, ce qui crée partout des résistances. Au XIXe siècle, le citoyen ne se voit guère comme un contribuable et son opposition à tout impôt local se manifeste déjà quand les conseils scolaires sont érigés dans les années 1840. Les habitants sont réfractaires à une autre taxation qui s’ajoute à celle pour les écoles. Les municipalités, qui se retrouvent avec des responsabilités et des pouvoirs étendus, n’ont pas les moyens de les assumer. En fait, plusieurs conseils municipaux demeurent longtemps impuissants et se contentent de voter des règlements qui n’exigent aucun engagement financier, comme la fixation de l’heure d’ouverture des commerces et la prohibition de la vente d’alcool, ou les mesures à prendre en cas d’épidémie.
 
Les administrations municipales sont cependant de plus en plus vues comme une nécessité à mesure que l’habitat se concentre à certains endroits. Dès 1850, le nombre de villages ou de hameau atteint 14 dans la région. Déjà, avec son millier d’habitants, Rivière-du-Loup est devenue la plus importante agglomération en bas de Québec : L’Isle-Verte, Trois-Pistoles et Rimouski comptent déjà des centaines de villageois. Cette dualité entre l’habitat regroupé et les rangs, entre le village et la campagne, va bientôt créer un monde municipal à deux vitesses. Dans les municipalités de paroisses où les agriculteurs restent en large majorité, les contribuables s’opposent à toute initiative nécessitant une dépense publique. Dans les villages, au contraire, la construction de nouvelles rues et de trottoirs, celle du premier aqueduc, requièrent certaines dépenses.
 
Avant la fin du XIXe siècle, la formation d’une première vraie ville, Fraserville (Rivière-du-Loup), et la constitution de gros villages obligent les élus municipaux à jouer un rôle croissant avec la multiplication des besoins pour les services d’aqueduc, d’égouts et d’électricité. On encourage la venue d’établissements industriels grâce à des exemptions de taxe ou même des subventions, comme le 25 000 $ accordé au chemin de fer du Témiscouata pour démarrer le projet à Fraserville. Au fil des décennies, d’autres municipalités de villages sont créées au cœur des municipalités de paroisses pour offrir des services urbains : Cacouna, Mont-Joli et Rimouski. Dans ce dernier cas, la petite agglomération saute l’étape du village et est directement dotée du statut de ville. Avant le premier conflit mondial, de nombreux villages vont naître, jusque dans la vallée de la Matapédia.
 
La formation des conseils municipaux a joué un rôle essentiel dans l’initiation à la vie démocratique au Bas-Saint-Laurent au XIXe siècle. C’est à l’assemblée mensuelle du conseil que les Bas-Laurentiens se sont initiés à l’exercice de la démocratie, un rôle que ne pouvaient jouer les lointaines capitales fédérale et provinciale et les épisodiques élections à un niveau supérieur. Pour les élus, la table du conseil municipal a représenté l’école de formation à l’exercice du pouvoir et au partage des responsabilités. Pour les citoyens, l’assemblée mensuelle a constitué le seul endroit où le pouvoir de décision était accessible et où l’intervention d’un ouvrier ou d’un agriculteur pouvait infléchir des actions prises pour le bien commun.


Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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