Thème :
Économie
Cacouna, rendez-vous des estivants au XIXe siècle
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003
C’est au XIXe siècle, surtout à compter de 1840, que le Québec voit apparaître une première forme de tourisme, celui de villégiature. Les membres de la grande et de la moyenne bourgeoisie urbaine, désireux de s’éloigner des villes si insalubres lors des canicules estivales, trouvent refuge à la campagne où ils recréent la bonne société dans laquelle ils évoluent le reste de l’année. Les paysages grandioses de l’estuaire du Saint-Laurent attirent cette riche clientèle, très majoritairement anglophone, qui vient y construire des villas estivales, alors que des promoteurs développent des compagnies de navigation et érigent de grands hôtels. Si Murray Bay (Pointe-au-Pic) est la destination préférée sur la rive nord, Cacouna n’a guère de concurrence sur la rive sud avant 1880.
Dès les années 1840, les collines boisées et la proximité des plages sablonneuses attirent les premiers villégiateurs à Cacouna. En 1855, l’inspecteur des écoles signale le peu de fréquentation des classes au printemps, les enfants étant mobilisés pour recevoir « des milliers d’étrangers ». Au cours des années qui suivent, Cacouna devient de plus en plus accessible. Le quai de Rivière-du-Loup va désormais recevoir les vapeurs qui amènent les touristes et estivants depuis Québec. Ils complètent en calèche la dizaine de kilomètres jusqu’à Cacouna. En 1860, le chemin de fer du Grand Tronc relie Rivière-du-Loup à Lévis, Montréal et Toronto. En 1873, le train se rend à Cacouna, même si la ligne Rivière-du-Loup–Halifax de l’Intercolonial ne sera complétée que trois ans plus tard. Cette disponibilité des moyens de transport avantage la place d’eau de la rive sud au détriment de ses concurrentes du côté nord de l’estuaire.
Les années qui précèdent la grande crise économique de 1874-1878 constituent sans doute l’âge d’or du tourisme de villégiature à Cacouna. Les terrains qui bordent le sommet de la crête boisée qui domine l’estuaire sont déjà occupés par des villas, parfois luxueuses, et les publicitaires des compagnies de navigation vantent déjà les charmes du « Saratoga canadien » ou du « Newport du Canada ». Le touriste du début du XXIe siècle peut encore admirer de remarquables témoignages de cette architecture parfois extravagante, comme le « Château Vert » du banquier Markland Molson, construit en 1869. Mais la plus prestigieuse et la plus imposante de ces villas demeure celle des frères Andrew et Montague Allan, propriétaires de la grande ligne de navigation qui porte leur nom. Le Château Montrose, construit en 1900, aligne encore sa longue façade le long de la route 132.
Tous n’ont pas les moyens ou la volonté de se construire une villa, ce que comprend le financier anglais J.B. Stocking. En 1862, appuyé financièrement par des compagnies maritimes canadiennes et américaines, il construit le St. Lawrence Hall, un hôtel qui peut accueillir 600 clients, après un agrandissement en 1872. Pendant quatre décennies, le grand hôtel va demeurer au cœur de la vie sociale de Cacouna. Quand le vaste édifice de bois est ravagé par un incendie en 1902, le plus modeste Mansion House prend le relais. Ce dernier, construit en 1857 et doté de 52 chambres, va faire partie du patrimoine bâti de la station estivale jusqu’à 1965, date à laquelle il est aussi la proie des flammes.
Dès les années 1850 toutefois, il ne reste plus de lots à bâtir le long de l’estuaire et les estivants doivent imaginer d’autres façons pour se loger durant les mois d’été. Les résidants permanents, agriculteurs pour la plupart, vont y trouver leur compte. Un nombre croissant d’entre eux ajoutent une annexe à leur maison et y emménagent durant toute la belle saison, laissant en location leur domicile habituel. Cette petite construction, le « fournil », parfois complètement détachée du logement principal, doit recevoir les familles souvent très nombreuses durant les mois des plus durs travaux des champs. Peu s’en plaignent malgré les inconvénients : l’argent des touristes, c’est de l’argent facilement gagné.
Les retombées de l’afflux des villégiateurs vont demeurer importantes à Cacouna jusqu’au premier conflit mondial. Les agriculteurs profitent du marché captif que représentent tous ces touristes oisifs en leur vendant les œufs et le lait, la viande des poules, porcs et bovins. Les jeunes hommes s’improvisent charretiers et cochers, des agriculteurs deviennent bouchers ou marchands de glace. Les hôtels embauchent une importante main-d’œuvre féminine et plusieurs mères de famille ajoutent à leur tâche domestique le lavage du linge d’une clientèle estivante. Dès les années 1920 toutefois, l’afflux des villégiateurs s’amenuise. C’est Métis-sur-Mer, à 150 kilomètres en aval sur l’estuaire, qui est devenu la nouvelle station touristique à la mode…
Bibliographie :
Lebel, Réal. Au pays du porc-épic : Kakouna, 1673-1925-1975. Cacouna, Le Comité des fêtes de Cacouna, 1975. 296 p.
Boivin, Lorraine. « Cacouna, paradis du tourisme au XIXe siècle », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. X, n° 1, janvier-avril 1984, p. 14-27.