Thème :
Économie
Les malles européennes à Rimouski, 1876-1914
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 21 mars 2003
Pendant les siècles qui ont précédé l’établissement des lignes aériennes transatlantiques, la livraison du courrier entre l’Europe et l’Amérique a présenté un continuel défi. À la fin des années 1830, le gouvernement britannique prend les moyens pour accélérer le service postal avec ses colonies nord-américaines et commence à accorder à des contracteurs le transport de la poste au moyen de paquebots rapides. Durant l’hiver, le courrier est acheminé vers les ports américains libres de glaces, mais d’avril à décembre, c’est par le golfe et le fleuve Saint-Laurent que passe le service postal. De nombreux Canadiens ignorent que, pendant une quarantaine d’années, de 1876 à 1914, le quai de Rimouski a été un maillon essentiel du réseau postal de l’empire britannique.
La construction du chemin de fer Intercolonial, de Rivière-du-Loup à Halifax, de 1869 à 1876, constitue le premier investissement majeur du nouveau gouvernement de la Confédération. Il devient alors possible de soustraire quelques heures sur le temps de livraison du courrier transporté par les concessionnaires des postes en débarquant le courrier des paquebots océaniques avant que ceux-ci ne s’arrêtent à la station de quarantaine de Grosse-Isle et qu’ils y perdent un temps précieux. Un embranchement ferroviaire est construit de la station de Rimouski jusque sur le quai du même endroit. Un petit bateau à vapeur va rejoindre au large les navires postaux qui lui transfèrent les sacs de courrier. Des employés des postes s’affairent à trier le courrier dans les wagons à destination de Montréal d’où celui-ci pourra être redistribué partout vers le centre du pays.
De 1896 à 1907, le transfert des malles européennes au quai de Rimouski est concédé au capitaine J. H. Dorion qui effectue le travail avec son vieux vapeur à aubes, le Rhoda. Au début du XXe siècle, la livraison du courrier s’accélère à tel point qu’une lettre mise à la poste à Londres peut être reçue à Montréal dix jours plus tard. Toutefois, le transfert des colis postaux est handicapé par le service peu fiable offert au quai de Rimouski, et le ministère des Postes décide de l’administrer lui-même. Il achète et base au quai de Rimouski le Lady Evelyn, un vapeur de 582 tonnes, capable d’opérer même par gros temps. La croissance du volume des cargaisons est telle, avant la Première Guerre mondiale, que certains paquebots chargent ou déchargent à Rimouski 2 800 sacs postaux à la fois.
Le système exige une parfaite coordination entre la compagnie de chemin de fer, les malles (les paquebots affectés au service postal) et l’équipage du Lady Evelyn. Voici, à titre d’exemple, le fonctionnement d’un chargement vers l’Europe. D’abord, les trains en provenance d’Halifax et de Montréal laissent les wagons postaux sur une voie de garage à la gare de Rimouski. Ensuite, une locomotive transporte ces wagons sur le quai, à quatre kilomètres de là; en quelques minutes, des centaines de sacs, boîtes et colis sont transférés sur le pont supérieur du Lady Evelyn. Puis, le bateau postal part à la rencontre du paquebot parti de Québec quelques heures plus tôt; ce dernier ralentit pour faciliter le transbordement, une opération difficile par gros temps. Enfin, le paquebot reprend sa vitesse dans la direction du détroit de Belle-Isle, la route la plus courte vers l’Angleterre.
C’est le déclenchement du premier conflit mondial qui vient mettre un terme à l’aventure des malles européennes à Rimouski. Les paquebots-poste sont réquisitionnés comme transports de troupes ou comme croiseurs auxiliaires et l’horaire si précis mis en place au cours des décennies précédentes ne peut plus être respecté. Dans l’après-guerre, un certain volume de courrier transite par le quai voisin de Pointe-au-Père au moyen du bateau au service des pilotes, mais rien qui puisse se comparer à la période qui précède. Les conditions qui avaient amené l’établissement des services au quai de Rimouski depuis 1876 sont désormais révolues.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.