Pendant toute la période historique, celle qui suit les voyages de Jacques Cartier, le Bas-Saint-Laurent constitue une zone d’exploitation et de passage pour les nations amérindiennes qui habitent l’est du Canada. Au XVIe siècle, le bas estuaire du Saint-Laurent constitue une zone de contact entre les nations algonquiennes, celles des Montagnais, des Micmacs et des Malécites et les bandes iroquoiennes de Mohawks, Hurons ou Iroquois. Au début de l’été, les groupes iroquoiens entament une longue période d’excursions vers le golfe du Saint-Laurent. Ils se rendent même à Percé et jusqu’à Miscou, bien loin de leurs villages concentrés entre l’île aux Coudres et Portneuf. Quand Champlain pénètre à nouveau dans l’estuaire, au XVIIe siècle, cette présence iroquoienne est déjà chose du passé.
Si Champlain ne rencontre plus d’Iroquois en bas de Québec, c’est qu’ils en ont été chassés par les Amérindiens de l’est. Parmi ceux-ci, les Micmacs constituent, par leur nombre et leur rayonnement géographique, une des plus importantes nations amérindiennes du nord-est américain. Au début de la colonisation européenne, leur territoire couvre l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, la péninsule de Gaspé et toute la moitié est du Bas-Saint-Laurent. La nation compte alors entre quatre et cinq milles membres. La vallée de la Matapédia, le réseau des rivières Mitis et Matane constituent leur territoire d’exploitation vers l’ouest. Mais on les rencontre encore plus haut sur l’estuaire. En 1677, le père Morain, jésuite, en compte deux cents à la mission Bon-Pasteur à la rivière du Loup.
Jusqu’au début des années 1800, de nombreux témoins attestent de la présence micmaque dans la partie est du Bas-Saint-Laurent. Ainsi, en 1741, le sulpicien Clément Pagès, qui voyage sur un navire en provenance de France, raconte avoir rencontré des Micmacs à Rimouski. Vingt-cinq années plus tard, un autre voyageur en voit au Bic. En 1784 et 1791, deux documents attestent d’une présence micmaque à Matane : trente-six chefs de familles amérindiennes figurent sur la liste des débiteurs de la seigneurie de Matane après que le marchand Donald McKinnon eut mis fin à son association avec Louis Marchand de Québec; quelques années plus tard, on les mentionne dans une pétition réclamant une meilleure administration de la justice. Comme le gouvernement ne crée aucune réserve indienne micmaque au Bas-Saint-Laurent, la nation se concentre désormais dans les Maritimes et en Gaspésie.
Une autre nation appartenant à la grande famille algonquienne est présente sur le territoire bas-laurentien, au début de la colonisation européenne. Les Malécites, souvent confondus avec les Abénaquis de l’est, leurs voisins, se désignent eux-mêmes comme « des Indiens du fleuve Saint-Jean ». La rivière Saint-Jean, qui coule du nord au sud du Nouveau-Brunswick, est au cœur de leur territoire, lequel couvre une grande partie de cette province et du Maine actuels. Vers le nord, leur zone d’exploitation englobe une partie de l’estuaire du Saint-Laurent, entre Lévis et Rimouski. Leur langue est très différente de celle des Micmacs dont ils jouxtent le territoire, et leurs rapports ne sont pas toujours cordiaux avec ces derniers.
Au début de la Nouvelle-France, le jésuite Pierre Biard évalue le nombre de Malécites à environ mille individus. Leur mode de subsistance est comparable à celui des groupes voisins, avec un cycle annuel saisonnier de culture du maïs, de pêche, de chasse et de cueillette qui les force à parcourir de longues distances. La rive sud du Saint-Laurent et, très tôt sans doute, le bassin du Témiscouata, font partie du réseau d’exploitation. Peu après la Conquête cependant, il semble que la présence des colons commence à menacer leur territoire et leur mode de vie. En plus de livrer à l’agriculture les belles terres de la rivière Saint-Jean, les colons concurrencent les Amérindiens dans la chasse et la traite des fourrures.
Comme partout ailleurs dans l’est du Canada, les peuplements acadiens, canadiens français et loyalistes repoussent bientôt les habitants autochtones dans des espaces de plus en plus restreints. À compter de la Proclamation royale de 1763, on commence à identifier des territoires spécifiquement « réservés » aux Amérindiens. Comme les missionnaires qui résident à Cacouna et à L’Isle-Verte ont la responsabilité de desservir les Malécites du Témiscouata, l’idée de les regrouper dans un établissement sédentaire à l’arrière des défrichements des seigneuries, le long de l’estuaire, fait son chemin. La réserve malécite de Viger va bientôt naître.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.