Longeur 3
Encyclobec

Chania

Les pêcheries de l’estuaire
Thème : Économie

Les pêcheries de l’estuaire avant 1900

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


Le visiteur qui longe l’estuaire en territoire bas-laurentien, de Rivière-du-Loup à Cap-Chat, ne peut qu’être impressionné par la dimension croissante de ce véritable bras de mer. Les quais de Rimouski et de Matane abritent des dizaines de bateaux de pêche et l’imposant institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada, à Mont-Joli, renforce cette impression d’un riche potentiel halieutique régional. En fait, durant tout le XXe siècle, la pêche maritime s’est avérée une activité marginale dans l’économie bas-laurentienne. C’est sans doute d’ailleurs la présence croissante de la pêche en eau salée depuis Les Méchins et Cap-Chat qui fournit la véritable frontière économique, sociale et culturelle entre le Bas-Saint-Laurent des agriculteurs et la Gaspésie des pêcheurs.
 
Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’aux années 1820, les autorités coloniales françaises, puis anglaises, ont beaucoup compté sur la pêche pour assurer le développement du Bas-Saint-Laurent. Sous le Régime français, la chasse et pêche jouent un rôle essentiel dans la survie des premiers établissements. Le saumon, le hareng, l’anguille et le caplan sont capturés en grande quantité par les colons qui pêchent aussi la morue à peu de distance de la côte. Cette dernière espèce fréquente d’ailleurs l’estuaire jusqu’à Rivière-du-Loup avant 1800. Au Bic, les cinq premiers censitaires négligent les défrichements pour la pêche au saumon. Les seigneurs et les premiers prêtres et missionnaires vont déplorer cet état de fait, accusant la pêche d’être le principal obstacle à la colonisation agricole en bas de Kamouraska.
 
Tout au long des premières décennies du XIXe siècle, la pêche continue d’offrir un complément nécessaire à la subsistance des habitants de la région, surtout dans les années de mauvaises récoltes. La morue et le flétan sont à portée de la pêche côtière, le saumon remonte les plus importantes rivières et l’anguille et le hareng sont capturés à l’aide de pêches de fascines établies perpendiculairement au rivage. On retrouve de ces pêches tout au long de la côte. Joseph Bouchette en compte huit à Rimouski en 1827. Mais seul le poste de pêche établi par le seigneur de Métis semble avoir atteint une certaine envergure. À la belle saison, une vingtaine de personnes y travaillent. Le banc de pêche à la morue et au flétan se trouve à moins de deux kilomètres au large et les pêches au saumon et au hareng sont établies au fond de la baie (l’anse des Morts). Les prises sont séchées, salées ou « marinées à la manière écossaise », puis expédiées par goélette à Québec, avec les Antilles comme destination finale.
 
Au fil des ans, l’agriculture et l’industrie forestières relèguent la pêche au rôle d’utile complément sur les rives du moyen et du bas estuaire du Saint-Laurent. Cependant, grâce à un potentiel halieutique encore certain et à l’occupation de la côte de Matane à Capucins, les années 1850 à 1880 représentent sans doute le sommet historique du nombre de personnes qui s’adonnent à cette activité, et du volume des prises au Bas-Saint-Laurent. Au recensement de 1871, 467 personnes se déclarent pêcheurs ou graviers. La majeure partie d’entre eux demeurent de Saint-Ulric à Capucins, à Saint-Jérôme-de-Matane, Sainte-Félicité, l’Anse-à-la-Croix, Grosses-Roches, Ruisseau-à-Sem et aux Méchins. La pêche qu’on y pratique ressemble à celle des Gaspésiens et la morue constitue l’essentiel des prises.
 
À l’ouest de Saint-Ulric, on ne rencontre plus guère de pêcheurs professionnels. Tout au long de la côte, les cultivateurs du premier rang construisent des pêcheries de fascines. Les espèces de peu de valeur récoltées, hareng, éperlan et caplan, sont destinées à la consommation locale ou servent d’engrais dans les champs de pommes de terre. C’est dans la région de L’Isle-Verte que la tradition de vivre des ressources de l’estuaire perdure. En 1870, on compte sur l’île et la terre ferme 44 pêcheurs, 36 barques et 31 pêcheurs de fascines. Ces pêcheries de fascines sont responsables de la presque totalité des prises à l’ouest de Métis. Le rivage des comtés de Rivière-du-Loup et de Rimouski en compte 220 où sont capturés 28 500 barils de 90 kilogrammes de hareng et d’autres poissons.
 
La rive de l’estuaire va continuer à être bordée de pêcheries perpendiculaires au rivage dans les premières décennies du XXe siècle. Toutefois, la véritable pêche maritime, celle qui s’exerce à l’est de Matane, amorce un net déclin dès la fin du XIXe siècle. La morue s’aventure de moins en moins dans l’estuaire et Cap-Chat, en Gaspésie, devient le poste de pêche le plus occidental sur la rive sud. De Matane à Capucins, l’agriculture et l’exploitation forestière remplacent la pêche comme activité principale. Dans les années 1970, le retour de la pêche s’effectue pour des espèces jadis négligées, la crevette et le crabe.
 
 
Bibliographie :

Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
Chania