Thème :
Société et institutions
Des Sudcôtois ministres de l’agriculture
Jacques Saint-Pierre, historien, 10 avril 2003
Plusieurs députés de la Côte-du-Sud ont été titulaires du portefeuille de l’agriculture et ce, tant au niveau fédéral qu’au provincial. Le poids électoral de la région à cette époque et son caractère fortement rural ne sont sans doute pas étrangers à ce choix politique. L’agriculture n’est pas une responsabilité importante à l’origine, mais son budget s’accroît progressivement pour permettre la modernisation de ce secteur économique. Sous le règne du ministre Joseph-Édouard Caron, le titulaire devient un membre influent du cabinet québécois.
Trois ministres fédéraux de Kamouraska
Jean-Charles Chapais, l’un des pères de la Confédération, est le premier titulaire du ministère de l’Agriculture du Canada. Le représentant de Kamouraska assume cette responsabilité du 1er juillet 1867 jusqu’au 15 novembre 1869. L’agriculture n’a pas de secrets pour lui. Seigneur de Saint-Denis et marchand, il y exploite un domaine. En 1851, soit quelques semaines avant son arrivée sur la scène électorale, il avait publié un rapport décrivant la situation de l’agriculture au Québec. Il s’avère donc un choix logique pour occuper le poste dans le cabinet de John A. Macdonald en 1867. Chapais choisit un autre sudcôtois comme sous-ministre, le docteur Jean-Charles Taché de Kamouraska. Le ministère ne compte alors que 23 commis à Ottawa.
Le mandat du ministre déborde le secteur agricole proprement dit et s’étend à l’immigration, la santé publique, la statistique, les brevets et marques de commerce, etc. L’agriculture reste une préoccupation marginale à comparer avec l’immigration. La première mesure législative loi agricole adoptée sous l’administration de Chapais est une loi pour protéger les troupeaux contre la peste bovine et d’autres maladies contagieuses. En 1869, Jean-Charles Chapais est muté de l’agriculture au poste moins important de receveur général. Quatre ans plus tard, il doit remettre sa démission du cabinet et il se retire dans ses terres à Saint-Denis.
Deux des adversaires libéraux de Chapais dans le comté de Kamouraska vont aussi occuper le poste de ministre de l’Agriculture à Ottawa : Luc Letellier de Saint-Just, du 7 novembre 1873 au 14 décembre 1876, et le successeur de ce dernier, Charles Alphonse Pantaléon Pelletier, du 26 janvier 1877 au 8 octobre 1878. Luc Letellier de Saint-Just avait exercé très brièvement les fonctions de ministre de l’Agriculture du Canada-Uni en 1863. Son second mandat est marqué surtout par la question de la participation du Canada à l’exposition universelle de Philadelphie de 1876. Quant à Pelletier, il assure la participation du Canada à la Metropolitan Exhibition de Sydney, en Australie, en 1877, et à l’exposition de Paris, en 1878. Il met également sur pied le premier conseil de l’agriculture du Dominion.
Avec Auguste-Réal Angers, député de Montmorency qui est ministre du 7 décembre 1892 au 12 juillet 1895, les trois représentants de Kamouraska sont les seuls francophones à avoir été responsables de la politique agricole canadienne.
De commissaire à ministre
Fils de l’influent négociant Amable Dionne, Élisée Dionne est le premier Sudcôtois à devenir responsable de l’agriculture au niveau de la province de Québec. Nommé conseiller législatif de la division Grandville (Kamouraska), en 1867, il est Commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics dans les cabinets conservateurs de Chapleau et de Mousseau, du 4 mars 1882 au 23 janvier 1884. C’est sous son règne que sont adoptées deux lois très importantes pour le développement agricole du Québec, soit la loi créant la Société d’industrie laitière, dont le but est de travailler à l’amélioration de l’industrie laitière, et la loi instituant les premières sociétés paroissiales de fabrication de beurre et de fromage, avec pouvoir de contrôler la qualité du lait apporté aux fabriques. À l’époque, les gens qui influencent la politique agricole québécoise ne sont pas des élus, mais des réformateurs comme Édouard-A. Barnard et Jean-Charles Chapais, fils.
Natif de Saint-Roch-des-Aulnaies, François-Gilbert Miville Deschênes, est le deuxième député provincial de la Côte-du-Sud à obtenir le portefeuille de l’agriculture. Élu député de L’Islet en 1886 et réélu jusqu’à son décès à l’âge de 43 ans, en 1902, il est le responsable de la politique agricole québécoise durant cinq ans à compter du 26 mai 1897. F.-G. Miville Deschênes est le premier à porter officiellement le titre de « ministre de l’Agriculture ». Adélard Turgeon, qui est originaire de Beaumont et qui représente la circonscription de Bellechasse de 1890 à 1909, lui succède en 1902 et il assume cette responsabilité jusqu’en 1905. Sous le règne de ces deux ministres libéraux, l’agriculture retient davantage l’attention des élus, mais le maigre budget alloué restreint les moyens d’action du gouvernement québécois en cette matière. La situation va cependant s’améliorer quelque peu avec la nomination, en 1909, de Joseph-Édouard Caron à la tête du ministère.
Un cultivateur et un agronome
Natif de Saint-Roch-des-Aulnaies, Joseph-Édouard Caron reste ministre de l'Agriculture durant vingt ans, soit de 1909 à 1929. Défait dans le comté de L'Islet, en 1912, il se fait réélire dans la circonscription des Îles-de-la-Madeleine, qu’il représente par la suite jusqu'à sa nomination au conseil législatif, en 1927. Cultivateur de profession, Caron souhaite que le gouvernement libéral fasse de l’agriculture une priorité. De fait, il obtient une hausse des crédits de son ministère, mais la part de celles-ci dans le budget total diminue. Parmi les mesures qui ont été adoptées sous son règne, on peut mentionner la loi accordant une subvention aux cercles agricoles pour l'entretien de taureaux reproducteurs enregistrés, la loi rendant obligatoire l'inspection des beurreries et des fromageries, l'organisation de cours abrégés d'agriculture et, probablement la plus importante, la mise sur pied du service des agronomes.
Joseph-Adélard Godbout, qui sera premier ministre du Québec de 1939 à 1944, représente lui aussi la circonscription de L’Islet. Cet agronome de comté, qui enseigne également à l’École d’agriculture de Sainte-Anne, poursuit dans la voie des réformes. C’est en 1930 qu’il se voit confier le ministère de l’Agriculture, responsabilité qu’il conserve jusqu’à la défaite du parti libéral, en 1936. Après avoir conduit ses troupes à la victoire, à l’élection de 1939, le nouveau premier ministre se réserve le portefeuille de l’Agriculture, ce qui témoigne de l’intérêt qu’il continue de porter aux problèmes des cultivateurs.
Au total, c’est donc trois députés fédéraux et cinq députés provinciaux de la Côte-du-Sud qui ont été ministres de l’Agriculture à Ottawa et à Québec depuis la Confédération. Aucune autre région ne peut se targuer d’un tel palmarès. De 1910 à 1945, en particulier, cette région rurale peut ainsi continuer d’influencer l’orientation de la politique agricole québécoise, malgré son très faible poids démographique.
Bibliographie :
Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Dictionnaire des parlementaires québécois. Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1993. 859 p.
L’Agriculture : étude préparée avec la collaboration de l’Institut agricole d’Oka. Montréal, Fides/École des Hautes Études commerciales, 1943. 555 p. Coll. « Études sur notre milieu », no 2.
« Au Service de l'Agriculture : Ministres de l'Agriculture du Canada, 1867-1997 ». In Agriculture et Agroalimentaire Canada. [En ligne]
http://www.agr.gc.ca/bios/bioindex_f.phtml (page consultée le 9 avril 2003)