Thème :
Société et institutions
L’invasion des terrasses littorales, 1800-1870
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003
Durant tout le Régime français, le système seigneurial s’est avéré un échec comme institution de peuplement au Bas-Saint-Laurent. Les dernières décennies du XVIIIe siècle ont vu peu de progrès à ce chapitre car l’on compte à peine deux milliers de résidants à la fin du siècle. À compter des années 1800, la conjoncture se transforme et la région commence son réel développement. Cette augmentation de la population est alimentée, à la fois, par une impressionnante croissance naturelle et par un courant migratoire d’intensité variable d’une décennie à l’autre, en provenance des régions plus à l’ouest. De 1800 à 1870, les terrasses, formées de bonnes terres arables, de Notre-Dame-du-Portage, à l’ouest de Rivière-du-Loup, jusqu’à Sainte-Félicité, à l’est de Matane, sont entièrement occupées et la population régionale atteint 50 000 personnes, soit 25 fois celle du début du siècle.
Ce sont les seigneuries de la Côte-du-Sud, de Lauzon à Kamouraska, qui fournissent la plupart des nouveaux colons qui s’installent dans la région durant cette période. Graduellement, on comble les espaces libres sur le premier rang, entre les seigneuries de Rivière-du-Loup, de L’Isle-Verte et de Trois-Pistoles, de là vers Saint-Simon et Saint-Fabien. Plus bas sur l’estuaire, Rimouski pousse ses défrichements vers le Bic à l’ouest et vers la rivière Mitis, à l’est. Sur les quelque 10 000 Bas-Laurentiens recensés en 1831, près de 6 000 vivent dans les seigneuries du comté de Témiscouata, de Rivière-du-Loup à Trois-Pistoles. Les deux premiers rangs qui longent l’estuaire abritent encore neuf habitants sur dix. À Trois-Pistoles et à Cacouna, des dizaines de familles vivent déjà sur le troisième rang; au dernier endroit le quatrième rang est déjà occupé par 28 familles de défricheurs.
Les quarante années qui suivent sont celles des défrichements intensifs, de la véritable mise en valeur agricole de basses terres. La population du Bas-Saint-Laurent quintuple et sa part des effectifs du Québec passe de 1,8 %, en 1831, à 4,2 %, en 1871. C’est la période 1844-1861 qui voit la plus forte croissance. Aux généreux excédents naturels, qui permettent le doublement de la population à tous les vingt ans, il faut ajouter au cours de ces années un bilan migratoire positif de près de 4 300 individus. Mais dès la décennie suivante ce bilan devient négatif et il le restera jusqu’à nos jours. Au total, c’est l’époque de la naissance d’une nouvelle région du Québec que l’on ne peut plus confondre avec le vieux terroir de la Côte-du-Sud et avec la Gaspésie des pêcheurs de morue.
La croissance des effectifs n’est pas uniforme selon les sous-régions, celle de Rivière-du-Loup à Trois-Pistoles dans le comté de Témiscouata, celle de Saint-Simon à Sainte-Flavie, dans le comté de Rimouski, et celle en bas de Métis, dans le comté de Matane. Les basses terres du Témiscouata, qui rassemblent près de 60 % de la population régionale en 1831, n’en comptent plus de 45 % en 1871. Dans Rimouski, un déclin relatif est aussi visible, mais de moindre envergure. C’est la sous-région de Matane qui enregistrera une véritable explosion de ses effectifs. De 1844 à 1871, sa population décuple, de moins de 1 000 habitants à plus de 10 000. Le chemin qui longe l’estuaire atteint Matane en 1850 et le peuplement en continu de la rive sud s’étend désormais jusqu’à Québec.
Même si une forte majorité des Bas-Laurentiens vivent sur une exploitation agricole au milieu du siècle, l’épaississement de l’habitat amène la formation de petites agglomérations dont certaines atteignent un format notable. De 1831 à 1851, le nombre de villages et de hameaux passe de 3 à 14. Déjà, Rivière-du-Loup s’affiche comme la plus importante agglomération des deux rives de l’estuaire en bas de Montmagny avec un millier de résidants; elle deviendra bientôt, sous le nom de Fraserville, la première municipalité de village, en 1855. Toutefois, c’est Saint-Germain-de-Rimouski qui obtient la première le statut de ville, en 1869. Les plus importantes concentrations villageoises en 1870 sont, à part Fraserville et Rimouski, Trois-Pistoles, Cacouna, L’Isle-Verte, Bic, Sainte-Luce et Matane.
Comme ce peuplement se fait surtout de proche en proche à la faveur d’un accroissement naturel élevé et à des apports migratoires de la Côte-du-Sud, de la région de Québec et de Charlevoix, il conserve son homogénéité. Il s’agit presque toujours d’effectifs de souche ethnique française, principalement canadienne, parfois acadienne, et de religion catholique. L’arrivée d’immigrants anglophones d’origine britannique se produit à petite échelle, surtout dans les gros villages, et est reliée au commerce et au développement de l’industrie forestière. Métis fait exception. Là, des agriculteurs écossais se sont installés depuis 1817 à l’invitation du seigneur McNider. En 1871, leurs descendants sont au nombre de 349, mais ils ne seront guère plus nombreux à la fin du siècle.
Pendant toutes ces années, de 1800 à 1870, la population bas-laurentienne conserve son caractère de jeunesse. Les enfants sont nombreux et les moins de seize ans représentent la moitié de la population. La région est d’ailleurs parmi celles, avec Charlevoix et le Saguenay, qui présente le plus fort caractère de jeunesse au Québec. En 1869, le début de la construction du chemin de fer Intercolonial, qui longe l’estuaire jusqu’à Sainte-Flavie, puis qui se lance à l’assaut du plateau vers le Nouveau-Brunswick par la vallée de la Matapédia, ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de la colonisation de la région. De nouveaux villages naissent autour des gares et des ateliers de réparation, et des centaines d’emplois spécialisés apparaissent. Le paysage des basses terres présente déjà, pour une bonne part, l’aspect que l’on observe aujourd’hui.
Bibliograpahie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.