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La station des pilotes
Thème : Économie

La station des pilotes de Pointe-au-Père

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003

 

Depuis les débuts de l’occupation européenne, le fleuve Saint-Laurent représente la voie d’accès et le débouché de l’Amérique du Nord septentrionale. C’est par là que les colonies françaises, puis britanniques, après la Conquête, exportent les fourrures, les produits agricoles et forestiers, et reçoivent les immigrants et les produits manufacturiers et tropicaux. Mais cette voie d’eau est dangereuse, avec la présence des glaces, les sautes de vent et les fréquents brouillards, les hauts-fonds et les récifs. Les autorités coloniales françaises, puis britanniques, ont vite reconnu la nécessité de pilotes bien au courant des pièges du fleuve pour guider les navires vers Québec. Pendant un siècle, de 1859 à 1959, Pointe-au-Père constitue la nécessaire porte d’entrée du Saint-Laurent.
 
Même si c’est à Bic que les navires océaniques doivent prendre et laisser leur pilote avant 1905, Pointe-au-Père, à une trentaine de kilomètres en aval, est adoptée comme base d’opération par de nombreux pilotes au XIXe siècle. Joseph Bouchette y signale leur présence en 1815. Dans les dernières décennies du siècle, quelques pilotes, sans doute désireux d’échapper à la discipline rigide qui règne sur les goélettes de la Corporation des pilotes basées au Bic, offrent leur service depuis Pointe-au-Père. Là, ils peuvent profiter du service de transbordement offert par le gardien du phare avec son petit voilier. Par ailleurs, c’est à Pointe-au-Père que la compagnie Allan Line maintient ses pilotes spéciaux depuis 1859. Au tournant du XXe siècle, autant la Allan Line que les autres compagnies de paquebots rapides sont insatisfaites du service de pilotage et une refonte est nécessaire.
 
En 1905, le ministère de la Marine prend directement à sa charge la responsabilité du pilotage. Au printemps 1906, un premier vapeur, l’Eurêka, vient s’amarrer au quai de Pointe-au-Père qui devient la nouvelle station officielle de pilotage en aval de Québec. Le nouveau bateau-pilote vient consacrer l’importance croissante de Pointe-au-Père dans les services à la navigation océanique. Le gouvernement fédéral a construit un premier quai, en 1902, et c’est là qu’il mène des expériences sur l’emploi du gaz acétylène dans les phares et sur l’essai comparé de nouveaux signaux sonores. En 1908, l’endroit est choisi pour l’érection d’un grand phare doté d’un puissant feu dioptrique sur lequel pourront se guider tous les navires qui entrent dans l’estuaire à la recherche d’un pilote. L’année suivante, une station de télégraphie sans fil vient compléter le système des aides à la navigation.
 
Au cours des années qui précèdent le premier conflit mondial, le service de pilotage continue son rodage malgré de multiples accidents entre Québec et Pointe-au-Père. En 1914, le naufrage de l’Empress of Ireland, qui vient de déposer son pilote à la station de Pointe-au-Père, fait plus d’un millier de victimes, et le nom du petit village bas-laurentien fait le tour du monde. Au cours des années 1920, les paquebots prennent les officiers médicaux et ceux des douanes en même temps que le pilote pour accélérer les formalités pour les voyageurs et les immigrants. Désormais, seuls les navires où sont décelées des maladies susceptibles de quarantaine devront se présenter à Grosse-Isle avant d’accoster Québec. Les années 1930 et celles de la Deuxième Guerre mondiale voient une diminution du trafic, mais la reprise de l’après-guerre se confirme au cours des années 1950.
 
En 1959, exactement un siècle après que la compagnie Allan eut décidé d’installer ses pilotes à Pointe-au-Père, le ministère des Transports décide de déménager la station de pilotage sur la rive nord du fleuve, aux Escoumins. L’ouverture de la Voie maritime, le gonflement du trafic et les pressions des armateurs ont forcé la main des autorités fédérales, le site nord-côtier étant nettement plus approprié lors des périodes de navigation dans les glaces. Au printemps 1960, c’est donc aux Escoumins que se rend le Citadelle, le dernier bateau pilote de Pointe-au-Père.


Bibliographie :

Jean-Charles. « La grande navigation et les installations de Pointe-au-Père », Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol. 8, n° 3, oct.-déc. 1982, p. 53-92.
 
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