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Les terrasses littorales
Thème : Territoire et ressources

Les terrasses littorales, un don de la déglaciation

Jean-Charles Fortin, INRS-Urbanisation, Culture et Société. 25 septembre 2003

 

Commencée il y a environ 1,6 million d’années, l’ère quaternaire est l’ère géologique la plus récente, celle dans laquelle nous vivons encore. La plus importante manifestation qu’a léguée cette période géologique sur le territoire du Bas-Saint-Laurent demeure la zone des terrasses littorales sur laquelle vit aujourd’hui environ 70 % de la population régionale. Comme, au cours des périodes de glaciation, le territoire s’est affaissé d’au moins 200 mètres sous le poids de la chappe de glace, la déglaciation a permis à la mer d’envahir tout ce territoire des basses terres. Il va lentement resurgir à mesure que, libérée des glaces, la croûte terrestre se relève au cours des derniers milliers d’années, pour nous laisser ce magnifique paysage qui ravit nos contemporains.
 
La dernière déglaciation débute il y a environ 18 000 ans. Le géographe Bernard Hétu a retrouvé des traces de déglaciation assez loin à l’intérieur du rivage actuel, à Saint-Anaclet et à Luceville. Il y a plus de 13 000 ans, la mer pénètre même dans la partie orientale de la vallée de la rivière Neigette, près de Saint-Donat. Peu après, la marge glaciaire se retire sur le plateau de Sainte-Blandine, permettant à la mer d’envahir la vallée de la Neigette jusqu’à une altitude de 120 mètres. Ainsi libérée des glaces, la croûte terrestre se relève petit à petit, mais pas suffisamment pour empêcher l’inondation des zones qui bordent l’estuaire. Cela va entraîner l’apparition de la mer de Goldthwait, une véritable mer intérieure qui va pénétrer jusqu’à des altitudes de 200 mètres. En se retirant sous l’effet du relèvement de l’écorce terrestre, elle va laisser plusieurs plages étagées, des deltas et des falaises.
 
Si la plupart des terrasses bas-laurentiennes ont tout de même été formées à une époque antérieure au dernier stade glaciaire, le géographe Bernard Hétu a pu retracer les étapes du dernier retrait marin. À Rimouski, par exemple, on doit aux plages successives les nombreux paliers qui découpent la ville. Les photographies aériennes de la région, de Notre-Dame-du-Portage à Sainte-Félicité, révèlent ces longs paliers parallèles au rivage qui s’allongent sur des kilomètres. Ce sont ces plaines d’argile étagées, laissées par la mer de Goldthwait, qui composent le plus riche terroir agricole de la région.
 
Le rivage contemporain de la région est donc l’un des traits géomorphologiques les plus récents, puisqu’il date d’environ 2000 ans, le relèvement de la croûte terrestre s’étant peu à peu stabilisé à un millimètre par année. Avec le retrait de la mer de Goldthwait, apparaissent les nombreuses îles qui se présentent en chapelet sur la rive sud depuis l’île d’Orléans. Au Bas-Saint-Laurent, les plus importantes se nomment île aux Lièvres, île Verte, île aux Basques, île du Bic et île Saint-Barnabé. Si l’on excepte l’île aux Lièvres, située face à Rivière-du-Loup et presque au centre de l’estuaire, ces îles ne sont jamais vraiment éloignées du rivage. Elles prennent, pour la plupart, l’allure d’étroites et longues bandes de terre recouvertes de forêt dont certaines, comme les îles aux Lièvres, Bic et Saint-Barnabé ont déjà fait l’objet d’une exploitation commerciale.
 
Le principal héritage de la déglaciation demeure ce paysage en gradins sur lequel les défricheurs ont installé leur ferme, sur des sols propices à la culture des céréales, du foin et à l’élevage. Ce sont les nombreux placages sablonneux qui vont permettre la culture de la pomme de terre, la première grande culture commerciale du Bas-Saint-Laurent. Toutefois, la dernière déglaciation a également laissé derrière elle plusieurs terres d’un égouttement difficile à proximité du littoral. Les tourbières sont donc nombreuses, notamment à Rivière-du-Loup, Saint-Fabien et Pointe-au-Père, qui ont aussi fait l’objet d’une exploitation commerciale intensive. L’héritage glaciaire n’a cependant pas que des avantages, car les dépôts argileux peuvent se liquéfier rapidement et provoquer d’importants glissements de terrain, comme cela s’est produit en 1951 sur la rivière Rimouski.
 
Depuis la fin de la déglaciation, la géographie bas-laurentienne continue de se modifier de façon lente et quasi imperceptible. Cela résulte de forces naturelles comme l’érosion, les précipitations, le vent et, depuis plus de deux cents ans, de la présence humaine. Le meilleur exemple de cette intervention de l’homme qui modifie le paysage naturel est sans doute le long mur de béton construit sur les anciennes plages de Rimouski, et qui s’étire sur des kilomètres, de l’embouchure de la rivière Rimouski jusqu’à l’arrondissement Pointe-au-Père.


Bibliographie : 

Hétu, Bernard. « Le Quaternaire du Bas-Saint-Laurent. » L’est du Québec : études géographiques. Rimouski, Université du Québec à Rimouski, Module de géographie, 1990. p. 21-35.
Livernoche, Claude. « Géomorphologie du territoire urbain de Rimouski et l’utilisation de l’espace. » Revue d’histoire du Bas-Saint-Laurent, vol XIX, n°2, juin 1996, p. 5-13.
Fortin, Jean-Charles, Antonio Lechasseur et al. Histoire du Bas-Saint-Laurent. Québec, IQRC, 1993. 864 p.
 
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