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Une région peu attirante
Thème : Société et institutions

Une région peu attirante avant 1800

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003


Pendant tout le Régime français de 1608 à 1760, le Bas-Saint-Laurent n’attire que de rares colons. Les habitants de la Nouvelle-France ne croient pas que les terres en bas de la seigneurie de Kamouraska soient propices à l’agriculture, et le seul intérêt de ce désert boisé tient aux quelques havres naturels, de bien faible valeur, offerts aux marins menacés par la tempête. À la fin du XVIIIe siècle, les autorités coloniales étendent le système seigneurial jusqu’au bas estuaire du Saint-Laurent, mais la tentative est vouée à l’échec. Des seigneurs absents héritent de fiefs dont ils ignorent les frontières ou même l’emplacement approximatif et se soucient tellement peu de les mettre en valeur qu’ils sombrent parfois dans l’oubli. En 120 ans, de 1680 à 1800, le peuplement est tellement lent qu’à l’orée du XIXe siècle le Bas-Saint-Laurent abrite moins de 350 familles, l’effectif d’une grande paroisse de la région de Québec.
 
Vers 1680, quatre pionniers s’établissent à Rivière-du-Loup et Jean Gagnon afferme la seigneurie du Bic : en 1698, les deux seigneuries comptent 22 habitants. Si l’on ajoute les familles Lepage et Riou de Rimouski et de Trois-Pistoles, on a déjà fait le compte du peuplement de la région au début du XVIIIe siècle. Pendant la première moitié du siècle, les progrès demeurent d’une extrême lenteur et la population se concentre dans quatre seigneuries : Rivière-du-Loup, L’Isle-Verte, Trois-Pistoles et Rimouski. Si les activités de traite avec les Amérindiens et la proximité de Québec favorisent la constitution d’une petite colonie à Rivière-du-Loup, il n’en va pas de même plus à l’est. Les trois autres fiefs se développent peu à peu grâce à leurs seigneurs-habitants originaires de l’île d’Orléans, Jean-Baptiste Côté à L’Isle-Verte, Jean Riou et ses frères à Trois-Pistoles, et René Lepage à Rimouski.
 
En 1760, l’échec du système seigneurial au Bas-Saint-Laurent peut être illustré par son incapacité à installer de nouveaux colons. En fait, la grosse part de la croissance des effectifs vient des propres familles des seigneurs. Au total, les autorités britanniques découvrent un pays presque vierge et la population bas-laurentienne totalise à peine de 300 à 400 individus à la Conquête. À l’est de la seigneurie de Rimouski, on ne trouve aucun habitat permanent et même le poste de pêche sédentaire établi à Matane n’existe plus, ayant été détruit par des pirates américains. En fait, comme la majorité de la population est constituée par les colons revenus de l’île d’Orléans et de leurs descendants, le peuplement s’avère d’une remarquable homogénéité.
 
Le premier recensement valable sous l’administration coloniale britannique est mené en 1790 dans le but de mettre en place le premier Parlement élu. On peut alors constater que la population a plus que triplé depuis la Conquête, alors que l’on dénombre 1 248 habitants. Cette croissance n’implique pas un important mouvement d’immigration car les excédents naturels suffisent pour en expliquer l’essentiel.  Ce sont d’ailleurs les quatre seigneuries déjà occupées depuis un siècle qui rassemblent la totalité de ces effectifs. Rivière-du-Loup compte 364 habitants, l’Isle-Verte 355, Trois-Pistoles 196 et Rimouski 333. Toutefois, les quelques familles qui vivent hors du territoire de ces seigneuries y sont comptabilisées. Vers l’est, les seigneuries Lepage-Thibierge et Lessard sont chacune occupées par quatre colons et Donald McKinnon habite sa seigneurie nouvellement acquise à Matane.
 
Au début du XIXe siècle, on peut estimer à environ 2 000 le nombre de Bas-Laurentiens. À cette date, même si l’on sait désormais que la culture du sol et l’élevage sont possibles à l’est de Kamouraska, peu de jeunes familles sont intéressées à vivre si loin de Québec. En fait, les conditions qui vont permettre la véritable colonisation du Bas-Saint-Laurent ne sont pas encore rassemblées. Elles le seront quand les seigneuries de la Côte-du-Sud n’auront plus de terres à offrir à leurs prolifiques populations et quand les forêts encore vierges de la région vont attirer les exportateurs de bois d’œuvre pour le marché britannique.


Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
Laberge, Alain. Propriété et développement des seigneuries du Bas-Saint-Laurent, 1656-1790. Toronto, mémoire de maîtrise (histoire), York University, 1981. xii-102 p.
 
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