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Thème : Économie

Les débuts de l’industrie laitière sur la Côte-du-Sud

Jacques Saint-Pierre, historien, 30 avril 2003

 

L’avènement de l’industrie laitière constitue un point tournant dans l’histoire de l’agriculture au Québec et la Côte-du-Sud est l’une des premières régions touchées par cette révolution. Il fallait d’abord former des beurriers et fromagers qualifiés, puis convaincre les cultivateurs de changer leurs méthodes de culture pour être capables de nourrir adéquatement leurs animaux et enfin améliorer la mise en marché des produits. Après plus de deux siècles, la Côte-du-Sud troque donc le blé pour le lait.
 
L’École de laiterie de Saint-Denis (1881)
 
L’agronome Jean-Charles Chapais, de Saint-Denis de Kamouraska, joue un rôle majeur dans la conversion de la production céréalière à l’industrie laitière. Avec son beau-frère Édouard-A. Barnard, il met sur pied la première école de laiterie en Amérique du Nord. Il évoque cette réalisation en ces termes, en 1919:
 
« À venir jusqu’à 1880, les vaches, sur les fermes de Kamouraska, n’occupaient qu’une position secondaire ; à part quelques exceptions chez certains cultivateurs des quinze paroisses du comté, il n’y avait que cinq vaches per ferme, donnant, chacune, pendant les six mois, de mai à novembre, qu’elles étaient traites, une cinquantaine de livres de beurre commun. Ce beurre était fait par les femmes de la maison qui, après avoir mis de côté ce qu’il fallait pour la famille, échangeait, à l’automne, le surplus pour des épiceries et d’autres nécessités, à un prix qui était souvent inférieur au coût réel de production. Pendant une certaine période, à venir jusqu’en 1880, ce beurre avait un certain renom, et il y avait sur le marché d’exportation une cote dite : Beurre de Kamouraska, qui était, pour l’époque, un beurre de qualité. Cet état de chose dura jusqu’en 1881, alors que fut ouverte, à Saint-Denis de Kamouraska, une fabrique combinée de beurre et de fromage la première de l’Est de Québec, à partir du comté de Yamaska, qui, étant subventionnée par le Ministère de l’Agriculture de la province de Québec, ouvrit les premiers cours d’enseignement de fabrication de beurre et de fromage. Cet établissement a été la première école de laiterie qui ait fonctionné en Amérique. Deux ans après l’ouverture de cette fabrique cent cinquante autres, tant de beurre que de fromage fonctionnaient dans l’Est de Québec et y produisaient une révolution en fait de progrès dans l’agriculture de cette région. »
 
La Côte-du-Sud en compte à elle seule 24, incluant l’École de laiterie de Saint-Denis. Même si cette dernière ferme ses portes après quelques années, le nombre de fabriques continue de s’accroître dans la région. Il atteint une cinquantaine en 1893 et près d’une centaine au début du XXe siècle. À cause des distances, certaines paroisses en ont une dans chaque rang, ce qui deviendra un sérieux problème pour cette industrie québécoise. 
 
Une véritable révolution
 
L’avènement des fabriques de produits laitiers s’accompagne de changements dans les méthodes d’élevage. Les troupeaux, qui ne comptent en moyenne que quatre vaches en 1851, en possèdent seulement cinq en 1931. Les rendements laitiers demeurent assez faibles, mais ils s’accroissent peu à peu grâce à une meilleure alimentation des bêtes. Ce sont des animaux de race canadienne au début. La Côte-du-Sud est, avec le comté de Charlevoix, la région du Québec où l’on retrouve les lignées les plus pures d’animaux canadiens lorsqu’on entreprend de réhabiliter cette race à la fin du XIXe siècle. La petite vache canadienne est alors menacée de disparition au profit de la race Ayrshire et d’autres races anglaises. Les producteurs de lait nature vont plutôt opter pour la race Holstein et celle-ci va s’imposer progressivement après 1930 à l’ensemble des producteurs de la région.
 
L’abandon de la culture du blé très exigeante pour le sol au profit du fourrage vert contribue à restaurer la fertilité naturelle des champs de la région. En plus du foin et de l’avoine, certains cultivateurs s’adonnent à la culture des légumes, comme le choux de Siam, afin de diversifier l’alimentation de leurs troupeaux. La récolte de plantes sarclées aide beaucoup à améliorer le sol parce qu’elle exige de nombreuses façons culturales (fumure, sarclage, etc.). Les éleveurs convertissent aussi leurs jachères en prairies en y semant du trèfle, plutôt que de se contenter d’y laisser pousser les mauvaises herbes. Protégées de la gelée hivernale par l’épaisse couche de neige qui s’accumule grâce aux clôtures de pieux, les prairies de la Côte-du-Sud produisent une herbe abondante durant plusieurs années consécutives, ce qui n’est pas le cas dans l’ouest du Québec. 
 
En ce qui concerne les produits laitiers eux-mêmes, les améliorations touchent d’abord moins la production elle-même que leur mise en marché. La boîte à beurre remplace la tinette, récipient formé de planchettes maintenues ensemble par des cercles d’acier à la façon des tonneaux. Les fabriques sont dotées de chambres froides alors que les producteurs de lait nature s’équipent de refroidisseurs à bidons. Enfin, des travaux de macadamisage et de gravelage des chemins sont réalisés pour faciliter le transport du lait aux beurreries et fromageries. Les lots de beurre ou de fromage sont acheminés des fabriques paroissiales jusqu’aux grands marchés par chemin de fer. Le beurre est écoulé surtout au Québec, alors que le fromage est exporté sur le marché anglais. La Société coopérative agricole des fromagers de Québec, créée en 1910, voit à la classification des produits.
 
Après les déboires de l’agriculture québécoise pendant le second quart du XIXe siècle, l’industrie laitière engendre la prospérité dans les campagnes. Grâce à des individus comme Jean-Charles Chapais, la Côte-du-Sud se trouve à l’avant-garde de ce mouvement. Au total, la conversion à cette nouvelle spécialité favorise une plus grande intégration de l’activité agricole à l’économie du Québec, en accentuant par le fait même l’emprise de la ville sur la région.

 
Bibliographie :

Archives de la Côte-du-Sud et du Collège Sainte-Anne, fonds Jean-Charles Chapais, 192, LXV, Notes historiques sur l’industrie laitière dans Kamouraska, 1er juin 1919.
L’Agriculture : étude préparée avec la collaboration de l’Institut agricole d’Oka. Montréal, Fides/École des Hautes Études commerciales, 1943. 555 p. Coll. « Études sur notre milieu », no  2.
Saint-Pierre, Jacques. « L’industrie laitière : une véritable révolution dans l’agriculture québécoise», Le Coopérateur agricole, vol. 31, no 2, février 2002, p. 65-67. 
 
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