Thème :
Société et institutions
Le destin de la réserve malécite de Viger
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 21 mars 2003
La réserve malécite de Viger dont le territoire est inclus dans le canton du même nom, représente une des premières concessions foncières faites aux Amérindiens du Québec. Situé derrière la seigneurie de L’Isle-Verte dans le comté de Rivière-du-Loup, ce territoire constitue de fait le modèle du système des réserves indiennes graduellement mis en place au XIXe siècle par le gouvernement colonial puis par le palier fédéral, après la Confédération. La politique d’établissement des Amérindiens en réserves préconisée par ces gouvernements est l’expression d’une idée, généralement répandue à l’époque, qu’il est souhaitable de transformer ces nomades en sédentaires par le biais de l’agriculture. On espérait de la sorte soulager la profonde misère dans laquelle l’omniprésente colonisation blanche les avait repoussés.
Ce sont des requêtes répétées de la part des autorités religieuses du diocèse de Québec et des demandes issues des Malécites eux-mêmes qui vont amener le gouvernement colonial à céder des terres aux Amérindiens. Le 15 mai 1827, le Conseil exécutif du Bas-Canada confirme la concession d’un territoire aux Indiens malécites du Témiscouata. En janvier 2003, le gouvernement fédéral va reconnaître l’importance du geste pour la mise en place d’une politique nationale destinée à encadrer ses relations avec les peuples autochtones aux XIXe et XXe siècles. Le 3 septembre 1827, le gouvernement colonial donne suite à la décision prise quatre mois plus tôt et ordonne l’arpentage d’un territoire de 1 214 hectares sur les terres de la Couronne « à l’arrière des seigneuries de Rivière-du-Loup et de L’Isle-Verte. » Les terres sont partagées en 30 lots d’une égale superficie et des graines de semence et des provisions sont distribuées aux familles malécites pour faciliter leur installation.
Au cours de ses vingt premières années d’existence, la mise en valeur agricole de la petite réserve progresse peu. En 1850, un fonctionnaire du gouvernement canadien rapporte qu’environ 10 % de la réserve est en culture et que la communauté possède une trentaine d’animaux de ferme. Si les Malécitres semblent peu attirés par l’agriculture de subsistance, c’est sans doute qu’ils sont sollicités, comme leurs voisins Canadiens français, par des activités plus rentables. À cette époque, le travail dans les chantiers, à la drave et dans les scieries, fait déjà vivre une bonne partie des Bas-Laurentiens. Au milieu du XIXe siècle, le tourisme est déjà florissant dans les régions de Kamouraska et de Rivière-du-Loup et les articles d’artisanat amérindien trouvent déjà preneurs. Les petites fermes de subsistance amérindiennes ne produiront jamais suffisamment pour la mise en marché, ce qui réduit d’autant l’intérêt des Amérindiens pour l’agriculture.
À la fin des années 1830, la colonisation des terres cantonnales à l’arrière des seigneuries littorales se fait de plus en plus forte dans la région, à mesure que les agriculteurs poussent les défrichements vers le plateau des Appalaches. Pour plusieurs colons éventuels, la présence de la réserve malécite représente un frein à l’établissement et on commence à poser une série de questions sur le bon usage de ce que l’on considère un riche terroir agricole. Dans les années 1850, les pressions auprès du gouvernement semblent s’amplifier pour que la réserve retourne au domaine public, pour être revendue par la suite. En 1859, un nouvel arpentage prive les Malécites des meilleures terres arables du canton de Viger. Quelques années plus tard, la municipalité de L’Isle-Verte et le Conseil de comté de Témiscouata adressent des pétitions aux autorités exigeant le retour des terres de la réserve à la disposition de la colonisation.
En 1867, la création du diocèse de Rimouski et la naissance de la Confédération vont mettre en place les conditions qui vont mener à la rétrocession des terres de la réserve de Viger. Le hasard a voulu que les frères Hector et Jean Langevin se retrouvent en situation de régler la question, le premier comme « Surintendant des Affaires des Sauvages » à Ottawa, le second, à titre d’évêque de Rimouski. De plus, leur frère Edmond est nommé Grand vicaire du diocèse, et c’est lui qui prend charge du dossier qui est rondement mené. Les Malécites acceptent à contrecœur de revendre leurs terres au gouvernement. Les autorités fédérales s’empressent de faire arpenter à nouveau la réserve pour la subdiviser en lots qui seront vendus aux enchères le 11 mai 1870. La vente rapporte près de 10 000 $ qui sont distribués aux familles malécites résidentes ou non.
Les Malécites recensés comme ayant droit à « la distribution annuelle des deniers provenant du produit de la réserve des terres » sont au nombre de 156. Tous ne résident pas dans les parages et la rétrocession a comme première conséquence d’accentuer leur éparpillement. Le gouvernement tente de les regrouper sur un nouveau territoire, au Témiscouata, sur les terres incultes du canton Whitworth, une expérience vouée à l’échec. Plus tard, le gouvernement leur concède un petit lopin de terre à Cacouna, élevé au statut de réserve, pour les Malécites qui y habitent déjà depuis longtemps. En fait, la nation malécite ne se remettra jamais de la perte du territoire de la réserve de Viger, et ses membres deviendront de plus en plus tributaires des subsides et des secours accordés par l’État.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.