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Culture
L’abbé Maurice Proulx : maître du cinéma éducatif
Jacques Saint-Pierre, historien, 24 juillet 2003
Avec l’abbé Albert Tessier, Maurice Proulx est reconnu comme l’un des pionniers du cinéma québécois. À la différence de son collègue de Trois-Rivières, dont les documentaires sont des documents ethnologiques sur les habitants de la Mauricie et leurs traditions, l’abbé Proulx est d’abord et avant tout spécialisé dans la production de matériel didactique pour ses cours. Mais il réalise aussi plusieurs productions très importantes, dont deux longs métrages sur le retour à la terre dans les années 1930.
Un éducateur d’avant-garde
Maurice Proulx naît à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud en 1902. Après un cours commercial à Montmagny, il s’inscrit au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, où il complète son cours classique. Il entre alors au Grand Séminaire de Québec et il est ordonné prêtre, en 1928. Par la suite, il entreprend des études agronomiques, d’abord à l’École d’agriculture de Sainte-Anne, puis à l’Université Cornell, dans l’État de New York, où il complète un doctorat. C’est là, en 1933, qu’il découvre les possibilités pédagogiques du cinéma 16 mm. Après avoir assisté à la projection d’un documentaire dans le cadre d’un cours, il réussit à convaincre les autorités de l’École de Sainte-Anne de faire l’acquisition d’une caméra.
De retour à Sainte-Anne, l’abbé Proulx enseigne aux futurs agronomes tout en produisant et réalisant des films. La plupart de ces documentaires sont conçus à des fins éducatives. Michel Vergnes, qui a été son collaborateur à compter de 1947, écrit : « S’il a toujours été conscient de la puissance du cinéma comme moyen d’éducation, je ne crois pas qu’il ait jamais voulu faire du cinéma avec un grand « C ». Non, il a fait des films pour montrer, pour enseigner, parce que ça pouvait aider, faire du bien. Et il les a faits avec sa noble ténacité paysanne, son amour pour son métier, pour les gens, pour la terre. » Les films éducatifs réalisés par l’abbé Proulx sont projetés non seulement aux étudiants, mais également aux groupes de cultivateurs dans les cercles agricoles, les sociétés d’éleveurs, etc.
Un pionnier du cinéma québécois
De la quarantaine de films signés par l’abbé Proulx, de 1934 à 1968, certains constituent des productions majeures dans l’histoire du cinéma québécois.
En pays neufs, « étonnante métaphore de la naissance du pays » selon l’historien du cinéma Yves Lever, est le premier véritable film réalisé par l’abbé Proulx et l’un de ses plus réussi. « En pays neufs, racontera-t-il plus tard, a été commencé en 1934 d’une manière absolument artisanale. […] J’ai accompagné un groupe que la Société de colonisation dirigeait vers la colonie de Sainte-Anne-de-Roquemaure, fondée l’année précédente. Je devais réaliser un film sans prétention destiné à la propagande. La Société me nourrissait chez les curés-colons et payait la pellicule (quelle aubaine pour un débutant !). » Proulx est retourné en Abitibi en 1935 et 1936 et le film a été complété l’année suivante.
En pays pittoresque est un autre long métrage très important du cinéaste de La Pocatière. Ce documentaire sur la Gaspésie, tourné en 1938 et 1939, est une commande du ministère de la Colonisation destinée à promouvoir le retour à la terre préconisé par le gouvernement comme remède à la crise économique. Le film n’est pas un simple reflet de la colonisation dans cette région isolée du Québec, mais un reportage sur ses paysages uniques et la vie quotidienne de ses habitants. L’abbé Proulx est particulièrement fier de cette production, qui annonce déjà les films touristiques qu’il réalisera plus tard pour l’Office de publicité de la province de Québec.
L’abbé Proulx pose un regard nostalgique sur le passé dans ces deux films. Il se rattache ainsi à un courant idéologique qui glorifie la ruralité jusqu’à en faire une composante essentielle de l’identité québécoise. Le lin du Canada est un autre film où il fait l’apologie des traditions du passé. Au moment où la culture et la transformation de cette plante textile sont très fortement mécanisées, le cinéaste profite de cette commande du ministère québécois de l’Agriculture, en 1947, « pour cueillir ici et là les gestes d’antan avant qu’ils ne disparaissent à jamais. » Il reste cependant un esprit rationnel capable de s’adapter au changement. À preuve, il profite de son séjour aux États-Unis pour passer son brevet de pilote.
D’autres films de l’abbé Proulx tiennent davantage du reportage : le congrès marial d’Ottawa, en 1947, le cinquantenaire des Caisses populaires et la béatification de Marguerite Bourgeoys, fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame, en 1950, etc.
Le Service de ciné-photographie
En sa qualité de conseiller du premier ministre Adélard Godbout, qui avait été son professeur d’agronomie à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, l’abbé Proulx prend une part importante à la fondation du Service de ciné-photographie de la province de Québec. En 1941, le gouvernement québécois rassemble les services cinématographiques de production et de diffusion, alors dispersés entre différents ministères, au sein d’un nouvel organisme connu sous le nom de Service de ciné-photographie de la province de Québec, qui deviendra en 1961 l’Office du film de la province de Québec.
Les films de l’abbé Proulx figurent en bonne place dans la cinémathèque de l’organisme et les copies de ses principales productions sont empruntées régulièrement. En pays pittoresque, par exemple, est projeté devant plus de 350 000 spectateurs, de 1941 à 1954. Par contre, ce sont les documentaires touristiques qui connaissent le plus de succès : à lui seul, le film Les Îles de la Madeleine est vu par plus d’un million de personnes de 1956 à 1971.
Homme de son temps, l’abbé Proulx se passionne pour le cinéma. Au moment où le nouveau moyen de communication est l’objet de critiques sévères de la part du clergé québécois, il voit toutes les possibilités qu’offre cette technologie révolutionnaire. Les images de l’abbé Proulx constituent des documents d’archives importants sur la période 1930-1960, mais plusieurs de ses films constituent des jalons de l’histoire du septième art au Québec.
Bibliographie :
Lever, Yves. « L’église et le cinéma : une relation orageuse », Cap-aux-Diamants, no 38, été 1994, p. 24-29.
Pelletier, Antoine. « L’aventure de l’Office du film du Québec », Cap-aux-Diamants, no 38, été 1994, p. 44-47.
Rétrospective Maurice Proulx. Québec, Ministère des communications, Direction générale du cinéma et de l'audiovisuel, 1978. 55 p.