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L’électrification des villes et villages
Thème : Économie

L’électrification des villes et villages avant 1940

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


Au XXe siècle, l’idée de progrès est rattachée à celle de la diffusion généralisée de l’énergie électrique. Au Québec, le mouvement d’électrification se modèle sur celui des autres économies développées et l’usage de l’électricité se répand des grandes aux petites villes. L’éclairage permet d’allonger les heures d’ouverture des commerces, celles du travail à l’usine et, dans la région, d’instaurer des quarts de nuit dans les grandes scieries. Il existe cependant un fossé entre l’électrification urbaine et celles des campagnes. Comme il s’avère peu rentable d’offrir le service à la population dispersée des fermes, l’histoire de l’électrification au Bas-Saint-Laurent s’étend sur trois quarts de siècle, depuis l’éclairage de quelques résidences de Rivière-du-Loup, en 1888, jusqu’au branchement des rangs les plus éloignés, sur le plateau, au début des années 1960.
 
C’est à Fraserville (Rivière-du-Loup) que débute l’électrification dans la région, avec peu de retard sur celle des grandes villes canadiennes. L’entrepreneur F. C. Dubé, qui possède une petite usine de pâte de bois, fournit en 1888 l’éclairage électrique dans le secteur de la gare de l’Intercolonial. En 1896, Cook et Waterson, les nouveaux propriétaires de l’usine, offrent d’étendre le service à tout Fraserville. Quelques années plus tard, une nouvelle usine électrique est construite près de l’usine de pâte et le service est étendu jusqu’à Cacouna. L’électrification de la seule autre ville bas-laurentienne au début du XXe siècle, Rimouski, est plus tardive. La petite centrale construite par la Compagnie électrique de Rimouski ne peut desservir ses premiers clients qu’à l’automne 1903. Pendant de longues années, le service demeure affligé de nombreux problèmes, surtout dus au bas niveau de la rivière en hiver, la saison au cours de laquelle l’éclairage électrique est le plus apprécié.
 
Entraînés par l’exemple, d’autres entrepreneurs bas-laurentiens offrent bientôt le mode d’éclairage révolutionnaire à leurs concitoyens. En 1909, la fonderie Rouleau de Mont-Joli livre de l’électricité produite à l’aide d’un moteur à gazogène. Joseph Roy fait de même à Saint-Ulric grâce à une petite turbine. Deux années plus tard, le village d’Amqui est alimenté par une usine érigée sur la rivière Matapédia. Son jeune gérant, Jules-A. Brillant, étend par la suite le service à Lac-au-Saumon, Saint-Léon-le-Grand, Val-Brillant et Sayabec. En 1914, la compagnie Price électrifie ses installations de Matane. Durant la guerre et l’après-guerre, le mouvement se poursuit. Trois-Pistoles, L’Isle-Verte, Cabano et Notre-Dame-du-Lac voient la naissance de petites compagnies locales d’électricité et le Crédit municipal canadien étend le service depuis Rimouski jusqu’à Sacré-Cœur et au Bic.
 
Cependant, tous ces petits réseaux locaux manquent de fiabilité et beaucoup n’offrent encore, en 1922, que le service de nuit. La solution technique est pourtant connue depuis déjà longtemps. Il est préférable d’aménager de grosses installations de production sur des sites exceptionnels, même éloignés, puis de transporter le courant sur des lignes à haute tension vers les consommateurs. Mais le Bas-Saint-Laurent compte peu de chutes au potentiel suffisant à l’est de la rivière du Loup, sauf celles de la rivière Mitis, près du village de Price. Le financier Jules-A. Brillant rassemble, en 1922, des notables rimouskois et réunit l’argent pour l’achat des chutes de Mitis, rachète les installations du Crédit municipal canadien et fonde la Compagnie de pouvoir du Bas-St-Laurent. L’usine de Mitis entre en activité l’année suivante et Brillant commence à racheter les petites entreprises d’électricité de la région et à construire des lignes de transmission depuis Mitis jusqu’aux différents marchés, approvisionnant même des localités du Nouveau-Brunswick.
 
La continuelle croissance de la population urbaine et villageoise et les nouvelles utilisations de l’électricité forcent la Compagnie de pouvoir du Bas-St-Laurent à de nouvelles acquisitions et à l’ajout d’une deuxième génératrice à Métis, en 1930. Puis survient la Grande Dépression. La compagnie, qui connaît de sérieuses difficultés financières depuis 1926, peut être reprise par son fondateur, en 1935, après neuf années de contrôle américain. Jusqu’en 1950, la progression du marché s’avère remarquable. En 15 ans, les ventes annuelles sont multipliées par quatre et le nombre d’employés passe de 63 à 242. Quand survient le deuxième conflit mondial, les villes et villages du littoral et des vallées de la Matapédia et du Témiscouata sont tous reliés à un réseau de distribution d’électricité.
 
L’électrification des agglomérations villageoises a accentué le clivage entre la vie à la ville et celle à la campagne. Les seules fermes qui disposent de la nouvelle forme d’énergie sont celles qui se trouvent le long du réseau de distribution. En 1945, les fermes ne représentent que 2 % des ventes de la Compagnie de pouvoir du Bas-St-Laurent, qui n’est d’ailleurs pas intéressée au marché de l’habitat dispersé. Le réseau des compagnies privées, érigé à des fins urbaines, n’est rentable que là où sont concentrés les consommateurs. L’électrification des campagnes devra attendre la création de l’Office de l’électrification rurale, en 1945.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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