Thème :
Société et institutions
L’occupation du Témiscouata aux XIXe et XXe siècles
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003
La vallée du Témiscouata est la région de l’intérieur du Bas-Saint-Laurent qui suscite le plus tôt l’intérêt des colonisateurs européens. Son portage, qui permet de relier la baie de Fundy à la vallée du Saint-Laurent, utilisé par les Amérindiens, était déjà connu par les Européens au XVIIe siècle. Malgré son importance en temps de conflit, ni les Français ni les Britanniques ne jugeront bon d’y installer une population permanente avant la guerre de 1812. Le peuplement s’y effectue avec une extrême lenteur jusqu’au tournant du XXe siècle, quand les compagnies forestières découvrent son potentiel. Après un épisode de forte expansion, la population du Témiscouata amorce, en 1960, une période de décroissance qui ne semble pas devoir trouver son terme.
En 1783, la guerre d’Indépendance américaine incite les autorités coloniales à assurer un lien terrestre entre Québec et Halifax. La route du Portage est rapidement complétée par des miliciens de la Côte-du-Sud. Très tôt cependant, cette route devient impraticable, car aucune population sédentaire n’est établie pour garantir son entretien. En 1812, l’armée britannique ne répète pas la même erreur et, en 1814, elle installe plusieurs soldats avec leurs familles le long de la route jusqu’au Madawaska, au Nouveau-Brunswick. Cette colonisation dirigée connaît peu de succès et en 1827, la seigneurie de Madawaska, qui ceinture le lac Témiscouata, ne compte que 65 habitants. Au recensement de 1861, on rapporte 941 personnes distribuées tout au long du Portage, une population tellement dispersée que l’on ne peut encore fonder aucune paroisse.
Malgré la construction d’une nouvelle route, celle du Témiscouata, les conditions ne sont pas encore réunies pour la colonisation massive de la vallée du Témiscouata avant les dernières années du XIXe siècle et le futur comté de Témiscouata ne compte encore que 3 600 résidants en 1891. La construction du chemin de fer du Témiscouata, entre Rivière-du-Loup et Edmundston, au Nouveau-Brunswick, ouvre l’accès à de grands blocs forestiers encore inexploités que des intérêts américains se disputent. En 1914, l’achèvement du chemin de fer Transcontinental National ouvre au développement économique la partie sud-ouest du Témiscouata, près du lac Pohénégamook. Partant, des nœuds de peuplement surgissent le long des chemins de fer, autour des usines de sciage. En 1921, le Témiscouata compte près de 14 000 habitants, soit 10 000 de plus qu’en 1891. Pendant ces trente années, 70 % de cet accroissement provient des excédents naturels, le reste de l’immigration.
Désormais, le mouvement d’immigration en provenance des paroisses de la côte de l’estuaire du Saint-Laurent se tarit et la croissance des effectifs ne viendra plus que des excédents naturels, qui demeurent les plus forts de tout le Québec rural dans l’Entre-deux-guerres. La période de colonisation dirigée des années 1930, même si elle favorise l’ouverture de nouvelles paroisses, permet seulement d’établir les jeunes ménages des villages industriels de la région. À Rivière-Bleue, Estcourt, Dégelis, Notre-Dame-du-Lac, Cabano et Saint-Louis-du-Ha-Ha!, l’industrie du bois est en crise. Même si la demande pour les produits forestiers reprend à la faveur de la Deuxième Guerre mondiale, la surcoupe des années 1895-1930 fait sentir ses effets.
Qu’importe, la population croît de façon constante jusqu’au recensement de 1961, mais à un rythme de moins en moins prononcé. Au cours de la décennie de 1950, il ne s’ajoute qu’un millier de Témiscouatains, ce qui implique un bilan migratoire négatif de près de 7 000 individus. L’agriculture se concentre désormais dans les quelques paroisses au centre de la vallée où les sols sont meilleurs et l’accès aux marchés plus facile. L’industrie forestière est en déroute et aucun investissement majeur ne vient compenser les pertes d’activité économique. L’exode rural s’accélère à mesure que les jeunes gens et les familles vont chercher à Québec, Montréal ou sur la Côte-Nord les emplois qui font défaut sur place.
Depuis le sommet de 1961, alors que le recenseur dénombre 29 253 Témiscouatains, la chute des effectifs est constante. Au début du XXIe siècle, la région ne compte plus qu’une vingtaine de milliers de résidants, malgré l’annexion des localités de Saint-Éleuthère et Saint-Athanase, arrachées au comté de Kamouraska. De 1961 à 1986 seulement, le bilan migratoire montre un déficit de plus de 16 000 individus. Le vieillissement marqué de la population restante et la chute de la natalité ne permettent guère d’espérer un redressement prochain, d’autant que la principale ressource locale, la forêt, souffre encore des prélèvements excessifs du passé.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.