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L'Empress of Ireland
Thème : Société et institutions

Le naufrage de l’Empress of Ireland

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 23 septembre 2003


Le 29 mai 1914, les paisibles localités bas-laurentiennes de Pointe-au-Père, Sainte-Luce et Rimouski se retrouvent à la une des grands quotidiens du monde. Dans la nuit, un des paquebots rapides du Canadien Pacifique a sombré au large de leurs côtes à la suite d’une collision avec un autre navire. Ce drame d’une ampleur presque comparable à celui du Titanic n’a pas laissé la même empreinte dans les mémoires. Le déclenchement de la Première Guerre mondiale et ses millions de victimes relèguent bientôt aux oubliettes de l’histoire la catastrophe de l’estuaire du Saint-Laurent.
 
Qu’un accident survienne à cet endroit ne tient pas du hasard. Depuis 1905, Pointe-au-Père représente la porte d’entrée de la voie maritime. C’est là que les océaniques doivent prendre et laisser le pilote dont la loi oblige l’emploi pour la navigation fluviale, et les contracteurs des postes doivent y charger ou décharger les sacs postaux à destination ou en provenance d’Europe. Le navire postal Lady Evelyn, basé à Rimouski, assure ce service en allant s’accoster aux océaniques qui réduisent leur vitesse. Il n’est donc pas étonnant que le Lady Evelyn et l’Eurêka, le bateau des pilotes de Pointe-au-Père, soient les deux premiers navires qui parviennent sur les lieux de la catastrophe.
 
À 1h30 le matin du 29 mai 1914, l’Empress of Ireland, un paquebot de 14 000 tonnes, qui a quitté Québec la veille avec 1 477 personnes à son bord, transfère son pilote sur l’Eurêka. Quelques minutes plus tard, après avoir signalé sa présence à un navire venant en sens inverse, l’Empress s’engage dans un banc de brouillard. À 1h55, dans le fracas des tôles déchirées, le charbonnier norvégien Storstad enfonce le flanc droit de l’Empress. Des masses d’eau s’engouffrent dans la brèche béante et le paquebot disparaît sous les flots en moins de 15 minutes, à quelques kilomètres au large de Sainte-Luce. Malgré les efforts des équipages du Storstad, de l’Eurêka et du Lady Evelyn, seulement 465 survivants peuvent être ramenés au quai de Rimouski. Les 1 012 autres passagers et membres d’équipage sont emportés par le fond ou succombent aux eaux glaciales de l’estuaire.
 
C’est la rapidité du naufrage qui est surtout responsable du nombre élevé de victimes. L’équipage n’a pas eu le temps d’organiser le sauvetage des femmes et des enfants comme sur le Titanic, demeuré longtemps à flot après sa collision avec un iceberg. La majorité des passagers des ponts inférieurs sont pris au piège et l’évacuation prend très tôt l’allure d’un sauve-qui-peut où les plus faibles sont désavantagés. Le décompte des survivants illustre bien cette tragique réalité : 248 des 420 membres d’équipage sauvent leur vie contre à peine 4 des 138 enfants présents à bord. En fait, plus de passagers vont périr lors du naufrage de l’Empress (840) que dans la catastrophe du Titanic.
 
L’importance du désastre impose la tenue d’une enquête publique dont les audiences se déroulent à Québec, du 16 au 27 juin 1914. La Commission d’enquête dépose son rapport le 11 juillet suivant. Devant les dépositions contradictoires des équipages des deux navires impliqués dans l’accident, les trois commissaires hésitent à dégager une responsabilité claire, quoique celle de l’officier en charge du charbonnier norvégien ressort dans le volumineux rapport. C’est toutefois le naufrage rapide du paquebot qui suscite le plus d’interrogations chez les commissaires. La nécessité de laisser les portes étanches et les hublots fermés la nuit en cas de brume constitue la plus importante recommandation des commissaires.
 
Aujourd’hui, le voyageur qui emprunte la route qui longe le fleuve à la hauteur de Pointe-au-Père peut apercevoir le monument érigé par le Canadien Pacifique sur le petit lot où sont enterrées les victimes non identifiées du naufrage. Tout près de là, le Musée de la mer, qui collabore avec Parcs Canada à la mise en valeur des installations d’aide à la navigation de Pointe-au-Père, consacre une partie de ses expositions au plus important désastre maritime jamais survenu dans les eaux canadiennes. Les plongeurs, qui explorent l’épave de l’Empress of Ireland depuis 1964 et en remontent des pièces depuis lors, ont permis la constitution de cet émouvant mémorial.
 
 
Bibliographie : 

Collectif. La tragédie oubliée. Le naufrage de l’Empress of Ireland. Pointe-au-Père, Musée de la mer de Pointe-au-Père, 1999. 40 p.
Croall, James. Fourteen minutes. The last voyage of the Empress of Ireland. London, Sphere Book Limited, 1978. 245 p.
Fortin, Jean-Charles. « La grande navigation et les installations de Pointe-au-Père », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. 8, n° 3, oct.-déc. 1982. p. 53-92.
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