Thème :
Société et institutions
Cyprien Tanguay et le fonds d’emprunt municipal
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation Culture et Société. 24 septembre 2003
Au milieu du XIXe siècle, le gouvernement de l’Union tente à plusieurs reprises de mettre sur pied une administration locale dans chacune des paroisses et des cantons habités du Bas-Canada. Les communautés locales ne sont guère réceptives à ce nouveau palier de gouvernement qui devra se financer grâce aux taxes prélevées dans les municipalités auprès des contribuables. Le curé de la paroisse de Saint-Germain-de-Rimouski, désespéré de ne pouvoir continuer le chantier de la nouvelle église de sa paroisse, va trouver moyen de faire financer par l’État son coûteux projet en détournant les subventions prévues pour la mise en place du nouveau pallier administratif.
Pour faciliter les premières interventions des institutions municipales, le gouvernement de l’Union instaure un fonds d’emprunt municipal, grâce auquel les corporations locales ont accès au marché britannique des capitaux à un taux privilégié, afin de construire édifices publics, routes et ponts. Au total, près de 10 millions de dollars seront empruntés dans le Haut et le Bas-Canada (l’Ontario et le Québec), et la majorité des prêts serviront à la construction des chemins de fer. Parmi les plus gros emprunteurs québécois, on retrouve les villes de Québec et de Montréal, ainsi que la municipalité de paroisse de Saint-Germain-de-Rimouski, qui obtient 50 000 $ pour reconstruire le pont sur la rivière Rimouski, améliorer ses installations portuaires et construire une route depuis le quai jusqu’au futur chemin Taché qui doit traverser le haut pays en territoire cantonal, parallèlement à la côte.
C’est le curé Tanguay qui a procédé à une évaluation foncière sommaire des propriétés de façon à obtenir l’imposant emprunt. Au printemps 1858, il va lui-même chercher l’argent à Toronto, où siège alors le gouvernement de l’Union, en compagnie de Michel-Guillaume Baby, le député du comté de Rimouski. Aussitôt l’argent confié au conseil municipal, Tanguay, curé de la paroisse Saint-Germain-de-Rimouski et desservant la nouvelle paroisse voisine de Saint-Anaclet, fait emprunter par ses deux conseils de fabrique plus de 43 000 $ pour la construction des deux églises. Pour sauver ce qui reste de l’emprunt, le maire et quelques notables se font confier les quelques milliers de dollars résiduels. En 1859, quand arrive l’heure du premier remboursement de l’emprunt, il ne reste plus un sou, sans qu’aucun des travaux prévus dans la demande au fonds d’emprunt municipal n’ait été réalisé.
À Noël 1862, les paroissiens de Rimouski peuvent enfin inaugurer leur grande église de pierre conçue d’après les plans du célèbre architecte Victor Bourgeau. Mais l’abbé Tanguay n’est déjà plus là, s’étant vu confier une paroisse dans Bellechasse par son évêque. Cependant la paroisse Saint-Germain dispose désormais d’un magnifique temple de pierre, ce qui la favorise dans le choix du siège épiscopal pour le nouveau diocèse qui doit bientôt être érigé à l’est de Rivière-du-Loup, sur les deux rives de l’estuaire du Saint-Laurent. Jean Langevin, le premier évêque du diocèse de Rimouski, découvre alors le gouffre financier hérité du désastreux emprunt contracté pour édifier ce qui constitue désormais la cathédrale diocésaine.
Monseigneur Langevin doit dès lors trouver une solution pour débarrasser la paroisse mère du diocèse du lourd fardeau qui compromet les projets d’expansion de l’entreprenant évêque. En juillet 1867, six semaines à peine après son installation, Langevin a trouvé la solution. Il demande à la législature québécoise la création d’une nouvelle ville, Saint-Germain de Rimouski, dont le territoire restreint englobe cette partie de la municipalité de paroisse où sont érigés tous les édifices religieux. Appuyé par son frère, l’influent Hector Langevin, député à Québec et à Ottawa, la résolution a force de loi en 1869. Une nouvelle ville est née, libre de dettes. La municipalité de paroisse devra, quant à elle, traîner seule le boulet de l’endettement qui se gonfle au fil des ans. En 1880, la somme atteint 141 000 $. Encore en 1918, le gouvernement du Québec, qui a hérité des créances du fonds municipal en 1867, demande en vain le remboursement de l’emprunt de 1858.
Tout semble indiquer que l’emprunt ne sera jamais remboursé. Cette défection ne place cependant pas Rimouski dans une classe à part, car la plupart des municipalités ont failli à leurs obligations, en tout ou en partie. Ce n’est toutefois qu’à Rimouski que l’emprunt a servi à un usage aussi particulier, alors que l’argent des banquiers londoniens a servi à bâtir des églises catholiques! Cyprien Tanguay sera, lui, appelé à un autre destin. Au terme de ses dépouillements des registres des paroisses catholiques du Québec, il deviendra « le père de la généalogie au Québec ».
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
Faucher, Albert. « Le fonds d’emprunt municipal dans le Haut-Canada, 1852-1867 », Recherches sociographiques, vol. 1, n° 1, janvier-mars 1960, p. 7-31.