Thème :
Économie
PURDEL et la rationalisation de l’agriculture
Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003
L’agriculture des pays développés connaît une véritable révolution à compter des années 1950, alors qu’un nombre de plus en plus restreint de producteurs suffit à alimenter les marchés nationaux et internationaux. Les progrès de la mécanique et de la sélection animale, les nouvelles pratiques culturales sont à la base de ces transformations. Le processus de rationalisation favorise les terroirs dotés du meilleur potentiel et les mieux situés par rapport aux marchés. Au Bas-Saint-Laurent, l’activité agricole se concentre sur le territoire déjà mis en valeur au début du XXe siècle, les terrasses littorales, entre Notre-Dame-du-Portage et Sainte-Félicité, et dans le centre des vallées de la Matapédia et du Témiscouata. Le nombre total de ferme chute de plus de 12 000, en 1950, à un millier à la fin du siècle.
En 1950, la formule coopérative est déjà bien implantée dans la région. Depuis la fin des années 1930, les sociétés coopératives agricoles se sont multipliées. Elles sont responsables de la plus grande partie de la production beurrière et se diversifient dans la vente des produits pour la ferme et ceux d’utilité professionnelle aux cultivateurs. Sur le littoral, presque tous les producteurs agricoles font partie, au milieu du siècle, de leur coopérative locale. Au cours des années 1950, une vague de concentration réduit leur nombre et, de 1947 à 1959, près d’une trentaine disparaissent. À la veille des profonds bouleversements qui vont suivre, elles regroupent 6 000 membres et opèrent des beurreries et des meuneries et transforment et revendent à la Coopérative fédérée la majorité du lait industriel régional. Ce sont les coopératives de Sayabec, du Bic, L’Isle-Verte, Mont-Joli et Notre-Dame-du-Lac qui sont au cœur du mouvement de consolidation.
Au début des années 1960, la région est déjà spécialisée dans la production laitière. Trente beurreries coopératives et huit usines privées procèdent au ramassage de la crème, la grande majorité de la séparation du lait s’effectuant encore à la ferme. La presque totalité des approvisionnements sont transformés en beurre contre un faible volume en fromage, crème glacée et poudre de lait. Cette concentration dans le lait de transformation, un secteur largement subventionné par l’État, amène de tels surplus que la Commission canadienne du lait doit imposer un système de quotas. Les coopératives agricoles régionales doivent donc se tourner vers le lait de consommation destiné à l’approvisionnement des villes québécoises. C’est la coopérative agricole du Bic, supportée par la Coopérative fédérée et le ministère de l’Agriculture du Québec, qui va conduire l’agriculture bas-laurentienne dans ce passage du lait industriel au lait de consommation.
La coopérative Sainte-Cécile du Bic, fondée en 1928, vivote jusqu’à la seconde guerre mondiale, quand la hausse des prix et de la demande pour le fromage lui permet de s’assurer une bonne base financière. À la fin des années 1950, elle absorbe quatre coopératives voisines et, en 1965, elle construit une usine moderne à Trois-Pistoles pour le traitement du lait entier. L’achat de la crémerie Desrosiers de Mont-Joli, l’agrandissement de l’usine de Trois-Pistoles et la fusion avec la coopérative de la Matapédia, en 1972, lui permet de rejoindre 2 400 fournisseurs de lait industriel. En quelques années, la consolidation des bassins laitiers du Bas-Saint-Laurent est complétée sous l’égide de la petite coopérative du Bic, devenue la Coopérative agricole du Bas-Saint-Laurent (CABSL).
Les années qui suivent sont sous le signe de l’extension des marchés. En 1972, la CABSL achète la laiterie Pasteur de Rimouski et celle de Sept-Îles. L’acquisition de la laiterie Laval de Québec lui ouvre le marché du lait de consommation de cette ville, un territoire qui s’ajoute à celui d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick. Mais c’est en 1983 que la CABSL, rebaptisée Purdel en 1983, frappe son plus grand coup, en achetant La Ferme St-Laurent, ce qui lui donne accès au vaste marché montréalais. Elle contrôle alors plus du quart du lait nature au Québec, depuis ses usines de Rimouski, Thetford Mines, Québec et Montréal. Comme la concurrence se fait de plus en plus âpre entre compagnies privées et coopératives, cinq coopératives régionales, dont Purdel, et la division laitière de la Coopérative fédérée de Québec unissent leurs actifs dans le lait de transformation pour former le groupe Lactel. Dans les années 1990 toutefois, les géants québécois Agropur et Saputo évincent les autres joueurs et Purdel doit retraiter dans son territoire d’origine.
Cet apparent échec de la grande coopérative bas-laurentienne qui prive la région d’usines de transformation ne met toutefois pas en cause la spécialisation laitière. À l’orée du XXIe siècle, le lait accapare plus des trois quarts de la valeur de la production agricole régionale. Comme le foin cultivé et les pâturages constituent les principaux atouts de l’agriculture régionale, les fermes bovines et ovines se sont multipliées. Toutefois, la rapide expansion de l’élevage porcin dans le Bas-Saint-Laurent y soulève les mêmes oppositions que dans le reste du Québec.
Bibliographie :
Fortin, Jean-Charles. Histoire de l’agriculture dans le Bas-Saint-Laurent, 1891-1951. L’entreprise agricole dans deux œkoumènes distincts : basses terres littorales et plateaux appalachiens. Rimouski, Université du Québec à Rimouski, mémoire de maîtrise (Développement régional), 1989. v-190 p.
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.